L’OIT face à la crise économique

Je fais cette semaine l’intéressante expérience d’être le délégué des travailleurs suisses à la réunion régionale Europe-Asie centrale de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Lisbonne. Contrairement aux autres organisations internationales, l’OIT fonctionne de manière tripartite. Les syndicats et les associations patronales y ont le droit de vote au même titre que les Etats membres (dont la voix compte double) et les décision ne s’y prennent qu’en impliquant toutes les parties.
Cette réunion, on s’en doute, a été placée sous le signe de la crise économique et de la montée du chômage. Crise économique dont les travailleurs ne sont pas responsables mais, dont ils paieront malheureusement le prix. Le Bureau international du travail (BIT – organe exécutif de l’OIT), estime en effet qu’au niveau mondial, 50 millions de personnes perdront leur emploi d’ici l’an prochain. Des sérieuses mesures de relance sont donc nécessaires.Voici quelques éléments importants du point de vue du groupe des travailleurs.
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Les adversaires des accords bilatéraux dérapent sérieusement

« Le temps » rapporte aujourd’hui une information du « Tages-Anzeiger » qui montre à quel point les adversaires du renouvellement de la libre circulation des personnes et de son extension à la Bulgarie et à la Roumanie sont prêts à toutes les bassesses pour répandre leurs mensonges. Selon le quotidien zurichois, le conseiller national UDC et fer de lance du référendum Lukas Reimann serait le réel promoteur de come-to-switzerland.com, un site probablement destiné à faire croire qu’il existerait une filière pour faire venir des chômeurs ou des bénéficiaires de l’aide sociale européens en Suisse, pour leur faire profiter des « généreuses prestations sociales de notre pays ». Ce qui confirmerait les arguments de l’UDC, comme quoi la libre circulation des personnes « favoriserait le tourisme social et menacerait les finances de nos assurances sociales ».

Ce site, probablement factice, est censé inciter les allemands à venir « mieux vivre en Suisse ». Il s’adresse notamment aux bénéficiaires des mesures « Hartz IV« , sorte d’aide sociale pour chômeurs de longue durée, prétendant qu’ils n’auraient, grâce à la libre circulation des personnes, qu’à venir dans notre pays pour y toucher des montants bien supérieurs à ceux dont ils peuvent bénéficier dans leur pays. Et le site de citer en exemple l’assurance-chômage et l’aide sociale helvétiques.

Bien entendu, c’est totalement faux. En effet, pour bénéficier des prestations de l’assurance-chômage, il faut avoir cotisé à l’assurance suisse ou à une homologue d’un pays de l’UE, selon les règles en vigueur en Suisse, c’est-à-dire pendant au moins 12 mois pendant un délai-cadre de 24 mois. Si le chômeur ne remplit pas ces conditions, il ne touche rien. Une personne sans-emploi peut venir chercher du travail en suisse pendant 6 mois, mais ne touche une indemnité de l’assurance-chômage que si elle respecte la durée de cotisation. Bien entendu, les personnes déjà au chômage ou à l’aide sociale visées par le site incriminé ne remplissent pas cette condition et ne peuvent en aucun cas venir en Suisse « profiter de généreuses prestations sociales », car elles n’y ont tout simplement pas droit (en savoir plus). Et, en ce qui concerne l’aide sociale, l’accord sur la libre circulation des personnes prévoit purement et simplement que les ressortissant des pays de l’UE peuvent en être exclues  (art. 2 de l’ALCP), ou se faire retirer leur autorisation de séjour s’ils en deviennent dépendants.

L’accord sur la libre circulation des personnes ne permet donc pas le « tourisme social » dénoncé par l’UDC. Et ce n’est pas un faux site internet qui nous convaincra du contraire, surtout s’il a été mis sur pieds par les soins d’un élu du parti de M. Blocher pour manipuler l’opinion publique.

Mesures d’accompagnement: piqûre de rappel

La votation sur le renouvellement de la libre circulation des personnes et son extension à la Bulgarie et à la Roumanie réveille des peurs légitimes chez les salarié-e-s. En période de crise, quoi de plus normal que de craindre de perdre son emploi à cause d’une concurrence bon marché? Si les statistiques montrent que la libre circulation n’a, globalement, provoqué ni hausse du chômage ni baisse des salaires, des cas de sous-enchère existent bel et bien (et ce sont souvent des élus UDC qui s’y illustrent) et ils ne peuvent être ni tolérés, ni ignorés. Et les salarié-e-s ont tout à fait le droit de s’en inquiéter. Ces cas justifient le maintien et l’amélioration des mesures d’accompagnement. Qui sont efficaces, même si elles ne sont pas sans défauts.
Ces mesures méritent un petit rappel. Par exemple qu’elles sont liées aux accords bilatéraux et tomberont si ceux-ci tombent. Ou alors que l’UDC s’y est systématiquement opposée (peut-être pour protéger les tricheurs issus de ses rangs?). Voici un petit résumé de leur contenu: Continuer la lecture

Libre circulation: Pourquoi les syndicats disent «oui» le 8 février

Les adversaires des accords bilatéraux avancent une série d’arguments erronés pour convaincre les salariés de refuser le renouvellement de la libre circulation des personnes et son extension à la Roumanie et à la Bulgarie. Passons-les en revue, en commençant par les plus grossiers:

Le champion en la matière est l’UDC Yves Nydegger. Récent chouchou des médias, car il parvient fort bien à camoufler ses positions blochériennes pur sucre et son passé dans la secte moon sous un vernis de respectabilité, il prétend que l’UE n’est en somme qu’un valet du grand capital (il faut le faire, quand on est un élu du parti le plus ultralibéral du pays) et que ses récentes décisions défavorables aux syndicats et aux salariés s’appliquent à notre pays. D’où son appel à refuser les accords bilatéraux au nom des travailleurs. Je n’aborderai pas ici son premier argument, dont la discussion ne serait pertinente qu’en cas d’adhésion de la Suisse à l’UE.
Ainsi, M. Nydegger prétend que les arrêts de la Cour Européenne de Justice «Viking», «Laval» (limitation du droit de grève au nom de la libre prestation de service) et «Rüffert» (la libre prestation de service prime sur les conventions collectives; application du principe du lieu de provenance lors de marchés publics) s’appliquent à notre pays. Il prétend d’ailleurs que les «4 libertés» de l’UE (libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises, libre prestation de services) s’appliquent toutes les quatre à notre pays. Il va enfin jusqu’à prétendre que les CCT ne s’appliquent pas aux travailleurs détachés, qui peuvent donc selon lui pratiquer librement la sous-enchère. Et que, pour l’éviter, il faut donc dénoncer les bilatérales.
Mais il raconte un peu n’importe quoi. Tout d’abords parce que la Suisse n’est concernée que par la libre circulation des personnes. C’est tout. Ensuite, parce que ces arrêts, qui ne concernent que la libre prestation de service, ne s’appliquent pas à la Suisse. Ce à quoi le résultat de la votation du 8 février ne changera pas un iota. Enfin, la loi sur les travailleurs détachés (Art. 2) prescrit que les principales dispositions des CCT de force obligatoire s’appliquent bel et bien aux travailleurs détachés. Cette disposition faisant partie des mesures d’accompagnement, elle serait annulée en cas de non le 8 février. Mais cela, l’UDC se garde bien de le dire.
Et, si la Suisse venait à appliquer le principe du lieu de provenance en lieu et place du principe du lieu d’exécution, ce ne serait pas la faute de l’UE, mais bien à cause du conseil fédéral, qui propose une révision du droit suisse des marchés publics allant dans ce sens. Révision qui n’est pas concernée par le vote du 8 février et à laquelle l’UDC ne s’oppose soit dit en passant pas. Au contraire des syndicats et du PS. Mais aussi des cantons et de nombreuses organisations patronales.

D’autres critiquent les mesures d’accompagnement. Qui sont liées aux accords bilatéraux et seront perdues en cas de dénonciation. Et qui ont été récemment améliorées, malgré l’opposition… de l’UDC (mais peut-être s’y oppose-t-elle à cause des ses nombreux membres pris la main dans le sac en pleine sous-enchère…): Par exemple, il y aura 50% des contrôles en plus et les amendes seront doublées. Les mesures d’accompagnement ne sont certes pas parfaites. Mais elles ont été améliorées avant chaque votation concernant la libre circulation des personnes, et les syndicats s’appliquent à les améliorer encore, tant en droit que dans la pratique.

Oui à une libre circulation sans sous-enchère

Toutes les analyses du marché du travail le démontrent: les accords bilatéraux et la libre circulation des personnes ont un effet positif sur l’emploi en Suisse. Ils permettent notamment à notre industrie d’exportation d’avoir accès au marché européen dont dépendent deux tiers des exportations et un quart du PIB helvétiques, ainsi qu’un emploi sur trois. A l’aube de la récession, y renoncer serait déraisonnable.
Cependant, la libre circulation des personnes ne doit pas avoir pour conséquence une baisse des salaires. Qui vient travailler en Suisse doit recevoir un salaire suisse et les salariés de notre pays ne doivent pas être mis en concurrence avec une main-d’œuvre étrangère bon marché. Les syndicats ont donc toujours soutenu la libre circulation des personnes à la condition qu’il y ait des mesures d’accompagnement. Continuer la lecture

La situation économique ne se dégrade pas; le chômage ne va pas augmenter

C’est en tout cas ce qu’on pourrait croire lorsqu’on entend la majorité bourgeoise du grand conseil. Celle-ci vient en effet de refuser (pour la seconde fois) un amendement socialiste au budget demandant une augmentation des moyens à disposition du revenu d’insertion. Au motif que, les années précédentes, le canton n’avait pas dépensé toutes les sommes budgetées. Ben oui, sauf que, ces dernières années, le chômage était en baisse, comme le nombre de dossiers du revenu d’insertion. Il faut dire que la situation économique était bien meilleure.
Il est en revanche clair que le chômage va reprendre l’ascenseur ces prochains mois et que la crise qui s’annonce pourrait bien être dramatique. Dans ces conditions, il est à mon avis fondamental de prévoir suffisamment de moyens pour les mesures d’insertion, car il y a fort à parier qu’elles seront bientôt très demandées. Les bourgeois ne partagent visiblement pas cet avis. Ou alors préfèrent suivre le dogme de l’austérité budgétaire.

Commentaire de la réponse du conseil d’Etat à mon interpellation sur le travail temporaire

Le grand conseil a débattu aujourd’hui de la réponse du conseil d’Etat à mon interpellation sur l’emploi de travailleurs temporaires à l’Etat de Vaud. Le débat fut court, même s’il fut parfois un peu houleux – les élus bourgeois défenseurs du travail temporaires m’y ayant accusé de tous les maux (notamment d’être «le fossoyeur de l’économie vaudoise»). J’avais promis de livrer un commentaire détaillé de cette réponse, le voici. Cette réponse m’inspire trois sentiments: soulagement, goût d’inachevé, inquiétude.
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Enfin une vraie retraite flexible!

La retraite anticipée est une réalité: un salarié âgé de 60 à 64 sur deux n’est plus actif. Mais elle est aussi un privilège réservé à ceux qui sont déjà privilégiés. Certains la prennent dans de bonnes conditions, par exemple parce qu’ils ont pu s’offrir un plan de prévoyance-vieillesse adéquat. D’autres y sont forcés, souvent parce que le marché du travail ne veut plus d’eux. Les faibles chances des plus de 55 ans de retrouver un emploi sont de notoriété publique. Pour ces salariés, retraite anticipée est synonyme de réduction des revenus et de précarité. Continuer la lecture

Débat télévisé sur le pouvoir d’achat

J’étais vendredi soir l’invité du journal de 19h00 sur TSR 1 pour débattre des propositions de l’USS en faveur du pouvoir d’achat. J’étais aussi l’invité de forums sur RSR la première, sur le même sujet.
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Quelques réflexions à ce sujet:

Il est vrai que la crise financière risque d’avoir des effets négatifs sur l’économie suisse, très tournée vers l’exportation. Cependant, il faut aussi noter que l’économie suisse se porte encore plutôt bien, avec un emploi qui a progressé et des carnets de commande pleins. En outre, la forte augmentation de la productivité du travail de ces dernières années n’a pas été redistribuée aux salarié-e-s, dont les salaires ont stagné, malgré les années de croissance. Ce sont plutôt les actionnaires qui en ont profité, ainsi que les managers, l’écart salarial ayant augmenté. En outre, les entreprises ont amélioré leurs marges, et peuvent donc tout à fait supporter une hausse de salaire de 4 à 5%, comprenant la compensation du renchérissement.

En outre les difficultés des marchés internationaux rendent un renforcement de la demande intérieure, donc du pouvoir d’achat, absolument nécessaire. La Suisse n’a aucune influence sur la crise immobilière aux USA, mais elle peut faire en sorte que sa demande intérieure ne faiblisse pas. Car si elle venait à faiblir, la crise risquerait de devenir très grave.

Les fonds pour la formation professionnelle passent la Sarine!

Un résultat d’une votation cantonale est passé presque inaperçu en Suisse romande. Pourtant, le sujet mérite qu’on le relève: le succès du fonds pour la formation professionnelle zurichois. La nouvelle loi cantonale a en effet été largement acceptée en votation populaire (près de 60% de oui), malgré l’opposition de toute la droite (verts libéraux compris) et surtout des milieux patronaux, notamment de l’USAM, qui en avait fait une affaire de principe en lançant le référendum. C’est en effet la première fois qu’un grand canton alémanique se prononce sur ce sujet (SH avait rejeté un tel projet en juin dernier). Et le net succès du fonds zurichois donnera certainement des idées aux autres cantons germanophones. Il apportera aussi de l’eau au moulin des initiatives lancées par la jeunesse socialiste dans de nombreux cantons (dont BS et SG).
Il faut dire que ces fonds sont un réel succès. Dans les cantons romands qui les ont mis en place (GE, FR, NE, VS et JU) ils permettent de répartir les frais de la formation des apprenti-e-s non pas sur les seules entreprises formatrices, mais sur toutes les entreprises, y compris celle qui «resquillent» en profitant des efforts formateurs des autres. En cela, ils encouragement concrètement la création de places de formation pour les jeunes.
En Romandie, seul le canton de Vaud n’a pas (encore) de tel fonds. Mais, fort heureusement, la création d’un fonds est prévue dans la nouvelle loi cantonale pour la formation professionnelle, dont les travaux parlementaires débutent le 3 novembre (les documents soumis au grand conseil se trouvent ici). Je serai membre de la commission parlementaire et ne manquerai pas de revenir sur cet important sujet sur ce blog. Dans notre canton, l’introduction du fonds ne devrait toutefois pas être aussi ardue qu’à Zurich, car les milieux patronaux sont, contrairement à leurs homologues des bords de la Limmat, partisans d’un tel système. Ils ont en effet bien compris qu’il faut soutenir les entreprises qui forment la relève et faire payer celles qui négligent la formation professionnelle.