Chroniques de souveraineté numérique IV : Proton se prend les pieds dans le tapis Telegram

L’affaire Telegram est une démonstration de souveraineté numérique : un Etat prend des mesures de répression pénale contre le directeur d’une entreprise qui ignore sciemment et constamment ses injonctions judiciaires. Ce qui serait on ne peut plus normal dans le monde analogique soulève l’indignation d’une frange complotisto-libertarienne des milieux de la technologie : l’entreprise de M. Durov étant basée à Dubaï, elle ne devrait se soumettre qu’au droit de cet Etat, quand bien même elle propose des services à des habitants d’autres Etat ou lorsque ces services servent de véhicules à des délits impactant ces autres Etats. Parmi ces orfraies, on retrouve aussi les tenants d’une liberté d’expression absolue… comme si la liberté d’expression couvrait le fait de refuser d’informer les autorités de poursuite pénale enquêtant sur des crimes ne relevant pas de la liberté d’expression comme la pédocriminalité (bon résumé dans « Le Monde » – paywall), les trafics et activités mafieuses en tout genre. Sans oublier que la liberté d’expression a aussi ses limites, notamment en cas de diffusion de messages haineux ou d’atteinte à l’honneur (une restriction dument prévue par tous les textes protégeant les droits fondamentaux).

Dans ce contexte, le patron de Proton a donné un entretien assez hallucinant au « Temps » (paywall), dans lequel, outre le fait de se ranger du côté des complotisto-libertariens évoqués plus haut, il foule aux pieds l’idée même d’une souveraineté numérique. Ce qui est fort dommage, car ce sont justement les entreprises suisses comme Proton qui pourraient profiter d’une politique volontariste en matière de souveraineté numérique. Cette entreprise fournit notamment des services de messagerie chiffrée (pas comme Telegram soit-dit en passant).

Passons en revue ses arguments (extraits de l’article du Temps) :

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Le droit suisse du travail est-il aussi peu flexible que ne le dit Uber ?

Le Tribunal fédéral (TF) a confirmé ce dont aucun spécialiste de droit du travail ne doutait : les employés d’Uber ne sont pas des indépendants et lui sont liés par un contrat de travail. Uber n’a pas manqué de protester, arguant que ses chauffeurs « ont clairement exprimé leur souhait de rester indépendants, de conserver leur flexibilité et d’être leur propre patron »*. Uber sous-entend ainsi que le droit du travail auquel sont soumis ses employés ne serait pas assez flexible et les empêcheraient de se sentir « leur propre patron ». Mais si on examine un peu les règles suisses en matière d’organisation du travail et le pouvoir de direction de l’employeur, on se rend compte qu’en réalité, notre droit permet de laisser une liberté énorme aux travailleurs.

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Libérer les hôtels de la tutelle de booking.com est-il une entrave à la liberté contractuelle ?

Réponse : oui. Mais cette entrave est vraiment justifiée. Qui plus est par des arguments en faveur du libre marché et de la concurrence efficace. Il y a donc de quoi être surpris quand on voit à quel point la frange la plus (ultra)libérale du Parlement fédéral est vent debout contre cette proposition (la « lex booking.com »). Ce qui est aussi très surprenant, c’est que, dans ce dossier, le PLR tient une position hostile aux PME suisses, à l’innovation et à la souveraineté numérique. Mais reprenons depuis le début.

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La réponse de la droite à la précarité ? Encore plus de précarité !

La majorité de droite du Conseil national vient d’accepter un postulat PLR qui veut répondre à l’« ubérisation » des rapports de travail. Ce phénomène est généré par des plates-formes comme Uber, Batmaid ou Upwork qui prétendent uniquement « mettre en relation clients et prestataires de services ». Elles refusent donc d’être les employeurs de ces prestataires (quoi qu’en dise le droit en vigueur dans les pays où elles déploient leurs activités). Cette méthode vise surtout à exonérer les plates-formes de toutes les règles de protection des travailleurs, notamment leur assujettissement aux assurances sociales. Ce n’est rien d’autre que de la sous-enchère et de la concurrence déloyale, car ces travailleurs précaires ont souvent des revenus très très bas (16.- bruts/h pour les chauffeurs Uber !), ne serait-ce qu’à cause des marges exorbitantes prélevées par la plateforme qui les emploie et, parce que cette dernière refuse de payer les charges sociales, ils ont souvent d’importantes lacunes d’assurances sociales. En cas d’accident, de chômage, de maladie, d’invalidité… ou d’atteinte de l’âge de la retraite, ils seront donc mal couverts. Au final, c’est la collectivité qui paiera la note en leur versant aide sociale et prestations complémentaires, pendant que les plates-formes encaissent les bénéfices. Tout le monde est perdant : les travailleurs concernés, qui vivent dans la misère ; les concurrents de ces plates-formes, qui, parce qu’ils paient leur dû, sont moins concurrentiels ; leurs travailleurs, dont l’emploi est menacé ; et les contribuables, qui ramassent les pots cassés. Continuer la lecture