Le pouvoir de la cartographie privée (Chronique de souveraineté numérique, épisode VII)

Récemment l’Allemagne a connu une panne généralisée de Google Map, qui a indiqué à tort la fermeture de plusieurs autoroutes. L’événement pourrait n’être qu’un énième bug d’un produit numérique grand public et nous rappeler que les grandes entreprises qui les proposent ne sont pas aussi toute-puissantes et fiables qu’elles le prétendent. Ou qu’elles le sont généralement bien moins que les services analogiques qu’elles veulent remplacer. Ou encore qu’elles ne sont certainement pas aussi fiables que le bon vieux service public.

Mais c’est un autre aspect de cette panne dont je vais parler aujourd’hui : les bouchons colossaux et l’inadmissible engorgement des routes secondaires que cette panne de Google Maps a provoqué et, plus généralement, l’impact de la cartographie privée sur les infrastructures publiques.

Et les immenses problèmes de souveraineté que cela pose et va poser si les collectivités publiques continuent à se fier aveuglément aux services cartographiques des GAFAM, respectivement ne pas les sanctionner lorsque des erreurs avec de telles conséquences se produisent. Je l’ai déjà écrit ; la description du territoire est un élément central de la souveraineté.

Le bug de Google Maps en Allemagne n’a pas seulement perturbé les utilisateurs concernés, mais aussi des milliers d’habitants de dizaines de localités subitement engorgées par des flots de véhicules, non pas pour des raisons d’intérêt public (travaux, intervention lors d’accident, manifestation populaire), mais seulement parce qu’une entreprise privée en position dominante a été négligente (ce qui n’est d’ailleurs pas la première fois). Ces personnes, dont la santé et la qualité de vie ont été gravement mis en danger, n’avaient rien demandé. Cet exemple pourrait faire sourire s’il était isolé. Mais l’impact des systèmes de navigations privés tels que Google Maps est aussi négatif que récurrent :

  • localités subissant des nuisances constantes parce que situées sur un itinéraire conseillé par l’algorithme, quelles que soient les mesures qu’elles peuvent prendre pour limiter ces nuisances,
  • erreurs sur les cartes qui empêchent les services de secours d’arriver à temps,
  • réseaux d’infrastructures publiques pas entretenus car mal référencés (c’est arrivé à Bourg-en-Lavaux pour des lampadaires, qui avaient subitement disparu des fichiers d’entretien car leur adresse référencée sur Google Maps était fausse), etc. etc.

Et que dire des services publics ou des commerces qui n’apparaissent pas sur ces cartes commerciales pour la seule raison qu’ils n’ont pas payés pour être mis en avant ? Parfois, c’est carrément la sécurité publique qui est en jeu : on se souvient des parcours de jogging de soldats publiés sur Strava révléant avec précision l’emplacement de leur casernes.

Les collectivités publiques doivent donc garder le contrôle de la cartographie. D’abords parce qu’elles ont, comme Swisstopo, des cartes bien meilleures que celles des GAFAM (le plus souvent en libre accès). Mais surtout, parce que se reposer sur une cartographie privée fait perdre le contrôle d’autres politiques publiques, sans s’en apercevoir. Enfin, il manque clairement une norme pénale (assortie de sanctions dissuasives) pour punir les bugs à l’origine d’un chaos comme celui qu’a subi récemment l’Allemagne.

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