Mesures d’accompagnement: piqûre de rappel

La votation sur le renouvellement de la libre circulation des personnes et son extension à la Bulgarie et à la Roumanie réveille des peurs légitimes chez les salarié-e-s. En période de crise, quoi de plus normal que de craindre de perdre son emploi à cause d’une concurrence bon marché? Si les statistiques montrent que la libre circulation n’a, globalement, provoqué ni hausse du chômage ni baisse des salaires, des cas de sous-enchère existent bel et bien (et ce sont souvent des élus UDC qui s’y illustrent) et ils ne peuvent être ni tolérés, ni ignorés. Et les salarié-e-s ont tout à fait le droit de s’en inquiéter. Ces cas justifient le maintien et l’amélioration des mesures d’accompagnement. Qui sont efficaces, même si elles ne sont pas sans défauts.
Ces mesures méritent un petit rappel. Par exemple qu’elles sont liées aux accords bilatéraux et tomberont si ceux-ci tombent. Ou alors que l’UDC s’y est systématiquement opposée (peut-être pour protéger les tricheurs issus de ses rangs?). Voici un petit résumé de leur contenu:

La sous-enchère salariale en général
En Suisse, on doit payer des salaires suisses. Si un employeur pratique la sous-enchère, c’est-à-dire verse un salaire inférieur au salaire prévu par la convention collective de travail (CCT) de force obligatoire ou au contrat-type de travail (CTT), il doit rembourser la différence au salariés lésé. Qui, même s’il a signé un contrat individuel contenant un salaire inférieur, ne perd pas son droit à réclamer le salaire plein. Ainsi, l’employeur qui triche ne pourra pas rétorquer que «le salarié était d’accord de recevoir un salaire certes largement inférieur au minimum conventionnel, mais bien plus élevé que celui qu’il pourrait espérer recevoir dans son pays»… Outre le remboursement des salaires, l’employeur fautif devra payer des peines conventionnelles et prendre à sa charge les frais de contrôle. Ça peut coûter cher: This Jenny, entrepreneur et élu UDC (conseiller aux Etats/GL), a dû par exemple rembourser le coquette somme de 250’000.—Fr. aux employés qu’il avait arnaqué.
Certes, toutes les branches ne sont pas couvertes par des CCT de force obligatoire ou par des contrats-type avec salaires minimaux. Et il reste aux syndicats beaucoup à faire pour améliorer la couverture. Ces derniers mois cependant, il y a eu des progrès indéniables: Une CCT a été conclue pour le travail temporaire et les pourparlers ont repris pour qu’une CCT protège les salarié-e-s du marché postal libéralisé. Et le conseil fédéral a donné mandat au Seco de préparer un CTT avec salaires minimaux en faveur de l’économie domestique. C’est d’ailleurs la procédure à suivre: En cas de sous-enchère abusive et répétée par rapport aux salaires usuels de la branche, les autorités fédérales ou cantonales peuvent, en l’absence de CCT de force obligatoire avec salaires minimaux, édicter des CTT (art 360a CO). Certaines l’ont déjà fait.

Les travailleurs temporaires
Le travail temporaire est une source importante d’abus. Il est donc soumis lui aussi aux mesures d’accompagnement. Il faut tout d’abord rappeler un élément important: seules les entreprises suisses peuvent pratiquer la location de service. Une entreprise de travail temporaire étrangère ne peut exercer dans notre pays sans succursale en Suisse. Succursale qui doit, comme toute entreprise de travail temporaire, recevoir une autorisation d’exercer et, pour cela, satisfaire aux règles en vigueur  (Art. 3 LSE). Et notamment fournir les sûretés requises (jusqu’à 100’000.—Fr. notamment lorsque le bailleur pratique la location de service vers l’étranger).
Ensuite, les entreprises de travail temporaire doivent respecter les principales dispositions (notamment en matière de salaire et de durée du travail) des CTT et CCT de force obligatoire (Art. 20 LSE), malgré le fait que les temporaires soient employés non pas par l’entreprise qui loue leurs services, mais par le bailleur. La sous-enchère salariale par le biais de travailleurs temporaires est donc elle aussi illégale.

Les travailleurs détachés
Un autre moyen de contourner les règles salariales suisses est d’envoyer des travailleurs détachés, qui restent les employés d’une entreprise étrangère, mais effectuent leur mission en Suisse. Ils doivent aussi respecter les lois en vigueur en Suisse, ainsi que les principales dispositions (dont: salaire, durée du travail, garanties financières) des CTT et CCT de force obligatoire. (Art. 2 de la loi sur les travailleurs détachés LDet). L’employeur doit aussi s’assurer par contrat que ses éventuels sous-traitants respectent eux aussi ces conditions. Des dérogations à ces principes sont possibles pour des travaux de faible ampleur ou de montage, sauf dans les branches à risque que sont la construction, le second-œuvre et l’hôtellerie-restauration.
En outre, pour faciliter les contrôles, tout détachement doit être annoncé au moins 8 jours à l’avance aux autorités. L’annonce contient notamment un engagement à respecter les conditions de travail et de salaire.

Les indépendants
Les indépendants représentent eux-aussi un fort risque de sous-enchère. Comme un suisse indépendant, un étranger indépendant peut en effet pratiquer les tarifs qu’il souhaite (sauf si ces tarifs sont soumis à une régulation étatique). A condition qu’il soit réellement indépendant selon les normes en vigueur en Suisse. S’il n’est qu’un «faux indépendant» (avec ou contre son gré), les règles du contrat de travail et contre la sous-enchère s’appliquent. Le «mandataire», qui est en fait un employeur, doit payer les arriérés de salaire et d’assurances sociales, car le «faux indépendant» est considéré comme un salarié.
Les indépendants ressortissants d’un pays membre de l’UE doivent eux aussi s’annoncer, ne peuvent exercer que pendant 90 jours par an et, dans les secteurs à risque de la construction, de l’hôtellerie-restauration, du nettoyage, de la surveillance et du commerce itinérant, ils doivent s’annoncer dès le premier jour.
Les sanctions contre les tricheurs
Les sanctions sont nombreuses: Amendes administratives (à l’encontre des personnes physiques et des entreprises) et pénales (seulement contre les personnes physiques, jusqu’à un million de francs; la confiscation de valeurs patrimoniales est possible), interdiction d’exercer, frais de contrôle, peines conventionnelles des CCT, publication dans la liste des employeurs fautif (la pratique a montré que cela a un réel effet dissuasif). Sur demande des syndicats, le montant des amendes sera doublé. Et le nombre de contrôles augmenté de 50%.
Il faut enfin noter que déclarer à tort un salarié comme indépendant est considéré comme du travail au noir et peut être sanctionné par la loi fédérale contre le travail au noir, qui prévoit aussi des amendes.

La page spéciale du seco sur les mesures d’accompagnement

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