Le bilan des quatre sessions

Cela fera bientôt un an que les vaudoises et vaudois m’ont élu au Conseil national. J’ai désormais quatre sessions et une bonne dizaine de séances de commission derrière moi. S’il est encore trop tôt pour tirer un vrai bilan de mon activité parlementaire (je n’ai en effet guère eu l’occasion de suivre des sujets de A à Z), voici néanmoins quelques réflexions personnelles sur cette première année de mandat, que j’espère un peu plus substantielle qu’une succession de tweets.

Le rythme

La première chose qui frappe le petit nouveau sous la coupole, c’est le rythme infernal que subissent les parlementaires. Si, de l’extérieur, les projets législatifs semblent avancer lentement, de l’intérieur, on constate qu’une fois qu’un objet est dans le «pipeline» parlementaire, ça va à toute vitesse. Les objets les plus complexes sont rapidement mis à l’ordre du jour des commissions, qui n’y consacrent que peu de temps. Il faut donc être prêt tout de suite. Et prêt, ça ne veut pas seulement dire avoir lu le message du Conseil fédéral et avoir une ou deux idée de propositions de modifications, c’est les avoir déjà rédigées, c’est avoir un argumentaire complet, c’est avoir des faits pour l’étayer et c’est avoir pris des contacts dans les autres groupes pour trouver des majorités. Le tout en quelques semaines.

Et, lorsque l’objet est débattu, ça va à toute vitesse: s’il n’y a pas de proposition contraire, l’article est accepté sans discussion, parfois sans même que l’on ait pu poser de question. Il en va de même en plénum, où des paquets législatifs importants peuvent être traités en moins d’une heure et presque discrètement, si personne ne fait de proposition contraire à l’avis de la commission.

Ce rythme élevé rend les débats parlementaires très perméables aux propositions de lobbies: le parlementaire qui n’a que peu de temps pour se préparer est tout content qu’une organisation lui fournisse des propositions clef en main et les argumentaires qui vont avec… Et il n’a guère le temps d’aller se renseigner pour obtenir un ou plusieurs autres sons de cloche.

Le niveau des débats

Autre constat: c’est du haut niveau. Tant administration fédérale que les collègues parlementaires sont en général solides, très solides, en particulier dans la commission des affaires juridiques (CAJ-N). Même si l’on n’a pas affaire à un ténor, il faut être sacrément bien préparé pour amener une proposition alternative. Mais ce bon niveau n’exclut malheureusement pas les blocages idéologiques: sur certains points, en particulier le droit du travail ou les questions fiscales, le néolibéralisme est si bien ancré dans certaines têtes que, même si l’on démontre par A + B avec cinq études scientifiques sérieuses à l’appui qu’une position contraire, par exemple, aux mythes dominants du «marché du travail libéral», de la «concurrence fiscale» ou du modèle d’affaire de la place financière encourageant l’évasion fiscale, relève du pur bon sens, rien à faire, elle sera rejetée. Sur certains thèmes, les mythes ont la vie dure: ainsi, deux heures d’explications comme quoi il est faux de prétendre qu’un marché du travail libéral est forcément synonyme de taux de chômage bas, par exemple en démontrant que des pays plus restrictifs que la Suisse (Autriche, Pays-Bas, Norvège…) ont un taux de chômage aussi bas ou que des pays plus libéraux encore en ont un très élevé (USA, GB, Irlande…), rien n’y fait. C’est presque du blocage mental. Fort heureusement, avec le recul conjoint du PLR et de l’UDC, ça a paraît-il un peu diminué depuis la législature précédente, en particulier sur les questions environnementales.

Les deux conseils

Devoir «jongler» avec deux conseils est probablement la différence la plus marquante avec un parlement cantonal. Combien de fois n’entend-on pas «c’est pas grave, les Etats corrigeront»! Il faut d’ailleurs bien admettre que, sur bien des sujets, la chambre des cantons, naguère conservatrice, est désormais plus progressiste que le national. Cela doit être mis en corrélation avec la forte présence de l’UDC au national, alors que le parti blochérien a totalement échoué dans sa «conquête» des Etats.

Les changements

L’activité parlementaire est intense. Pendant les sessions, c’est un travail à plus que 100%. Les séances sont longues, des séances de commission s’y intercalent et, le soir, il y a toutes sortes d’événements intéressants qui permettent de s’informer sur les dossiers en cours, de rencontrer ses collègues en dehors du cadre, de nouer des alliances, de trouver des compromis… ou de finir autour d’une bière le débat du jour (qui est forcément très court en raison des strictes – et nécessaires – limitations de temps de parole!).

Entre les sessions, il faut consacrer un temps de préparation important, d’une part pour les séances de commission et d’autre part pour les débats en plénum dont on est responsable au nom du groupe, car, le moment venu, il faudra être sûr de sa position, afin que la groupe (dont la grande majorité n’a pas pu suivre les dossiers des commission dont elle n’est pas membre) puisse voter «juste» le moment venu.

Cela implique de nombreux changements personnels. En ce qui me concerne, j’ai changé d’emploi et dû abandonner mon poste de secrétaire central à l’USS, pour me consacrer principalement à mon mandat, avec comme activités annexes la présidence romande de l’ASEB et la présidence du réseau des OSEO. Au niveau familial, ce n’est pas facile de jongler non plus, car, pendant les sessions, impossible de garder soi-même ses enfants. Il faut donc s’organiser avec précision… et pouvoir compter sur l’aide du conjoint et des grands-parents! Il faut bien l’avouer, les mandats parlementaires n’ont pas été pensés pour les jeunes parents, même s’ils commencent à être nombreux dans nos rangs.

La «milice»

Ces éléments m’amènent à penser que le système de milice est en train de devenir un mythe. Les parlementaires efficaces et influents sont en effet soit des politiciens à plein temps (donc pas des miliciens), ou des faux miliciens qui sont employés ou mandatés par une grande organisation (p. ex. patronale ou syndicale) qui leur fournit soutien politique, scientifique et logistique. Les «vrais» miliciens, soit ceux qui ont une activité professionnelle importante à côté de leur mandat, eux, rament… ou, comme on l’a vu à l’exemple de M. Spühler, finissent par abandonner leur mandat. Il serait temps d’admettre que, si nous ne voulons pas des politiciens à plein temps, qu’il faudrait au moins mieux les soutenir dans leur activité parlementaire en leur fournissant, comme c’est le cas dans les autres pays, des collaborateurs scientifiques, un bureau et un secrétariat, afin qu’ils puissent développer leurs propres arguments et ne soient pas dépendants de ce que leur fournissent partis, lobbies ou administration. Si nous voulons que le législateur fasse sont travail lui-même et soit à même de parler d’égal à égal avec le gouvernement sans devoir s’appuyer sur des organisations extérieures (qui ont toujours leur propre agenda), il faut mieux soutenir les élus dans leur travail.

Les succès

Même si une année, c’est court, j’ai eu tout de même l’occasion d’enregistrer quelques succès intéressants. Succès qui sont, il faut le souligner, toujours le fruit d’un travail d’équipe, que ce soit en collaboration avec d’autres parlementaires, avec le parti ou l’USS, notamment lorsqu’il s’agit de rédiger correctement une proposition pour qu’elle vise juste, puis de trouver des majorités pour la faire passer.

Parmi les succès auxquels j’ai participé, on trouve l’acceptation par le conseil national de la convention de l’OIT sur la protection de la maternité, le renforcement de la lutte contre les délits d’initié ou l’acceptation de mon postulat sur l’oubli numérique. On trouve aussi la tenue d’un débat urgent sur l’avenir de la place financière et la situation des employés de banques dont les données ont été transmises aux USA.

Encore au niveau des succès, j’ai eu la chance d’avoir deux portraits assez élogieux dans la presse alémanique («Tages-Anzeiger» et «Wochenzeitung»), chose plutôt inhabituelle pour un romand!

Les échecs

Bien entendu, cette première année a aussi été émaillée de quelques échecs. Ainsi, dans le cadre de la révision du délit d’initié précédemment citée, la majorité a refusé de créer un délit d’initié en matière de devise, montrant qu’elle n’avait pas retenu grand’chose de l’affaire «Hildebrand». En matière de lutte contre la fraude fiscale, il a en outre été impossible d’obtenir de plus grandes avancées, la majorité tenant visiblement à protéger coûte que coûte certains tricheurs. Enfin, le PS n’a pas réussi à durcir l’accès aux «forfaits fiscaux» (signez l’initiative pour les abolir!), ni à limiter la croissance des taxes d’étude.

Et, sur un sujet dont je m’occupe depuis de nombreuses années, la stratégie du salami pour étendre tous les horaires de travail en commençant par les horaires d’ouverture des commerce (en particulier le dimanche et la nuit) et subit un coup d’accélérateur au Parlement. Même s’il ne nous a pas été possible de la stopper au Parlement, le peuple s’en chargera certainement!

Un de mes plus grands regrets porte enfin sur le rejet en votation finale du contre-projet direct à l’initiative «Minder» contre les rémunérations abusives. Ce contre-projet aurait permis au peuple de se prononcer sur l’imposition des bonus excessifs de plus de 3 millions de francs. Or, une volte-face de dernière minute des vert’libéraux a condamné ce projet et privé le peuple d’une votation cruciale. Il s’en est fallu de quelques voix. Cet épisode a cependant l’avantage de montrer le peu de constance et de fiabilité du nouveau parti en vogue.

Les interventions personnelles

En une année, j’ai déjà pu déposer de nombreuses interventions personnelles sur de nombreux sujets. Une a été soumise au plénum et acceptée (le postulat sur l’oubli numérique). D’autres sont en attente de traitement soit par la commission (initiative contre les tutelles imposées, à l’ordre du jour de la CAJ-N du 1er novembre), soit par le plénum (postulat sur les retraites anticipées en cas de faillite). Enfin, mon interpellation sur l’admission des enseignants de branches professionnelles à l’IFFP a contribué à enclencher une réforme qui semble aller dans le bon sens.

Il est parfois un peu difficile de se concentrer sur quelques sujets, car la politique fédérale permet de traiter d’une palette de thème beaucoup plus large qu’au niveau cantonal et il est très tentant de faire feu de tout bois en déposant proposition sur proposition. Ce qui n’est pas toujours très productif, ni très utile, quoi qu’en pensent certains classements des parlementaires (les fameux «ranking»), qui donnent de bonnes notes en fonction du nombre d’intervention, indépendamment de la qualité et de l’efficacité d’icelles.

Cela dit, j’ai tout de même plusieurs autres interventions en préparation, en particulier sur la protection des données sur internet.

La «fraktion»

Enfin, comme au parlement cantonal, il est très important de pouvoir compter sur un groupe («Fraktion», en français fédéral parlementaire) solide. Or, le groupe socialiste, est, comme au grand conseil vaudois, extrêmement solide. Il est très équilibré au niveau des âges, des compétences, des centres d’intérêts et des genres. Comme on ne peut pas suivre la grande majorité des sujets (parce qu’on ne siège pas dans la bonne commission), il est important de pouvoir compter sur des camarades de groupe dont on sait qu’ils ont bossé à fond et dont on peut suivre (en général les yeux fermés) les recommandations. Cela dit, il faut aussi savoir de temps en temps (mais pas trop souvent!) s’écarter des recommandations du groupe, ce que j’ai par exemple fait lors d’un vote sur le soutien à la viticulture, défense de ma région oblige.

Quoi qu’il en soit, les succès politique ne se construisent que de manière collective. Les «cavaliers seuls» (et il y en a malheureusement un certain nombre au Conseil national…) ont peut-être du succès dans les médias grâces à leur position fracassantes, mais ne parviennent que rarement à les concrétiser concrètement.

10 réflexions sur « Le bilan des quatre sessions »

  1. Le 16 septembre 2011 dans le journal le Temps votre président Christian Levrat souhaitait la diminution de la banque d’investissement. Maintenant que UBS annonce 10’000 suppressions d’emplois, notamment dans ce secteur, vous devriez applaudir des 2 mains, puisque le souhait de votre président Levrat se réalise. Non?

  2. Bien vu, Philippe! Comme vous pourrez le constater dans ce reportage: http://www.rts.ch/video/info/journal-19h30/4393609-restructuration-chez-ubs-le-sort-de-la-banque-semble-intimement-lie-au-sort-de-la-suisse.html tout en me montrant inquiet pour le sort des personnes qui vont perdre leur emploi, je salue le fait qu’une banque faisant peser un risque systémique sur notre économie et bénéficiant dans les faits de la garantie des contribuables suisses se tourne vers des activités moins risquées et moins gourmandes en capital.

    • « tout en me montrant inquiet pour le sort des personnes qui vont perdre leur emploi, »

      Arrêtez l’hypocrisie M. Schwaab. Vous avez (et vous continuez) depuis de nombreuses années à vomir sur les banques (« bankgster ») et la place financière. Votre parti, affilié au SPD allemand nuit gravement à la place financière et à tous ses acteurs.

      Actuellement, ce sont chaque jour des dizaines d’emplois qui passent à la trappe parce que nous coupons la branche sur laquelle on est assis, avec votre soutien (secret bancaire, fiscalité, etc.).

      Alors lorsque vous venez pleurnichez sur le sort des employés de banques, je ne peux m’empêcher aux nombreuses attaques des socialistes et de leurs amis contre la place financière suisse (Montebourg & Co. inclus).

      Désolé, mais avec tout le respect que je vous dois, vous êtes ici le roi des « faux-cul ».

  3. Merci, je vais la lire, évidemment. Je constate que vous avez contribué à la rédaction de cette étude « scientifique sérieuse », ce qui n’enlève rien à sa valabilité, mais qui devrait néanmoins vous amener à un peu plus de retenu quant à l’appréciation de ladite étude….

  4. Ping : Bilan des quatre sessions (an 2) | Jean Christophe Schwaab

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