App SwissCovid : quel paiement du salaire en cas d’auto-quarantaine ?

Un des éléments-clef du succès des mesures contre la pandémie a été l’octroi d’allocations perte de gain (APG) aux personnes qui ont dû, sur ordre médical, s’astreindre à une quarantaine parce qu’elles présentaient des symptômes de covid-19 ou étaient soupçonnées d’être infectées, notamment parce qu’elles avaient été en contact avec de telles personnes. Sans ces mesures, bon nombre de personnes qui auraient dû rester chez elles se seraient rendues à leur travail pour ne pas se retrouver sans revenu, favorisant ainsi la diffusion du coronavirus. Plusieurs pays, notamment ceux où la couverture perte de gain en cas de maladie est notoirement trop faible comme les USA en ont fait l’amère expérience. Le même scénario s’est reproduit dans d’autres pays comme la Suède où des personnes en situation précaire ont préféré se rendre à leur travail au lieu de se confiner, notamment dans le secteur pourtant très à risque des soins aux personnes âgées, ce qui cause un désastre sanitaire. Pour que les mesures contre la pandémie portent leurs fruits, il est donc crucial que les personnes qui doivent se confiner ne perdent pas de revenu (ou en tout cas pas trop), faute de quoi elles feront courir des risques importants à la collectivité, pour des raisons financières qu’on ne saurait leur reprocher.

Dans ce contexte, il est donc important que celles et ceux qui utiliseront l’application de traçage de proximité SwissCovid (mon avis à ce sujet) en suivent les recommandations. Or, si le fait de se mettre en auto-quarantaine sur recommandation de l’application mène à une perte de revenu, beaucoup n’obtempéreront pas, pas uniquement celles et ceux dont la situation est la plus précaire.

Juridiquement, le paiement du salaire en cas de quarantaine est controversé dans la doctrine juridique, désormais fournie (ce qui n’était pas le cas au début de la pandémie). Je soutiens la thèse que le salaire est dû s’il s’agit d’une quarantaine ordonnée par un médecin ou une autorité, comme si le travailleur concerné était malade. En effet, il s’agit là soit d’un cas médical (qui doit être attesté par un médecin, comme en cas de maladie) ou d’une obligation légale reposant sur une décision d’une autorité, deux états de faits qui fondent l’obligation de l’employeur de continuer à payer le salaire (art. 324a CO). Vu la situation exceptionnelle, l’ordonnance du Conseil fédéral a permis que cette charge frappant les employeurs soit allégée par le recours aux APG.

En cas d’auto-quarantaine, c’est-à-dire sur seule décision personnel du travailleur concerné, la situation est plus compliquée. En effet, sauf avis médical démontrant le contraire, la personne concernée n’est pas malade et ne s’appuie pas sur une décision médicale ni sur un ordre d’une autorité, mais sur une simple recommandation. Pendant la phase de confinement, l’OFSP recommandait dans certains cas aux travailleurs de se mettre en auto-quarantaine et à leurs employeurs de faire preuve de souplesse en matière d’exigence d’un certificat médical, dans le but d’éviter une surcharge du système de santé. Même si ce risque est désormais écarté et s’il convient de faire preuve ce genre de la plus grande des prudences face à une recommandation automatisée émise par un algorithme (mais c’est un autre débat), il n’en demeure pas moins que la recommandation émise par l’application SwissCovid est un avis suffisamment sérieux pour justifier qu’une auto-quarantaine soit traitée de la même manière qu’une quarantaine sur ordre médical, et donne donc droit au paiement d’un salaire comme en cas de maladie. L’intérêt public de protéger la santé et d’éviter une « deuxième vague » dont les effets économiques seraient à n’en pas douter dévastateurs renforce encore ce point de vue.

Or, le message du Conseil fédéral pour la base légale permettant la mise en service de l’application précise (en p. 4365) qu’une quarantaine volontaire ne donne pas droit au paiement du salaire, même si c’est une mesure « qui permet d’interrompre la chaîne de transmission ». Cet avis, qui n’est pas un avis de doctrine élaboré et argumenté, est discutable du point de vue du droit du travail. Il n’en demeure pas moins qu’il est défendable, même si, à titre personnel et comme développé ci-dessus, je ne le partage pas. Dans ces conditions, pour garantir le paiement du salaire serait de passer dans tous les cas par un médecin et donc d’éviter les auto-quarantaines. Mais cela risquerait certainement d’engorger les cabinets médicaux et générerait des frais supplémentaires. Afin d’éviter que cette question d’interprétation ne génère des incertitudes dommageables tant pour les salariés et les employeurs que du point de vue de la santé publique, le Parlement fédéral devrait donc, lorsqu’il traitera du projet de base légale modifier le projet pour couvrir 80% du revenu des personnes concernées via les APG, comme cela a déjà été fait pendant la phase de confinement. Cela aura certes un coût non-négligeable pour les caisses publiques (et allégera la charge des entreprises, même si les employeurs cofinancent les APG par leurs cotisations). Mais le succès de la lutte contre la pandémie sera à ce prix. Car une application de traçage de proximité qui recommande des quarantaines que trop peu de monde respecte par craintes de perte financières risque au final de ne pas servir à grand’chose.

3 réflexions sur « App SwissCovid : quel paiement du salaire en cas d’auto-quarantaine ? »

  1. Cher Monsieur,
    J’ai pu lire récemment que vous encouragiez fortement à télécharger cette application sur un réseau social bien connu.

    Permettez-moi de remettre en cause ce genre de publicité. En effet, cette application pose différents problèmes:
    – Tout d’abord, cette application n’a pas fait l’objet de revue par une commission éthique indépendante, alors même que l’application utilise des données personnelles, certes sécurisées et pseudonymisées, mais non anonymes. Or, en tant que juriste, vous devriez savoir que le lancement d’une telle application devrait être soumis à la LRH et donc être sujet à approbation par un comité d’éthique indépendant. Il eût été intéressant de voir l’analyse risque/bénéfice et de s’intéresser à la prise en compte des personnes âgées dans ce processus (qui n’utilisent pour certaines pas de smartphone);
    – Ensuite, l’analyse du préposé fédéral est assez inquiétante, puisque l’on peut fortement douter du respect du principe de proportionnalité dans une telle situation: l’épidémie est au plus bas, des études scientifiques montrent l’inutilité de telles applications sur le plan épidémiologiques, l’efficacité d’une telle application dépend fortement du nombre d’utilisateurs, et l’annonce à un médecin n’est pas obligatoire. Tout porte donc à croire qu’en temps normal une telle application aurait été décriée par n’importe quel préposé à la protection des données;
    – Ensuite, le choix d’utiliser l’API de Google et d’Apple est fortement contestable tant d’un point de vue politique que d’un point de vue de la transparence. En effet, le code source de l’API n’est pas publiée contrairement à ce qu’exige le cadre légal;
    – Enfin, l’on peut craindre des pires dérives lorsqu’un gouvernement autorise une surveillance généralisée de ses concitoyens, même pour un objectif louable.

    On voit bien que les politiciens dont vous faisiez partie sont peu informés sur le sujet… et c’est dommage!

    • « On voit bien que les politiciens dont vous faisiez partie sont peu informés sur le sujet » Visiblement, vous savez tout, et moi rien. Je me demande bien pourquoi diable perdre votre temps à discuter avec un ignare comme moi.

      • J’apprécie votre sens de la répartie et ne voulais pas être condescendant. Je ne prétends pas avoir raison, mais je suis surtout un peu déçu de cet enthousiasme peu nuancé.

        Bien à vous,

        Darnock

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