Le droit suisse du travail est-il aussi peu flexible que ne le dit Uber ?

Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé ce dont aucun spécialiste de droit du travail ne doutait : les employés d’Uber ne sont pas des indépendants et lui sont liés par un contrat de travail. Uber n’a pas manqué de protester, arguant que ses chauffeurs « ont clairement exprimé leur souhait de rester indépendants, de conserver leur flexibilité et d’être leur propre patron »*. Uber sous-entend ainsi que le droit du travail auquel sont soumis ses employés ne serait pas assez flexible et les empêcheraient de se sentir « leur propre patron ». Mais si on examine un peu les règles suisses en matière d’organisation du travail et le pouvoir de direction de l’employeur, on se rend compte qu’en réalité, notre droit permet de laisser une liberté énorme aux travailleurs.

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Nouvelle loi sur le renseignement (LRens): inefficace contre le terrorisme, nuisible pour nos libertés 

Comme toutes les lois estampillées « lutte contre le terrorisme », la nouvelle Loi sur le renseignement (LRens) sert surtout à renforcer la surveillance préventive de masse, grâce à des moyens invasifs que le Service de Renseignement de la Confédération (SRC) peut mettre en oeuvre sur la base de simples soupçons ou grâce à l’« exploration du réseau câblé », qui permet de surveiller l’entier des communications électroniques, y compris le flux internet Suisse-Suisse (qui transite souvent par des serveurs étrangers). Ces mesures restreignent beaucoup plus les libertés fondamentales qu’elles ne permettent de lutter contre le terrorisme. Continuer la lecture

Nouvelle loi sur le renseignement (LRens) : le référendum malgré les attentats

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » (Benjamin Franklin)

Les attentats de Paris, Beyrouth et Ankara ont déchaînés les partisans de la nouvelle loi sur le renseignement (LRens), censée donner aux services secrets helvétiques les moyens de lutter contre le terrorisme. Nombreux sont ceux qui jettent l’opprobre sur les référendaires, dont je m’honore de faire partie, les accusant pour les uns d’être des « bisounours qui bradent la sécurité », pour d’autres de « donner honteusement au droit à la sphère privée la priorité sur le droit à la sécurité », pour d’autres enfin d’être carrément des « traîtres qui font un affront aux victimes ». Et la première question des journalistes qui souhaitent m’interroger sur le sujet est presque toujours : « mais pourquoi ne renoncez-vous pas à ce référendum ? »… Et bien, à l’instar du comité référendaire, je persiste et signe : le référendum est justifié et il est nécessaire que le peuple se prononce sur une LRens qui n’améliorera en rien la sécurité, ni ne contribuera à lutter efficacement contre le terrorisme, mais constitue un grave danger pour les libertés démocratiques.

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Surveillance des télécommunications (LSCPT, #BÜPF) : où en sommes-nous ?

Le piratage de « Hacking Team », entreprise produisant entre-autres des « chevaux de Troie », a (re)mis la question de la surveillance des télécommunications numériques sur le devant de la scène. Or il se trouve que le Conseil national a récemment fini le traitement de la révision de la loi sur la surveillance des télécommunications (LSCPT, BÜPF en Allemand). Cette loi a été accusée de tous les maux. On l’a, en vrac, considéré comme l’introduction de l’Etat fouineur, comme étant anticonstitutionnelle ou comme la possibilité donnée à l’Etat de surveiller des milliers de citoyens innocents. La plupart de ces reproches sont mal fondés (on se demande d’ailleurs si leurs auteurs ont lu le projet de loi). Voici donc un petit état de la situation. Continuer la lecture

Quand le libre-échange tue service public et démocratie

De nouveaux traités de libre-échange sont négociés en grand secret. Ils ont pour nom TISA/ACS, TTIP/TAFTA, TPP ou encore CETA. Leurs promoteurs se contentent de dire qu’ils « favoriseront le commerce international ». Mais, pour le reste, ils taisent leur contenu exact. Ce qui n’est pas étonnant. Les versions fuitées de ces accords révèlent en effet qu’ils pourraient avoir des conséquences désastreuses sur le service public, sur le droit du travail, sur la protection de la santé et de l’environnement, sur l’agriculture, mais aussi sur la démocratie elle-même.  Continuer la lecture

Les nouveaux accords de libre-échange menacent le « modèle suisse »

Le succès du « modèle suisse » de cohésion sociale repose notamment sur la qualité du service public, sur la force de notre démocratie et sur une politique économique qui – certes imparfaitement – redistribue les richesses et privilégie la demande, en particulier le pouvoir d’achat. Ce n’est certainement pas un hasard si un pays dont tous les services essentiels (santé, éducation, eau, énergie, transports, etc.) sont en mains publiques est en si bonne santé. Le service public joue un rôle déterminant en matière de cohésion nationale et de redistribution des richesses : il garantit que les prestations nécessaires soient disponibles dans tous le pays à un coût abordable, tandis que les bénéfices des entreprises publiques reviennent aux contribuables.

Or, ces avantages sont menacés par de nouveaux accords de libre-échange qui visent à imposer le primat du marché à de larges pans du service public, tout en restreignant l’usage des droits démocratiques. La Suisse n’est pas partie aux négociations de tous ces accords (la plupart ne concerne formellement que les USA, le Canada et l’UE), mais pourrait se voir forcée de les appliquer, notamment par le biais du « Cassis de Dijon ». Continuer la lecture

La loi sur la surveillance des télécommunications (LSCPT) n’est pas le prélude à l’Etat founieur

Les quasi-totalité des jeunesses de partis ont annoncé leur intention de combattre «par tous les moyens» la révision de la Loi sur la surveillance des télécommunications (Loi sur la surveillance des communications par poste et télécommunication LSCPT; BÜPF en allemand). Elles craignent «un Etat fouineur» doté de moyens démesurés. Il faut dire que dans le contexte du scandale des révélations de M. Snowden à propos de la NSA, il y a de quoi s’alarmer. Lors de la consultation et au moment où le message du Conseil fédéral a été publié, j’étais plus ou moins du même avis. Mais je me suis penché en détails sur le dossier, que ma commission s’apprête à traiter, et suis parvenu à la conclusion que cette nouvelle loi n’est pas un premier pas vers une surveillance généralisée par l’Etat, ni le prélude à l’espionnage politique à grande échelle, détestable spécialité suisse connue depuis l’affaire «des fiches». Au contraire, cette nouvelle loi ne fait qu’adapter aux évolutions technologiques les instruments des autorités de poursuite pénale, tout en respectant strictement les droits fondamentaux et la protection des données. Il ne faut en outre pas confondre cette loi avec la révision de la loi sur le renseignement (LRens), qui, elle, vise à doter une poignée de barbouzes mal contrôlables et mal contrôlés de possibilités de surveillances trop étendues, utilisables en Suisse et à l’Etranger. J’enterai donc en matière sur la révision de la LSCPT et devrais en principe l’accepter en vote final. Continuer la lecture

Les bonnes excuses d’Ueli

Ueli a une belle armée. Enfin, une armée dont il voudrait qu’elle soit belle. Bref, euhm, une armée, quoi. Malheureusement, il n’a pas de sous pour acheter du nouveau matos pour son armée. Mais Ueli est un petit malin et il a toujours une bonne raison prête à l’emploi :
«On a besoin de nouveaux avions pour chasser les Roms.»
«On a besoin d’acheter des avions au pote de Sarkozy, comme ça, Sarkozy sera sympa avec nous et sa femme, elle est drôlement chouette. Et pis, être copain avec le roi de la francophonie, ça peut toujours servir.»
«Le vieux système informatique a planté, il en faut un nouveau.»
«Le nouveau système informatique (celui qu’on avait acheté pour remplacer le vieux) a planté, il en faut un autre.»
«Mon parti veut qu’il y ait un soldat en armes planqué derrière chaque sapin. Et pis, des sapins, y’en a quand même beaucoup par chez nous.»
«Mes consultants me disent qu’il faut acheter des tas de trucs. Mais qu’il faut aussi payer leurs honoraires d’abord.»
« On doit se débarrasser de toute une série de bunkers un peu chérots à entretenir, mais pour ça, il faut se payer un agent immobilier (c’est un consultant qui me l’a dit).»
«On doit se débarrasser de tout un tas de matos dont on a plus besoin, c’est bien la preuve qu’on doit racheter des trucs utiles.»
Et, quand toutes ces bonnes raisons ne suffisent pas à convaincre les plus récalcitrants, Ueli (qui est un petit malin, ne l’oublions pas) en sort une qui marche à chaque fois :
«On doit acheter de nouveaux tanks, parce qu’on en a bousillé quelques-uns dans un accident de la route.»

Chronique de politique chronique parue dans «Le Tromblon»

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Droite vaudoise et sécurité publique: de la parole aux actes

A nouveau, la droite du grand conseil s’est opposée à une proposition socialiste demandant d’augmenter le nombre de postes de la police cantonale, qui, depuis des années, est en sous-effectif avéré et notoire (p. ex.: heures supplémentaires en très grand nombre dont la compensation est difficile). Pourtant, cette même droite aime à colporter à longueur d’année le mythe comme quoi la gauche serait «angélique» en matière de sécurité, et refuserait donc d’agir. Et certains députés de droite d’évoquer, pour preuve, le refus de la gauche et des verts de quelques projets de lois sur le port des cagoules ou le droit de manifester.
Or, ce n’est pas avec de nouvelles lois et autres mesures symboliques que l’on améliore la sécurité publique, mais en donnant les moyens aux forces de l’ordre de faire appliquer les existantes. C’est aussi leur donner les moyens d’être réellement présents, visibles et efficaces sur le terrain. Et cela exige plus d’effectifs, mesure concrète que propose le PS. Mais améliorer la sécurité des vaudoises et des vaudois a un coût, que la droite vaudoise (majoritaire) n’est visiblement pas prête à assumer, l’amendement ayant été refusé en premier débat.

Les débats budgétaires se poursuivent. (à suivre…)

Les gendarmes doivent-ils servir et se taire?

Les syndicats de gendarmes vaudois n’ont pas fait que des heureux en lançant l’initiative dite «opération d’Artagnan» pour une police unifiée (que je soutiendrai à titre personnel). Vu l’ampleur d’une telle réforme et les changements en profondeur qu’elle implique, on peut sans problème l’imaginer. Ce qui est en revanche plus surprenant, c’est la façon qu’ont certains de se plaindre que les gendarmes participent ainsi au débat démocratique. Ainsi, on a pu lire et entendre de nombreux députés de tous bords (radicaux, UDC, socialistes) avant (voir cet article du Temps évoqué sur politis.ch – le blog de Lyonel Kaufmann) et pendant les débats parlementaires de déplorer que les gendarmes soient «allés trop loin», ou qu’ils aient carrément «outrepassé leur devoir de loyauté» en «développant une logique propre et indépendante» dans un contexte de manifestations, grève des amendes et de négociations salariales plutôt musclées. Et un député UDC de clamer aujourd’hui que les gendarmes auraient dû purement et simplement «se soumettre à leurs supérieurs et retirer leur initiative». Allons bon!

«D’Artagnan» a eu le mérite de débloquer plusieurs années d’atermoiement en matière de police. Alors que les cantons voisins ont su faire le choix de la police unifiée, la discussion vaudoise s’enlisait. Ce débat, ce sont les gendarmes qui l’ont provoqué. En cela, ils n’ont ni fait preuve de déloyauté, ni fait pression sur les élus, ni développés une logique propre. Ils ont tout simplement fait une proposition crédible (le fait que le Conseil d’Etat se soit senti obligé d’y opposer un contre-projet le prouve – quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur le fonds) sur un sujet qu’ils connaissent de près. Pour un syndicat, quoi de plus normal en effet que de participer au débat public en faisant usage des droits démocratiques? Cela ne les empêchera pas, quels que soient le déroulement de la campagne et le résultat de la votation, de faire preuve la loyauté envers le pouvoir politique qu’exigent les règles de l’Etat de droit.