Le Conseil fédéral a aujourd’hui décidé de ne rien décider à propos de la surévaluation du Franc, qui s’est encore aggravée ces jours derniers. Pourtant, l’abandon du taux plancher par la BNS est une double violation de ses devoirs constitutionnels et légaux. Selon l’art. 99 al. 2 de la Constitution fédérale, le BNS doit en effet mener « une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays ». Vus les dégâts qu’est en train de provoquer la surévaluation du franc, on peut douter que l’intérêt général ait été respecté. En outre, selon l’art. 5 al. 1er 2ème phrase LBN, la BNS doit assurer « la stabilité des prix ». Là encore, vues les tendances déflationnistes que nous devons affronter, on peut aussi douter que la Banque nationale ait rempli ce mandat. Quoi qu’il en soit, le mandat légal de la BNS est incomplet ; il se limite au simple rôle que les monétariste confient à une banque centrale, celle de protéger les intérêts des investisseurs en limitant l’inflation (considérée comme le Mal Absolu), et ce quel qu’en soit le prix, et tant pis si c’est au détriment de l’économie « réelle » en particulier des travailleurs. Voilà une vision pour le moins étroite de « intérêts généraux du pays ». Dans le cadre du débat sur la surévaluation du Franc, le groupe socialiste a fait plusieurs propositions pour préciser les règles institutionnelles qui encadrent la BNS. En effet, il est pour le moins choquant qu’un aréopage de trois personnes, si compétentes soient-elles, puissent prendre des décisions qui ont un tel impact sur l’économie de tout un pays sans avoir de comptes à rendre. Parmi les propositions faites par le PS, il y a la publication des procès-verbaux du directoire de la BNS (déposée par Susanne Leutenegger-Oberholzer). Il y a aussi deux propositions pour compléter le mandat légal de la BNS : Mathias Aebischer propose que la politique monétaire de la BNS vise aussi à assurer le plein emploi (c’est p. ex. le cas de la Reserve Fédérale des USA) et ne se limite donc pas à la seule défense des intérêts des spéculateurs.
Quant à moi, j’ai déposé une initiative parlementaire pour que la politique de la BNS vise à garantir la parité du pouvoir d’achat. Il est en effet fort curieux que la politique des taux de change, en particulier leur stabilité et la parité du pouvoir d’achat, ne fasse pas expressément partie des obligations qui sont assignées à la BNS. Comme le montrent ces deux graphiques, la surévaluation du Franc est importante par rapport à un taux de change qui respecte la parité du pouvoir d’achat :
Sans stabilité monétaire, l’avenir de notre place économique est compromis, ce qui n’est certainement pas dans l’intérêt général du pays. Face à des taux de change très variables et qui ne respectent en rien la parité du pouvoir d’achat, bon nombre de nos entreprises risquent de perdre toute possibilité de planifier leurs coûts de production et leurs prix. Elles risquent fort de perdre des parts de marché. A terme, elles pourraient renoncer à investir dans leurs capacités de production en Suisse ou de délocaliser les capacités existantes. Les conséquences sur le marché de l’emploi ne pourront qu’être négatives.
Et l’indépendance de la BNS dans tout ça ?
Les débat sur la surévaluation du Franc ont en tout cas montré un chose : en matière de politique monétaire, une bonne partie de la classe politique ne fait que répéter à l’envi le mantra de « l’indépendance de la Banque nationale ». Peut-être est-ce pour éviter de prendre ses responsabilités en laissant la BNS se débrouiller… Mais quoi qu’il en soit, même si l’indépendance de la BNS ne saurait être absolue et peut être remise en question, ma proposition ne la remet pas en cause. Elle ne fait que préciser son mandat constitutionnel, tout en la laissant libre du choix des instruments qui lui permettront d’atteindre ses objectifs.
Cher Monsieur,
Je partage votre avis sur le fait que, malheureusement, un grand nombre de parlementaires (en Suisse, comme ailleurs) considèrent que la politique monétaire relève du seul domaine des experts, alors que sous ses airs technocratiques chaque décision de la BNS reste malgré tout un acte politique.
Pour ma part, je ne remets nullement en cause l’indépendance de la BNS dans l’exécution de son mandat. Par contre, il me paraît important que le Parlement prenne ses responsabilités, en particulier en ce qui concerne la définition de ce mandat ainsi que la spécification des outils à sa disposition pour l’atteindre ; cela fait partie des prérogatives du législateur.
Dans un article publié dans la NZZ et Le Temps les 16 et 17 février derniers, j’ai proposé de fournir un nouvel outil à la BNS en l’autorisant à distribuer une « ration monétaire » pour soutenir la croissance, retrouver une inflation positive par le biais principal de la consommation et déprécier le franc. En pratique chaque résident recevrait directement de la BNS une somme d’argent nouvellement créée dont le montant et la fréquence de renouvellement seraient déterminés indépendamment du gouvernement et purement à des fins de politique monétaire.
Cet outil est intéressant à plus d’un titre : il augmente le pouvoir d’achat des ménages et les recettes fiscales sans augmenter le coût du travail ou le taux d’imposition ; il augmente la consommation tout en diminuant l’endettement ; il est libéral car il n’impose rien en terme d’allocation des ressources ; il équitable car il a le même impact pour tous. En outre l’introduction d’une telle ration, en raison de son effet dépréciatif, devrait pousser les investisseurs à vendre la devise helvétique et donc à affaiblir le franc.
Cette proposition est concrète et facile à mettre en place. C’est pourquoi, je serais très heureux de vous rencontrer pour la détailler et en discuter.
En attente de votre réponse je vous adresse mes meilleures salutations.
Michaël Malquarti
Je crains que cette proposition ne génèrent non pas une « inflation positive », mais une surinflation qui, elle, deviendrait néfaste. Par ailleurs, cette proposition s’apparente un peu à un revenu universel, idée que je ne soutiens pas: http://www.schwaab.ch/archives/2012/04/11/pourquoi-les-socialistes-doivent-s%E2%80%99opposer-au-%C2%ABrevenu-de-base-inconditionnel%C2%BB-allocation-universelle/ Je préfère donc en reste au système actuel: les bénéfices de la BNS, s’il y en a, sont reversés aux cantons. Mais il faut alors veiller à ce que ces derniers les utilisent à bon escient!
Merci pour votre réponse. Je ne partage néanmoins pas votre point vue, qui à mon avis provient d’une compréhension imparfaite de ma proposition.
Premièrement, les craintes d’une inflation excessive sont totalement infondées : Pourquoi la BNS, si sage dans son combat contre l’inflation, se mettrait soudainement à sortir de son mandat ? Ma proposition consiste à lui donner un outil supplémentaire pour mieux l’atteindre, en conjonction avec les autres instruments déjà à sa disposition. Ce nouvel outil possède par ailleurs un haut niveau de contrôlabilité : on peut commencer avec de petits montants, observer les impacts sur l’économie et arrêter à tout moment, sans qu’il y ait d’effet multiplicateur difficile à maîtriser par la suite (contrairement au mécanisme habituel de transmission de la politique monétaire qui passe par le crédit bancaire).
Deuxièmement, bien que tentante, l’analogie avec le revenu universel est trompeuse et les objections que vous exprimez à l’encontre de celui-ci ne s’appliquent pas à ma proposition : dans le cas de la ration monétaire, on parle de quelques centaines de francs par mois et par famille sur une période déterminée. En aucun cas il ne pourra s’agir d’un substitut à un salaire. A la limite on peut l’apparenter à une sorte de petit « bonus » pour des ménages qui n’en reçoivent généralement pas. On oublie parfois qu’une mesure qui a un impact marginal immédiat plus important sur les plus pauvres, n’est pas forcément une forme d’assistanat…
Finalement, la distribution de cette ration aura un effet nul sur les bénéfices de la BNS, qui continueront, le cas échéant à être versés, aux cantons et à la Confédération.
Je vous encourage donc grandement à ne pas balayer cette proposition du revers de la main sans l’étudier plus en profondeur. A ce propos, je réitère mon invitation à en discuter avec vous et/ou vos collègues de parti intéressés.
Cordialement,
Michaël Malquarti