Attester d’une identité et émettre des documents d’identité comme des passeports est une tâche importante des cantons et des communes. La révolution numérique nécessite que cela soit désormais possible en ligne. Mais, au lieu d’écouter les nombreux cantons et communes qui étaient prêts à développer une identité électronique (eID), le Parlement fédéral imposé sa privatisation. Si la loi sur les services d’identification électronique est acceptée le 7 mars prochain, ce sont de grandes entreprises comme des assurances, des caisses-maladies ou des banques qui pourront émettre un identifiant électronique pour attester de l’identité des citoyens et des résidents suisses. Ces entreprises privées auront donc le droit d’émettre de véritables passeports numériques. Cette privatisation est aussi une atteinte à l’autonomie communale.
Par ailleurs, rien n’empêche que, demain, des géants du numérique comme Facebook, Amazon ou Google ne se substituent à nos « pétabossons ». La souveraineté de notre pays serait atteinte.
Dans le monde « réel », personne n’aurait l’idée saugrenue de déléguer à des entreprises privées des tâches aussi importantes que certifier une identité ou d’émettre un document pour prouver que l’on est bien soi-même. Certifier officiellement l’identité des citoyennes, citoyens, résidentes et résidents d’un pays, doit impérativement rester une tâche publique. Car seul les collectivités publiques peuvent garantir qu’elles ne feront pas un usage abusif des données qui vont avec l’identifiant numérique. Avec une eID privée, comment, par exemple, empêcher une assurance ou une banque qui aurait délivré votre passeport électronique de vous suivre à la trace pour toutes vos activités numériques ? Sachant que l’eID soumise au vote du peuple permettra notamment d’accéder au dossier électronique du patient et donc à la totalité de nos données de santé, cela fait froid dans le dos…
Le danger de cette nouvelle loi sur l’identité électronique ne réside pas seulement dans la privatisation de l’émission de passeports numériques. Elle comporte aussi un gros risque d’aggraver ce qu’on appelle la « fracture numérique », c’est-à-dire les problèmes que rencontrent les personnes qui n’ont pas assez de moyens financiers ou pas le bon niveau de formation pour utiliser les outils numériques. Cela concerne aussi celles qui ont des difficultés à les utiliser parce n’ont jamais appris à le faire, parmi lesquelles beaucoup de personnes âgées. Avec une eID privée, il y a fort à parier que les entreprises qui la délivreront finiront par facturer les démarches « réelles » comme se rendre à un guichet, téléphoner à un conseiller, recevoir des documents ou des factures sur papier, etc. Beaucoup d’entreprises ont déjà commencé à discriminer les usagers moins bien connectés et les premières victimes sont souvent les plus âgés, qui n’ont par exemple pas d’autre choix que de payer plus cher l’envoi d’une facture « sur papier ». Il n’y a donc rien d’étonnant que les associations de retraitées et retraités appellent à voter non à la loi sur les services d’identification électronique.
Nous devons garantir que le service public continue à fournir des prestations de qualité accessibles à toutes et tous, dans toutes les régions du pays. Il doit y avoir un service public en ligne, c’est vrai ; en tant que municipal en charge de l’informatique, je m’y attelle dans ma commune de Bourg-en-Lavaux. Mais toutes ces prestations doivent aussi pouvoir être délivrée « en vrai » aux mêmes conditions et indépendamment de la situation financière, de la formation ou de l’âge des bénéficiaires. Notre monde moderne a besoin d’une identité électronique, nul ne le conteste. Mais celle-ci doit être émise par les collectivités publiques et ne pas priver les communes de leurs prérogatives. Je vous invite donc à rejeter la loi sur les services d’identification électronique.
Texte paru dans « Le Courrier Lavaux-Oron«
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