Délits d’initié: gros progrès et grosse occasion manquée

Le délit d’initié ne peut être efficacement réprimé en Suisse, malgré un premier renforcement législatif en 2003 suite à la motion de l’ancien conseiller national socialiste valaisan Peter Jossen. En effet, la définition actuelle de ce qu’est une information d’initié et de qui peut être considéré comme un initié est beaucoup trop étroite. Selon l’actuel article 161 du code pénal (CP) n’est un délit d’initié que l’exploitation d’une information susceptible d’influencer le cours de la bourse par un membre d’un organe dirigeant d’une société cotée (initié primaire). Ceux qui apprennent une information privilégiée sans être membre d’un organe dirigeant (initiés secondaires) et s’en servent pour s’enrichir ne peuvent donc être sanctionnés, même s’ils apprennent l’information par le biais… d’un délit d’initié commis par quelqu’un d’autre. Il en va de même pour celui qui utilise une information d’initié portant sur le cours des devises, des métaux précieux ou des matières premières, car il ne s’agit pas de valeurs échangées à la bourse. Pourtant, le risque de délit d’initié existe aussi pour ces valeurs. On pense, par exemple, aux attaques spéculatives visant le franc suisse: celui qui apprend qu’une telle attaque va avoir lieu ou que le BNS s’apprête à intervenir sur le marché monétaire pour contrer la surévaluation du franc peut en profiter pour s’enrichir sans devoir rendre le moindre compte.

Le Conseil fédéral a donc soumis au Parlement un projet de révision de la loi sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM) pour renforcer la lutte contre le délit d’initié et la manipulation de cours, tant au niveau pénal que prudentiel. Pour se faire, il transfère les délits d’initié et de manipulation de cours du code pénal (art. 161 et 161bis CP) dans la LBVM (nouveaux articles 40 et 40a pour le droit pénal, art. 33e et 33f pour les règles prudentielles) et renforce tant les définitions du délit d’initié et de la manipulation de cours que les sanctions. Désormais, tout personne qui utilise une information privilégiée pourra être punie. Le projet est à saluer dans l’ensemble et la délégation socialiste au sein de la commission des affaires juridiques l’a soutenu avec enthousiasme, tout comme nos élus aux Etats, où l’objet a déjà été traité.

Toujours pas de délit d’initié pour le commerce des devises, des métaux précieux et des matières premières

Malheureusement, ce projet contient une lacune de taille: Il s’en tient strictement au délit d’initié en matière d’actions cotées en bourse (y. c. les dérivés) et ne souhaite toujours pas punir le «délit» d’initié portant sur les devises, les métaux précieux et les matières premières. En ce qui concerne les premières, l’«affaire Hildebrand» a montré que le risque est réel, à plus forte raison en période de surévaluation du franc. Quant aux deuxièmes et troisièmes, s’il n’existe certes pas de bourse pour leur négoce en Suisse, notre pays n’en demeure pas moins une plate-forme importante de leur commerce, par ailleurs soumis lui aussi à de fortes poussées spéculatives. Les socialistes ont donc proposé de maintenir l’art. 161 CP pour que le délit d’initié s’applique aussi à l’exploitation d’informations privilégiées portants sur le cours des devises, des métaux précieux ou des matières premières. La majorité l’a refusé, ne tirant visiblement aucune leçon ni de l’affaire Hildebrand, ni des risques de spéculation qui pèsent sur ces valeurs.

Supprimer la «prime de contrôle» pour rétablir l’égalité de traitement des actionnaires

En outre le conseil fédéral a profité de la révision de la LBVM pour abolir la «prime de contrôle», c’est-à-dire le droit pour celui qui achète des actions de payer plus chères celles qui sont détenues par un actionnaire important (actionnaire détenant une «participation de contrôle»). Cette proposition est aussi à saluer, car elle renforce les droits des petits actionnaires du public, qui, bien souvent, doivent vendre leurs actions à un prix très inférieur à celui qui a été payé à un gros actionnaire. Cette «prime» viole l’égalité de traitement entre actionnaires, entrave la transparence du prix des actions et biaise l’accès au marché. L’Union européenne l’interdit donc à ses Etat membres (directive 2004/25/CE), tout comme la Chine, la Russie et certains Etats des USA. UDC et PLR, pourtant partisans déclaré de la libre concurrence et de l’accès sans entraves aux marchés (principes violés par les «primes de contrôle»), mais toujours favorables aux intérêts des gros actionnaires, ont réussi à convaincre une courte majorité de la commission (grâce à la voix prépondérante du président UDC) de maintenir cette possibilité. Une minorité emmenée par Susanne Leutenegger-Oberholzer (conseillère nationale BL) tentera de convaincre le plénum de se rallier aux arguments du Conseil fédéral (et de la bourse elle-même!) et de supprimer cette «prime». Elle nuit en effet à la compétitivité de la bourse suisse, car elle décourage certains investisseurs, à juste titre rebutés à l’idée de devoir le cas échéant vendre leurs actions moins chères que leurs concurrents détenant une participation de contrôle.

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