Privatisations: le grand retour

Les années 90 ont vu le triomphe du néolibéralisme et la défaite de l’intérêt général. La plupart des gouvernements ont privatisé à tour de bras. Partout, la population a subit baisse des prestations et hausse des tarifs. Les employés des services publics ont vu leurs conditions de travail se dégrader et leur pouvoir d’achat baisser, quand ils n’ont pas purement et simplement dû aller timbrer au chômage. Et, partout, les seuls bénéficiaires ont été les investisseurs privés, dont les affaires ont été d’autant plus juteuses que l’adage «privatisation des bénéfices, socialisation des pertes» a été rigoureusement appliqué: à chaque fois qu’un service privatisé a été en difficulté, l’Etat et les contribuables n’ont pas tardé à voler à son secours.

Cette vague a fait des ravages partout… sauf en Suisse. Car dans notre pays, le peuple, qui est beaucoup plus malin que la poignée de technocrates néolibéraux qui ont lancé cette mode, a dit non à chaque fois qu’il a pu se prononcer sur une privatisation ou libéralisation. Libéralisation du marché de l’électricité? Refusée. Privatisation de la Banque Cantonale Vaudoise? Rejetée. Privatisation du service vaudois des automobiles et de la navigation? Balayée. Projet de Nestlé Waters de racheter des sources d’eau potable dans le canton de Neuchâtel? Retiré suite à la grogne populaire. Privatisation totale de Swisscom? Coulée au Parlement fédéral suite aux menaces de référendum. Privatisation de l ‘éducation grâce aux «bons scolaires» ou «chèques éducation»? En échec dès le stade de la récolte de signatures. Quant aux velléités des cercles ultralibéraux à l’origine du funeste «livre blanc» de privatiser les CFF et d’autres services publics, elles ont été rapidement enterrées face au risque de débâcle majeure dans les urnes.

Mais même gravement blessée, la bête bouge encore. Voilà qu’une nouvelle salve de tentatives de privatisations est lancée. Elle est encore plus stupide que la précédente, car, avec le recul, l’échec total de la plupart privatisations est encore plus évident. Quant aux tentatives de privatiser à tout-va pour tenter de rétablir les finances publiques dans certains pays (p. ex. la Grèce, où l’on tente actuellement de libéraliser le bétonnage du littoral et d’en privatiser l’accès), les conséquences dramatiques pour la population sont immédiatement visibles. Malgré ces évidences, les milieux libéraux repartent à l’offensive. Ils visent surtout trois domaines du service public:

Notre santé

Les partisans des privatisations, les assureurs-maladie en tête, ont malheureusement réussi un coup de maître pour libéraliser le marché de la santé, en particulier les soins hospitaliers stationnaires. La nouvelle planification hospitalière, imposée aux cantons même s’il s’agit d’une de leurs compétences exclusives (ce qui bat en brèche le mythe comme quoi la droite défendrait le fédéralisme…), a pour objectif de mettre les hôpitaux en concurrence… tout en permettant aux assureurs-maladie de faire de juteuses économies pour leur clients des assurances complémentaires. Ces derniers verront en effet une partie de leur facture prise en charge par les contribuables lorsqu’ils se font soigner dans une clinique privée admise sur une «liste LAMAL» cantonale (cf. ce petit rappel des débats vaudois sur le sujet). Cette mise en concurrence, totalement absurde du point de vue de la santé publique parce qu’elle empêche les cantons de réguler l’offre en soins, donc les coûts de la santé, fera pression sur la qualité des soins (on a déjà vu des patients renvoyés trop tôt de l’hôpital parce qu’ils commençaient à coûter trop cher) et sur les conditions de travail du personnel.

Mais cette nouvelle planification hospitalière a aussi pour objectif camouflé d’affaiblir les hôpitaux publics… histoire qu’ils soient privatisés et rachetés par des groupes privés. Hirslanden, multinationale aux mains d’un fonds d’investissement sud-africain et qui s’intéresse de très près aux profits que notre santé peut lui générer, a ainsi ouvertement déclaré son intention de racheter un hôpital cantonal. A Zurich, l’hôpital de Winterthour serait potentiellement concerné. Les 100’000 habitants de cette ville (sans compter ceux de sa périphérie) peuvent commencer à se faire du souci pour la qualité de leurs soins.

Nos transports ferroviaires

Contrairement à la santé, où les tentatives de privatiser sont indirectes et s’appuient sur une législation dont tel n’était pas l’objectif affiché, l’attaque contre le transport ferroviaire est frontale. Samedi, un papier de travail de l’Office Fédéral des Transport a été rendu public. Il vise à encourager les privatisations des compagnies régionales de chemin de fer, en forçant les cantons à mettre au concours leurs lignes pour les livrer à la concurrence du privé, tout en incitant les pouvoirs publics à vendre leurs participations dans lesdites compagnies régionales. Depuis la fin des années 1990, il n’y avait plus eu pareille attaque frontale venant d’un office fédéral, qui a en outre suffisamment de boulot pour éviter de perdre son temps à rédiger pareils délires.

Conséquences des cette proposition absurde: détérioration du service sur les lignes peu rentables, hausse de tarifs pour arrondir les profits des actionnaires privés (notamment par la suppression de la validité du ½-tarif ou de l’AG sur les portions de ligne rentables, comme c’est p. ex. déjà le cas aux Rochers-de-Naye), économies sur le dos de la sécurité, licenciements pour faire pression sur les marges, etc. Bref, un service fonctionnant actuellement à satisfaction serait chamboulé non pas pour l’améliorer (ce serait le contraire qui se produirait), mais pour permettre à des actionnaires de s’enrichir sur le dos de la population. Et, au moindre problèmes, nul doute que les compagnies privatisées devraient appeler les contribuables à l’aide. Ce sera d’ailleurs le cas dès qu’il faudra investir dans les infrastructures: en effet, les compagnies actuellement privées ne sont pas en mesures d’investir pour assurer leur pérennité… voire carrément garantir leurs prestations. La CGN est un exemple très parlant: la compagnie lémanique est majoritairement en mains privées et les privés y ont renforcé leur influence par le biais des augmentations successives de capital. Mais, quand il s’agit d’acheter de nouveaux bateaux ou de rénover les anciens, la facture est pour les contribuables!

Notre énergie

Le marché de l’énergie est à nouveau sur la sellette. Mme Leuthard a ainsi annoncé son intention de le libéraliser complètement, sous prétexte d’un hypothétique accord avec l’UE. Or, ce marché est le symbole de la défaite des ultralibéraux. Contre toute attente, le peuple suisse avait refusé une première tentative de libéralisation en 2002, stoppant net la vague dérégulatrice. Plusieurs années plus tard, notre industrie gourmande en énergie doit une fière chandelle à cette décision populaire, car la libéralisation du marché de l’énergie a toujours été suivie d’une hausse des prix.

Mais les ultralibéraux n’en ont cure. Engoncés dans leurs certitudes selon lesquelles le marché serait «toujours plus efficace que l’Etat» (la bonne blague!), ils font fi de toutes les catastrophes provoquées par les privatisations et libéralisations. La vigilance reste donc de mise et il faut certainement se préparer à de nouveaux combats référendaires pour défendre le service public.

9 réflexions sur « Privatisations: le grand retour »

  1. Bien sûr M. Schwaab, vous avez raison. Mais il y a un point commun entre les entreprises privées et les entreprises publiques. Le propriétaire, qu’il soit privé ou public, doit savoir s’entourer de personnels compétent pour diriger son entreprise. La vraie question est donc: les exécutifs publics sont-ils plus compétents que les conseils d’administrations en ce qui concerne l’engagement des dirigeants d’entreprises et de leurs subalternes ? Je me permet d’en douter, même si je privilégie généralement ce qui est public. La solution, c’est que l’avis du personnel à tous les niveaux soit pris en considération démocratiquement et dans une mesure à définir, bien sûr.

    • Cher Philippe Berney,
      C’est une bonne question! Quand on constate le niveau d’incompétence des managers grassement rémunérés des entreprises privées (et les catastrophes qu’ils produisent – swissair, UBS, CS – même s’ils sont censés être les meilleurs des meilleurs, en tout cas si l’on en croit leur fiche de paie…), on se dit que le secteur public n’est pas si mauvais que ça.

  2. Bonjour Mr. le CN Schwaab,

    Je viens d’écouter votre intervention sur la RTS (radio) sur le contrôle des messages sur internet/blog/etc.

    Que penseriez-vous de proposer plutôt, lors d’une prochaine interpellation au Conseil fédéral, d’introduire dans la loi l’obligation de passer par un système de contrôle de la validité des messages par SMS ? (p. ex. http://www.cath.ch).

    A mon avis, il est faux de vouloir introduire une responsabilité pénale excessive des éditeurs. En revanche, il serait souhaitable qu’ils mettent un place un système pour faciliter la recherche des auteurs des messages contraires à la loi. S’ils ne l’ont pas fait d’eux-mêmes, alors il est temps pour le législateur de s’emparer de cette question…

    Je pense en particulier à des sites comme lematin.ch et assimilés.

    En outre, dans le SMS, il serait possible de faire de la prévention et le temps d’attente du code de validation leur permettra de réfléchir à ce qu’ils viennent d’écrire (et limitera les messages sous le coup de l’émotion).

    En d’autres termes, une mesure efficace, proportionnée et pas liberticide :o)

    • Bonjour Gulli
      Je trouve cette idée très intéressante et elle devrait à mon avis être parfaitement à même d’atteindre le but souhaité. Cependant, je doute qu’elle puisse être imposée par la Confédération (ou un canton) au niveau légal. En effet il s’agit tout de même d’une mesure très précise et assez contraignante pour les éditeurs. Je pense qu’il n’y aurait pas de base constitutionnelle pour leur imposer quelque chose de ce genre en l’absence de violation graves et répétées des droits de tiers.
      Cela dit, cette idée devrait être suggérée aux éditeurs eux-mêmes. Et si une fois, leur responsabilité sur ce qu’ils laissent publier sur leurs sites (j’insiste! 🙂 ) devait être augmentée, il viendraient certainement d’eux-mêmes à des mesures de ce genre. Avez-vous suggéré votre idée à des éditeurs?

      • Ce qu’ils me répondent ? Je ne suis malheureusement pas assez important pour obtenir une réponse officielle. J’ai uniquement leur webmaster qui m’explique que les messages sont sous contrôle et que je peux leur signaler les excès (s’ils ne sont pas déjà supprimés d’office). Et, effectivement, ça marche plus ou moins bien (sur signalement).

        Toutefois, je pense que le système actuel est insuffisant et que l’envoi d’un code de vérification par SMS est le meilleur (actuellement). En tout cas, bien meilleur que Facebook. Certes, on me dit qu’il faut un numéro de téléphone pour ouvrir un compte Facebook. Mais c’est un écran supplémentaire à percer en cas de difficultés…

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