Faut-il augmenter l’âge de la retraite pour réduire la pénurie de main d’œuvre qualifiée ?

Les partisans de l’augmentation de l’âge de la retraite (« AVS 21 ») prétendent que cela permettrait de répondre à la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Intuitivement, on pourrait en effet penser que, plus les gens restent longtemps sur le marché du travail, plus il y a de main d’œuvre à la disposition des employeurs et donc moins il y a pénurie. Mais faut-il pour autant augmenter l’âge de la retraite pour palier ce problème ? La réponse est clairement non.

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A quoi pourrait bien ressembler le nouveau statut « spécial Uber » réclamé par le PLR ?

En plus d’être aveuglé par cette licorne-disruptive-deux point zéro-super innovante qu’est Uber (c’est en tout cas l’avis de certaines personnes), le PLR a certainement vu dans l’arrivée de cette plateforme une aubaine pour déréguler le droit du travail. Probablement espérait-il que le modèle où la plateforme n’est qu’un intermédiaire entre clients et prestataires indépendants finirait par s’imposer (comme en rêvait Uber, mais aussi d’autres plateformes actives dans d’autres domaines comme Batmaid). Des milliers de travailleurs pseudo-indépendants auraient été poussés vers l’indépendance totale, ce qui aurait été désastreux pour leur protection sociale. Mais que voulez-vous, la disruption et l’innovation sont à ce ce prix !

Comme le Tribunal fédéral a – notamment grâce à la ténacité du Canton de Genève et des syndicats – confirmé que les employés d’Uber sont des salariés et non des indépendants, tout est à refaire pour les fans de dérégulation. Mais plutôt que d’exiger de la multinationale californienne et de ses consoeurs disruptives qu’elles adaptent leur modèle d’affaire, le PLR s’aplatit devant elles et propose de modifier notre droit pour créer un nouveau statut ni-complétement travailleur, ni-complétement indépendant (ci-après : statut « ni-ni »), taillé sur mesure pour les besoins des plateformes. Il s’agirait concrètement de créer un nouveau statut hybride pour les travailleurs de plateforme (qui ne seraient justement plus totalement des « travailleurs »), en s’inspirant du modèle du « worker » britannique ou du statut qu’Uber et sa concurrente Lyft sont parvenu à faire accepter par le corps électoral californien (grâce à une des campagnes politique les plus chères qu’ait vécu cet Etat). Selon ses auteurs, ce nouveau statut « ni-ni » devrait « être inscrit dans le code des obligations en tant que forme alternative au contrat de travail » et ne contiendrait qu’une protection contre « certains risques sociaux ». Mais pas tous. Et c’est justement l’intérêt du point de vue des plateformes. Une première mouture de cette proposition affichait d’ailleurs clairement la couleur : « Ce statut offrira une certaine couverture sociale, mais elle sera moins favorable que celle d’un salarié. ». Le PLR prétend aussi que ce nouveau statut permettrait une flexibilité que le contrat de travail n’a pas ; mais probablement n’a-t-il pas bien compris comment fonctionne le droit suisse du travail, car sinon, il saurait que cette flexibilité existe déjà, mais que c’est juste Uber & co. qui ont décidé de ne pas s’en servir.

Quoi qu’il en soit, c’est quand on examine ce que pourrait contenir – ou pas – ce nouveau statut « ni-ni » qu’on constate qu’en réalité, ce nouveau type de contrat n’aurait qu’une seule conséquence : reporter les risques (et leurs coûts) sur la collectivité. Pour s’en assurer, il suffit de comparer le statut de travailleur et celui d’indépendant en droit suisse.

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Le droit suisse du travail est-il aussi peu flexible que ne le dit Uber ?

Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé ce dont aucun spécialiste de droit du travail ne doutait : les employés d’Uber ne sont pas des indépendants et lui sont liés par un contrat de travail. Uber n’a pas manqué de protester, arguant que ses chauffeurs « ont clairement exprimé leur souhait de rester indépendants, de conserver leur flexibilité et d’être leur propre patron »*. Uber sous-entend ainsi que le droit du travail auquel sont soumis ses employés ne serait pas assez flexible et les empêcheraient de se sentir « leur propre patron ». Mais si on examine un peu les règles suisses en matière d’organisation du travail et le pouvoir de direction de l’employeur, on se rend compte qu’en réalité, notre droit permet de laisser une liberté énorme aux travailleurs.

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Libérer les hôtels de la tutelle de booking.com est-il une entrave à la liberté contractuelle ?

Réponse : oui. Mais cette entrave est vraiment justifiée. Qui plus est par des arguments en faveur du libre marché et de la concurrence efficace. Il y a donc de quoi être surpris quand on voit à quel point la frange la plus (ultra)libérale du Parlement fédéral est vent debout contre cette proposition (la « lex booking.com »). Ce qui est aussi très surprenant, c’est que, dans ce dossier, le PLR tient une position hostile aux PME suisses, à l’innovation et à la souveraineté numérique. Mais reprenons depuis le début.

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Les droits et devoirs des employé-e-s en cas de cybermenaces et cyberattaques

La récente vague de cyberattaques pose plusieurs problèmes de droit du travail. Récemment une importante gérance immobilière lausannoise a vu ses activités paralysées pendant plusieurs jours à cause d’un rançogiciel (ransomware) ; ses employé-e-s auraient été forcés de prendre des vacances et des congés sur ces jours où il n’était plus possible de travailler, ce qui est totalement illégal. Comme les cybermenaces ne vont certainement pas diminuer, voici un petit aperçu des questions que cela pose en matière de droits et devoirs des personnes concernées. Ces conseils s’appliquent aux contrats de travail de droit privé suisse, mais les principes sont généralement assez similaires pour les contrats de travail de droit public (notamment ceux des employé-e-s communaux-ales).

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Avenir.suisse et la liberté… de dire des âneries

Les fournisseurs de substances psychotropes des apprentis sorciers d’Avenir.suisse ont encore frappé. Et ils n’y sont pas allé de main morte sur les psilocybes. Cette fois, la machine de propagande d’une poignée de grandes entreprises nous a pondu un « indice de liberté » des cantons. Il suffit de se pencher sur les indicateurs qui constituent cet indice pour 1. rire un bon coup (on en a bien besoin) et 2. leur conseiller de prendre des vacances (ils en ont bien besoin). Voyons-un peu.

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La loi Covid, une réelle menace ? Mes réponses juridiques

La pandémie nous gâche la vie depuis de long mois et nous a privé de nos loisirs collectifs. Toutes et tous souhaitons qu’elle finisse le plus vite possible. Nous nous prononçons à nouveau sur la loi qui doit nous permettre d’en sortir. Voici quelques réflexions et précisions à ce sujet :

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Faillites abusives en chaîne : projet de loi décevant

Lorsque je siégeais au Conseil national, je me suis beaucoup battu contre les faillites abusives en chaîne. Dans le bâtiment et les arts et métiers, mais aussi dans d’autres secteurs, cette pratique est très fréquente : Un entrepreneur peu scrupuleux se déclare en faillite pour éviter d’avoir à payer salaires, assurances sociales et fournisseurs, puis crée une nouvelle entreprise active dans le même secteur, sous une raison sociale légèrement différente, parfois avec l’aide d’un homme ou d’une femme de paille (souvent un membre de sa famille). Cette nouvelle entreprise ne tarde pas à faire faillite à son tour, puis est remplacée par une autre, et ainsi de suite.

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Sélection et embauche par des algorithmes: que dit le droit du travail ?

Comme le révélait récemment le « Tages-Anzeiger », les algorithmes sont de plus en plus utilisés lors de l’embauche de nouveaux collaborateurs par des entreprises suisses (comme la Migros, La Poste, les CFF, Crédit Suisse, Axpo, Helsana ou encore UBS) . Il existe en effet un nombre croissant d’outils informatiques qui permettent de trier les dossiers de candidatures, de les évaluer, voire de mener un entretien d’embauche via un « chatbot » ou même un véritable robot. Dans certains cas, cela a lieu sans aucune intervention humaine.

Si elle facilite grandement la tâche des employeurs et leur fait économiser un temps considérable, en particulier ceux qui font face à un très grand nombre de candidatures pour les postes qu’ils mettent au concours, l’utilisation d’algorithmes ne va pas sans poser des problèmes de droit du travail. J’avais traité cette question (avec celle du licenciement prononcé par un algorithme… dont je reparlerai une autre fois), dans un article scientifique paru l’an dernier (« Quand les algorithmes embauchent et licencient », in Müller/Rudolph/Schnyder/von Kaenel/Waas (éd.), Festchrift für Wolfgang Portmann, Zurich 2020 ). En voici un résumé (pour les références complètes, se reporter au texte original).

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Initiatives phytos : c’est non

Je dois avouer que j’ai eu de la peine à me forger un avis sur l’initiative « pour une eau potable propre et une alimentation saine ». En tant que municipal en charge de l’eau potable qui a dû affronter une contamination au chlorothalonil, je dois dire que son titre m’a d’abord séduit. Et puis j’ai lu le texte en détail. Et discuté avec des vignerons et vigneronnes. J’en conclus qu’il s’agit – à nouveau – d’une initiative au titre séduisant, mais au contenu trompeur, car elle ne tiendra pas ses promesses et créera au final plus de problèmes qu’elle ne veut en résoudre. Le même raisonnement est valable pour l’initiative sur les pesticides de synthèse. Je vais donc voter 2x non aux initiatives agricoles le 13 juin.

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