La contribution de l’AVS à la lutte pour le climat

Les riches, et notamment le 1% le plus riche, sont les principaux responsables du dérèglement climatique. Et la croissance des inégalité sociales, due à une politique néolibérale qui a toujours choyé les plus aisés, risque de torpiller l’acceptation des mesures pour réduire les émissions de carbone. Il n’y aura donc pas de réduction des températures sans réduction des inégalités ! Or, pour réduire les inégalités, une bonne méthode est de renforcer l’AVS. Notre principale assurance-sociale est en effet un formidable outil de redistribution des richesses. C’est même le plus efficace et important de tous ceux que nous avons. Renforcer l’AVS, c’est donc (aussi) prendre soin du climat !

Associer AVS et lutte pour le climat peut sembler incongru. A part peut-être quand on parle des placements du fonds AVS, qui pourraient être beaucoup plus favorables au climat qu’ils ne le sont. Mais l’AVS a aussi une qualité dont on parle rarement, mais qui est cruciale en matière d’atteinte des objectifs climatiques auxquels nous devons nous astreindre : notre premier pilier est un formidable outil de redistribution des richesses. Pour cette raison, un renforcement de l’AVS mériterait une bonne place sur les banderoles des manifestations pour le climat.

Car l’inégale répartition des richesses est une des causes majeures tant du dérèglement climatique que du manque d’acceptation des mesures pour le combattre. En effet, plus un pays est riche, plus il émet de CO2 par habitant (et c’est pire si on prend en compte les émissions à l’étranger générées par la production de biens et services consommés à l’intérieur du pays). On en conclut souvent que ce sont les pays les plus développés qui doivent fournir l’effort le plus important pour sauver le climat. Mais ce constat est aussi valable dans une analyse interne à chaque pays ; plus on est riche, plus on a une mode de vie qui contribue au réchauffement. Selon un rapport du World Inequality Lab paru en janvier 2023, les 10% les plus riches de la planète contribuent à près de la moitié (48%) des émissions de gaz à effet de serre mondiales, tandis que la moitié la plus pauvre ne participe qu’à 12% de ces émissions. Mais ces inégalités sont encore exacerbées du côté des super-riches : si l’on ne prend en compte que le 1% le plus fortuné, il est responsable de près de 17% des émissions annuelles. Et la situation ne s’est pas améliorée, au contraire : selon les analyses de l’ONG oxfam, c’était 15% sur la période 1990-2015.

Les inégalités ne frappent pas qu’au niveau des causes du réchauffement ; elles influencent aussi leurs conséquences et les moyens de les combattre. Ainsi, 75% des pertes de revenus dues au changement climatique sont susceptibles de frapper la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Les 10% les plus riches, eux, ne seront touchés que par 3% des pertes. Et cela se vérifie au niveau local : par exemple, le Plan climat de la Ville de Vevey a montré que les quartiers populaires sont le plus susceptibles de subir les nuisances dues à la hausse des températures et aux autres atteintes à l’environnement (ilots de chaleur, trafic motorisé)… alors que les beaux quartiers sur les hauteurs de la ville pourront toujours compter sur une agréable fraîcheur et une douce quiétude. Le rapport du World Inequality Lab montre par ailleurs de grosses différences dans les capacités financières à agir pour la lutte contre le changement climatique. Ainsi les pays les plus riches détiennent 76% des capacités mondiales de financement, contre 2% pour la moitié la plus pauvre.

Les super-riches ne font pas que contribuer de manière disproportionnée au dérèglement climatique, leur mode de vie torpille aussi les mesures de lutte : une étude récente (Gössling/Humpe, 2023) a en effet montré que la croissance du nombre de millionnaires en francs suisses dans le Monde jusqu’en 2050 va consommer 72% du budget carbone qu’il nous reste pour limiter à 1,5°C la croissance des températures.

L’existence même des inégalités est enfin de nature à torpiller les politiques publiques de réduction des émissions : comment, par exemple, faire accepter aux classes modeste et moyenne une hausse des taxes sur l’énergie quand une richissime starlette pose tout sourire sur Instragram lors d’un vol en jet privé d’une quinzaine de minutes pour aller de Los Angeles… à un autre quartier de Los Angeles ? Plus près de chez nous, un rapport de Greenpeace sur l’utilisation des jets privés en Suisse a montré qu’un seul de ces jets consomme entre 10 et 40 fois plus de CO2 qu’un Suisse moyen et que la famille Hayek (propriétaire de Swatch Group) vole presque tous les deux jours depuis Zurich ou Genève jusqu’à la région biennoise. L’existence de tels excès ne peut que renforcer le sentiment de rejet, qui se cristallise notamment dans des mouvements comme celui des « Gilets jaunes » ou dans le « non » à la précédente mouture de notre loi sur le CO2. Il en va de même lorsque c’est la population entière qui est stigmatisée pour son empreinte carbone, alors qu’en réalité, les classes moyennes et modestes ont un mode de vie qui n’est pas si insoutenable que cela.

S’il y a donc un mode de vie à changer pour atteindre nos objectifs climatiques, c’est d’abord celui des ultra-riches. Et s’il y a des sacrifices à faire, ils doivent d’abord être fait par ceux qui en ont les moyens… et qui sont les principaux responsables. Mieux répartir les richesses en diminuant drastiquement les inégalités permettra donc 1. de limiter les émissions et de contribuer à sauver le climat et 2., générera des moyens pour atteindre cet objectif tout en finançant les indispensables mesures d’accompagnement sociales.

Hélas, nous ne prenons pas vraiment le chemin d’une réduction des inégalités. Des décennies d’hégémonie néolibérale sur les politiques fiscales et économiques ont dramatiquement aggravé la situation, comme le confirme à nouveau le « Rapport sur la répartition 2023 » de l’Union Syndicale Suisse : les écarts entre revenu du travail et du capital se sont creusés, notamment grâce aux allègements fiscaux pour les entreprises, mais aussi à cause de l’explosion des salaires variables pour les hauts cadres et de l’affaiblissement des droits des travailleurs et travailleuses, en particuliers de la négociation collective. Les coupes dans les assurances sociales ou la hausse des primes d’assurance-maladie ont aussi contribué à creuser les inégalités. Et les inégalités de patrimoine ont continué à se creuser, à cause de la sous-enchère fiscale, de la suppression de nombreux impôts sur les successions ou encore des nouveaux privilèges fiscaux pour les actionnaires. Certes, la gauche et les syndicats ont pu stopper quelques-unes de ces contre-réformes par référendum, mais nous avons perdu sur la plupart des propositions qui visaient à inverser la tendance (p. ex. les initiatives « 1/12 » ou « 99% ») et l’idéologie du « moins d’Etat (sauf pour moi) » reste hélas dominante.

Bon, mais alors, l’AVS dans tout ça ? Comme je le disais en introduction, l’AVS apporte une contribution colossale à la redistribution des richesses. Car si le montant des rentes est plafonné, celui des cotisations ne l’est pas. Celui qui a un revenu important paiera des cotisations sur sa totalité, mais, dès que son revenu annuel dépasse 85’000 CHF, sa future rente AVS n’augmentera plus. Ceux qui ont des revenus supérieurs contribuent donc « à fonds perdus » à l’AVS. En outre, même si ce sont des montants modestes, les rentes AVS sont soumises à l’impôt sur le revenu. Une étude parue fin 2021 dans la revue Social change in Switzerland (Hümbelin/Farys/Jann/Lehmann) montre d’ailleurs que l‘AVS est le principal outil permettant de redistribuer (un peu) les richesses dans notre pays. Les assurances sociales, principalement l’AVS et l’AI, sont responsables du 70% de l’efficacité de nos outils de redistribution des richesses.

Ce n’est pas pour rien que les partis bourgeois et les milieux économiques n’ont de cesse de s’attaquer à notre œuvre sociale la plus populaire : en plus de soustraire tout un pan de la prévoyance aux appétits des assureurs-vie, l’AVS a un véritable effet « Robin des bois » : Les gens aisés paient beaucoup et reçoivent peu, les gens modestes paient peu et reçoivent beaucoup. Certes, ces derniers ne reçoivent pas encore assez. C’est pour ça qu’il faudra continuer à lutter pour augmenter les rentes AVS, introduire une 13ème rente ou encore indexer les rentes chaque année. Mais il faudra aussi lutter pour accentuer encore l’effet redistributif de l’AVS. Car rendre les riches moins riches, ce n’est pas seulement bon pour la cohésion sociale. C’est aussi bon pour le climat.

(Texte paru dans le hors-série du Courrier de l’AVIVO, septembre 2023)

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