J’ai demandé à chatGPT d’écrire un article scientifique. La suite va vous surprendre…

On dit souvent que les juristes font partie des professions potentiellement menacées par l’IA. C’est ce que dit notamment l’EPFL. Cette vision des choses est certainement biaisée par le droit anglo-saxon, fondé avant tout sur l’étude comparative d’une abondante jurisprudence (case law), émise par des tribunaux de tous niveaux ; il n’est pas étonnant qu’une IA soit plus rapide que les humains pour faire le tri dans une telle masse de données.

Même si le droit suisse (comme le droit continental européen) ne tombe heureusement pas dans de tels travers, il n’en demeure pas moins que le travail du juriste commence par de longues recherches : bases légales, doctrine, jurisprudence. Et qu’à ce petit jeu-là, l’IA a certainement quelques arguments à faire valoir. Mais pour la suite du travail juridique, notamment la construction d’une argumentation, j’ai de gros doutes sur les capacités des intelligences non-humaines. Notamment lorsqu’il faut se montrer créatif pour répondre à des questions inédites (il y en a beaucoup, même dans des domaines juridiques relativement anciens). J’ai donc voulu faire le test avec le désormais célèbre ChatGPT. Qui m’a confirmé que les juristes humains conservent quelques arguments.

J’ai récemment publié un article dans la revue juridique en ligne Jusletter sur un sujet très actuel, mais presque totalement absent de la doctrine et encore plus de la jurisprudence : la relation entre le contrat individuel de travail et la loi sur les cartels (LCart). Car, récemment, le Secrétariat de la ComCo a ouvert une enquête préliminaire sur les pratiques salariales de certaines entreprises du secteur bancaires, ouvrant une brèche pour l’application de la LCart aux contrats individuels de travail. Les conclusions de mon article (pour lequel je n’ai utilisé aucune source postérieure à 2020) en résumé : la LCart ne doit pas s’appliquer aux relations de travail pour les raisons suivantes :

  • Le législateur l’a sciemment exclu, même si cela ne figure pas explicitement dans le texte légal. Cela figure en revanche noir sur blanc dans le Message du Conseil fédéral et dans les travaux parlementaires.
  • Le législateur est toujours très réticent à introduire un contrôle des salaires par une instance étatique, ne le fait que de manière exceptionnelle et n’a jamais eu l’intention de confier pareille tâche à la ComCo.
  • La LCart s’applique à la concurrence sur le marché des biens et services et non à celui des facteurs de production, comme le travail.

Une fois mon article validé par le comité de relecture, j’ai posé les mêmes questions à ChatGPT. Voilà ce qu’il (ou elle) m’a répondu (avec mon commentaire en italique) :

Questions : La loi suisse sur les cartels (LCart) s’applique-t-elle aux contrats individuels de travail? S’applique-t-elle aux échanges d’informations entre employeurs à propos des conditions de travail et de salaire?

Réponses de ChatGPT :

La Loi suisse sur les cartels (LCart) ne s’applique pas directement aux contrats individuels de travail.

Ok, c’est un bon début. C’est après que ça se gâte.

Cependant, elle peut s’appliquer aux accords conclus entre employeurs qui ont pour effet de restreindre la concurrence en matière de recrutement et de rémunération des travailleurs. Par exemple, des accords entre employeurs visant à fixer des salaires minimaux ou des conditions de travail communes pourraient être considérés comme des restrictions de la concurrence et, par conséquent, être soumis à la LCart.

En fait, non. C’est ce que je montre dans mon article. Ces informations se trouvent notamment dans les messages des diverses moutures de la LCart, facilement trouvables en ligne.


En ce qui concerne les échanges d’informations entre employeurs à propos des conditions de travail et de salaire, cela peut dépendre des circonstances particulières. Si ces échanges d’informations ont pour objectif de fixer les salaires ou les conditions de travail de manière coordonnée, ils peuvent être considérés comme une restriction de la concurrence et être soumis à la LCart.

Toujours pas. C’est aussi ce que je développe dans mon article.

Cependant, s’ils sont motivés par des raisons légitimes telles que l’harmonisation de la qualité de l’emploi ou l’amélioration de la sécurité au travail, ils pourraient être considérés comme légitimes et ne pas être soumis à la LCart.

Bon, alors là il faudrait savoir. L’« harmonisation de la qualité de l’emploi » n’inclut-elle pas les conditions de travail de salaire, que ChatGPT considère deux lignes plus haut comme potentiellement contraires à la LCart ? Bref, notre IA se contredit. Et j’aimerais bien qu’on m’explique d’où sort cette notion de « raisons légitimes ». En tout cas pas de la LCart, qui ne parle que d’« efficacité économique » (art. 5 LCart) pour éventuellement justifier une restriction de la concurrence. Elle contient même une liste d’accord « réputés justifiés » (art. 6 LCart). Mais ces critères ne s’appliquent que si ladite restriction tombe vraiment dans son champ d’application, ce qui n’est pas le cas de ce qui a trait aux relations de travail.


En général, il est important de noter que la LCart vise à protéger la concurrence loyale…

Pas exactement, mais il y a de l’idée. La LCart vise à combattre les abus des cartels ce qui n’est pas exactement la même chose que la concurrence loyale. C’est la Loi sur la concurrence déloyale (LCD) qui vise à protéger cette dernière. En tout cas, la doctrine juridique fait la différence. De manière un peu simplifiée, le prof Roland von Büren, ancien président de la ComCo, a écrit que la LCart protège la quantité de concurrence (voire son existence même) alors que la LCD protège la qualité de la concurrence. Le Tribunal fédéral fait lui aussi une différence. Mais ne chinoisons pas.

…sur le marché et qu’elle peut s’appliquer à différents types d’accords et d’échanges d’informations entre entreprises, y compris dans le secteur de l’emploi.

Ha ben non, comme expliqué plus haut.

Il est donc conseillé de consulter un expert en droit de la concurrence pour évaluer la légalité de tels accords et échanges d’informations.

ChatGPT est pour une fois bien humble : consciente de ses limites, l’IA conseille de faire appel à un vrai spécialiste pour éviter de faire des bêtises. Mais elle ne dit pas s’il doit être humain. Quoi qu’il en soit, les juristes en chair et en os ont encore de beaux jours (de travail) devant eux-elles.

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