Le débat sur le salaire minimum, c’est des gens qui gagnent plus de 15’000.—Fr. par mois qui expliquent à ceux qui en gagnent 3’500 (et moins) que 4’000, c’est trop. Ainsi, le conseiller d’Etat PLR vaudois Philippe Leuba, du haut de son salaire mensuel d’environ 20’000.—Fr., a osé déclarer que, «dans la vie, il n’y a pas que le salaire qui compte». Et le directeur général de Migros, qui, doit, lui, se contenter de la modeste somme de 70’000.—Fr. par mois, a conseillé aux membres de son (petit) personnel qui ne seraient pas contents de leur salaire (très souvent inférieur à 4000.—Fr.) «de changer de job». Ces quelques phrases montrent où se situe le débat: le salaire minimum, c’est une question de redistribution des richesses et de juste rémunérations des efforts. Pour ses adversaires, les travailleurs n’ont pas à profiter des richesses qu’ils créent. Et les pauvres n’ont qu’à rester pauvres. Tout travail mérite un salaire décent
En Suisse, le travail doit en valoir la peine. Or, à moins de 4000.—Fr. par mois pour un plein-temps, difficile de joindre les deux bouts, même dans les régions les moins urbaines. Même si notre économie se porte bien (en tout cas en comparaison avec nos voisins), tous n’en profitent pas. Au contraire, dans de nombreuses branches, en particulier dans quelques grandes entreprises détenues par des milliardaires ou millionnaires (comme Bata, Zara ou Tally Weijl) les bas salaires sont légions. En Suisse, un des pays les plus riches du monde, il y a quelques 300’000 travailleurs pauvres.
Ce ne sont pas comme on pourrait le penser des jeunes, des personnes faiblement qualifiées ou qui viennent d’entrer sur le marché du travail, mais des plus de 25 ans (77% des bas salaires) et de nombreuses personnes qualifiées (33% des bas salaires ont un CFC). Des travailleurs normaux, donc, souvent des parents. Le salaire minimum légal revaloriserait donc de vrais emplois, pas des petits jobs d’appoint et pour étudiant. Il renforcerait le pouvoir d’achat de très nombreuses familles.
Un salaire minimum légal constituerait aussi un progrès en matière d’égalité salariale: ce sont en effet surtout les femmes (70%) qui sont victimes des bas salaires. Les effets de ces bas salaires se font en outre sentir sur la durée: qui a un bas salaire aura une retraite basse et souvent pas de deuxième pilier. Augmenter les salaires aura un effet positif durable, au-delà de la vie professionnelle.
Pas de subventionnement des profits par les contribuables
Lorsque les entreprises qui jouent la carte des salaires de misère font des profits, c’est à l’Etat qu’elles le doivent. En effet, les contribuables les subventionnent indirectement en versant aide sociale, prestations complémentaires, subventions pour les primes LAMAL, etc. à leurs infortunés salariés. Si les entreprises concernées rémunéraient correctement leur personnel, l’Etat n’aurait pas à intervenir. Les patrons concernés ne s’en vantent pas; il s’agit en effet souvent de grands chantres du libéralisme et du non interventionnisme. Les mêmes se plaignent d’ailleurs de manière récurrente de l’augmentation des dépenses sociales.
Grâce au salaire minimum l’aide sociale ferait donc une économie annuelle d’environ 100 millions de francs. Et les assurances sociales pourraient compter sur des recettes supplémentaires de 300 millions de francs (dont au moins 110 pour la seule AVS). Instaurer des revenus décents serait donc une opération gagnante pour les contribuables
La formation professionnelle doit en valoir la peine
Un salaire minimum décent, c’est aussi renforcer l’attrait de la formation professionnelle. Actuellement, il arrive que l’on fasse un apprentissage de 3 à 4 ans pour ne toucher, au final, qu’un salaire qui ne permet pas de vivre. Dans un pays qui, comme la Suisse, doit compter sur une formation professionnelle de qualité, ne pas récompenser de tels efforts est incohérent. Les spécialistes de l’insertion professionnelle recommandent d’ailleurs de voter oui.
Il est par ailleurs absurde de prétendre, comme le font les opposants, qu’un salaire minimum réduirait l’attrait de l’apprentissage et pousserait les jeunes à se contenter d’un emploi non qualifié. Aujourd’hui déjà, les jeunes sont très motivés à faire un apprentissage, alors qu’ils pourraient déjà se contenter d’emplois non-qualifiés payés bien plus qu’un salaire d’apprenti (quelques centaines de francs par mois). Certains de ces emplois sont d’ailleurs déjà payés… plus de 4’000.—Fr.! Les jeunes ne sont pas aussi motivés par le gain immédiat que ne semblent le penser les adversaires de l’initiative. Ils connaissent plutôt la valeur d’une formation et sont prêts à faire quelques sacrifices pour y parvenir. Mais, pour renforcer l’attrait de notre formation professionnelle, il faut que ses sacrifices soient payants, donc garantissent un salaire décent après la formation.
Stop à la sous-enchère!
Dans les branches sans convention collective de travail (CCT) contenant des salaires minimum (58% des salariés!), la sous-enchère salariale est quasi-légale. Le seul moyen qu’ont les autorités d’empêcher le dumping est… de fixer un salaire minimum légal (dans un contrat-type obligatoire). Or, seuls les cantons du TI, VS, JU et GE ont agi, et encore, pas dans toutes les branches menacées. Dans les autres cantons (ainsi que dans les branches de ces quatre cantons sans contrat-type obligatoire), la protection contre la sous-enchère souffre de lacunes béantes. Un salaire minimum légal obligatoire dans tous le pays comblerait cette lacune une bonne fois pour toute. Il réduirait aussi l’attrait du recours à une main d’œuvre étrangère bon marché, car il ne serait plus possible d’engager du personnel à bas prix en faisant jouer la concurrence entre les pays.
Et le partenariat social dans tout ça?
Les adversaires des salaires décents prétendent que l’initiative nuit au partenariat social. D’une part, c’est bien mal connaître le partenariat social que de le réduire à une simple question de salaire minimum. Les CCT contiennent en effet des règles salariales bien plus complexes (p. ex. des échelles tenant compte de l’expérience et de la formation), mais aussi d’autres règles améliorant les conditions de travail (vacances, durée du travail, retraite anticipée, formation continue, participation du personnel, plan social, etc.); en cas d’instauration d’un salaire minimum, les partenaires sociaux ne se retrouveraient certainement pas sans rien à négocier. Par exemple, dans la CCT des banques (dont le salaire minimum est soit dit en passant inférieur à celui du casseur de prix Lidl), un seul article sur 52 traite du salaire minimum.
D’autre part, les adversaires des salaires décents ne pipent mot sur le fait qu’un salarié sur deux ne bénéficie pas du partenariat social. Peut-être est-ce parce que le partenariat social, ils ne le soutiendront que jusqu’au 18 mai. Une fois la votation passée, ils continueront à s’opposer au développement des conventions collectives de travail, voire soutiendront des propositions visant à les affaiblir… Un exemple particulièrement frappant est Dieter Spiess, le président de l’association suisse des marchands de chaussure, branche où les bas salaires règnent en maîtres, qui considère les CCT comme un instrument «digne de la RDA». Voilà ce que certains milieux patronaux pensent vraiment du partenariat social!
Menaces sur l’emploi et les salaires?
Comme souvent lorsqu’on débat d’une proposition syndicale, la droite et les milieux économiques promettent d’indicibles catastrophes en cas de oui. Le salaire minimum n’échappe pas à cette règle: ils l’accusent, en vrac, de tuer les PME, de détruire des emplois et de niveler tous les salaires vers le bas (l’invasion de sauterelles n’a pas encore été citée, mais ça ne saurait tarder). Or, ils négligent totalement le fait qu’aucun de ces effets n’a été constaté dans les pays qui connaissent un salaire minimum légal, que la grande majorité des PME verse des salaires supérieurs à 4000.—Fr. sans s’en porter mal et que les salaires minimaux obligatoires en vigueur en Suisse (p. ex. ceux des CCT de force obligatoires) n’entraînent ni nivellement des salaires, ni pertes d’emplois, ni entraves à l’entrée des personnes peu qualifiées sur le marché du travail. Ainsi, au début des années 2000, les syndicats ont lancé la campagne «Pas de salaires de moins de 3000.—Fr.». Droite et milieux patronaux, s’appuyant sur la pensée économique dominante, prédisaient alors le même genre de catastrophes qu’aujourd’hui. Aucune n’a eu lieu. D’ailleurs, de nombreuses entreprises, sous la pression de la votation, augmentent déjà leurs salaires sans supprimer d’emplois (Lidl, H&M). Et des associations professionnelles de branches qu’on prétend gravement menacées comme les fleuristes, annoncent que leurs salaires ne tarderont pas à atteindre au moins 4000.—Fr. Quant au nivellement des salaires vers le bas, il est tout simplement impossible, car toutes les CCT contenant des salaires supérieurs à 4000.—Fr. resteront en vigueur.
Un effort supportable. Et digne.
Quoi qu’il en soit, l’effort demandé aux entreprises ne correspond qu’à une augmentation de la masse salariale soumise à AVS de 0,5% seulement, répartie sur trois ans. Garantir à toutes et tous un salaire décent est donc un effort supportable, d’autant plus que les personnes concernées réinjecteront cet argent dans l’économie, ce qui stimulera la consommation et créera des emplois.
Le 18 mai, un OUI au salaire minimum renforcera le pouvoir d’achat, limitera la sous-enchère salariale, réduira la pauvreté, fera baisser les dépenses sociales et, surtout, garantira enfin un salaire digne à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs. La richesses n’est pas créée par quelques-uns: toutes celles et tous ceux qui y contribuent doivent en profiter!
Merci Jean Christophe pour se commentaire, qui est juste, précis et avec des arguments qui tiennent la route.
J’espère sincèrement que le peuple Suisse comprendra qu’il est inadmissible que des gens vivent dans la pauvreté. Ce n’est pas l’image que nous voulons donner au monde et pourtant cette pauvreté existe belle et bien.
Alors, respectons nous et votons oui pour un état digne de ces ambitions.
Serge André Sieber
Que répondez-vous à cet argumentaire de la droite conservatrice ?
http://www.commentaires.com/suisse/salaire-minimum-une-punition-collective
Aucun de ces arguments ne résiste si on les confronte avec les faits:
– Il n’y a aura aucun effet de nivellement des salaires, car les CCT actuellement en vigueur prévoyant des salaires plus élevés le resteront.
– Un salaire minimum élevé n’est pas « un appel d’air pour l’immigration », c’est même le contraire. Il ne sera plus possible d’engager du personnel à n’importe quel tarif comme c’est le cas aujourd’hui dans les branches sans CCT de force obligatoire contenant des salaires minimaux. Contrairement à ce qu’avancent ses détracteurs, le salaire minimum est un instrument idéal pour fermer une lacune en matière de lutte contre la sous-enchère. En effet, dans les branches précédemment évoquée, il n’y a pas de limite légale inférieure au salaire et les employeurs peuvent donc engager du personnel étranger à n’importe quel tarif, sans rien risquer. Avec un salaire minimum ce ne sera plus possible.
– Il n’a jamais été démontré sérieusement qu’un salaire minimum avait un effet négatif sur l’emploi. Les menaces actuelles ne reposent donc sur aucune analyse sérieuse.
– La comparaison avec le SMIC français est abusives, car le SMIC est très différent du salaire minimum prévu en Suisse: http://www.schwaab.ch/archives/2014/03/03/le-salaire-minimum-suisse-nest-pas-le-smic/
Que répondez-vous à cet argument en particulier ?
« elles embaucheront seulement le personnel strictement nécessaire et, comme le salaire de base sera élevé, elles préféreront des candidats qualifiés, ou des personnes pouvant attester d’une expérience préalable, dont on pourra attendre une productivité élevée, au détriment de ceux qui ne peuvent présenter qu’un CV réduit – en premier lieu les jeunes sortant de formation » ? (citation tirée du site mentionné ci-dessus)
D’un certain côté, vous semblez effectivement lui donner raison en appuyant sur le fait qu’un salaire minimum excluera l’engagement de travailleurs étrangers peu qualifiés. Mais nos enfants, notamment les apprentis, ne seront-ils pas en concurrence avec des diplômés de hautes écoles françaises (par exemple) qui auront le choix entre le SMIC français ou un salaire de 4’000 fr. en Suisse ? (en particulier dans les zones frontières).
Juste pour l’exemple, accepteriez-vous de postuler avec votre vrai CV (mais sous un nom d’emprunt) à quelques offres d’emploi à Genève cette semaine et publier ensuite sur votre site le résultat de vos postulations ? Pensez-vous que vous serez engagés (en faisant abstraction de vos réseaux ?) ou au moins invités à un entretien ? alors que ce salaire minimum n’est pas encore en place….
La semaine passée, une Française de Lille (!!) (avec plaque française et aucune attache en Suisse) m’a demandé où se trouvait l’entreprise qui l’avait convoquée pour un entretien (poste de secrétaire payée 2’700 fr. (net), j’ai retrouvé l’annonce après par curiosité)…
Je vous assure que cela fait peur (… j’habite un petit village…) ….
Je comprends ces craintes, qui n’ont à première vue pas l’air d’être dénuées de pertinence. Cependant, la réalité montre qu’elle ne se vérifient pas.
En effet, il existe déjà de nombreux salaire minimaux légaux en Suisse: ceux des CCT de force obligatoire. Si les effets décrits étaient réels, ils devraient se vérifier dans les branches en question. Or, tel n’est pas le cas. La décision d’engager ou non une personne dépend de nombreux facteurs, dont certains ne peuvent être mesurés. Il est vrai que sur le papier, un employeur pourrait avoir intérêt à privilégier, à salaire égal, les étrangers plus expérimentés que les jeunes suisses diplômés mais sans expérience. Certes, cela peut arriver, mais c’est loin d’être la règle. Un salaire minimum légal n’y changerait rien, car, en l’espèce, le critère déterminant n’est pas le salaire, mais l’expérience. Or, ce critère a le même poids que le salaire de base soit 3500, 4000 ou plus. En outre, dans bien des cas, un employeur préférera engager un jeune suisse qui connaît le système, connaît l’entreprise ( à plus forte raison s’il y a fait sa formation) et dont il connaît exactement la valeur du diplôme, ce qui ne sera pas forcément le cas pour un étranger dont le diplôme n’est que « jugé équivalent ». Le problème de l’éviction des jeunes résidents suisses par des personnes plus expérimentées est cependant réel. Il sera résolu par des CCT, contenant des échelles salariales qui tiennent compte de l’expérience. Ce système ne disparaîtra pas en cas de oui, au contraire, car l’initiative souhaite encourager la conclusion de CCT.
Votre réflexion sur la concurrence entre les jeunes qui sortent de formation et les salariés étrangers est intéressante. Mais ce que vous décrivez, c’est ce qui se passe aujourd’hui dans les branches sans CCT. Les jeunes suisses ne peuvent régater avec des concurrents étrangers dont le salaire de référence est le SMIC ou un salaire encore plus bas. Avec un salaire minimum, tous auraient au moins la garantie qu’il n’y aurait plus aucun salaire en-dessous de 4000. La formation serait revalorisée et la sous-enchère diminuerait nettement.
Enfin, votre exemple d’un poste de secrétaire à 2700.-/mois est un parfait argument POUR le salaire minimum. En cas de oui, ce genre d’abus, aujourd’hui quasi-légal, ne serait tout simplement plus possible.
Dans l’hôtellerie le salaire de base la CCNT pour les cuisiniers est de 4150.- CHF.
Donc un plongeur sans aucune formation touchera le même salaire qu’un cuisinier avec 3 ans de formation. Trouvez-vous cela vraiment normal ? Nous voyons déjà pointer les revendications salariales de nos cuisiniers…. Donc comment faire ? augmenter encore le prix des plats et du café ? Déjà qu’en 2013 la restauration a subi une large baisse de fréquentation, j’ai bien peur de voir disparaitre à petit feu notre métier pour être remplacé par des fast-food (ce qui à déjà en partie commencé dans les villes comme Lausanne qui eux n’engage que des jeunes sans formation et à temps partiel / sur appel.
Pour le chômage, vu que l’ensemble des salaires va augmenter, de combien va augmenter les dépenses ? Qui va les payer ?
Je regarde dans les pays ayant un SMIC, ce n’est pas si rose que cela. L’Espagne avec son taux de jeunes au chômage faramineux n’a rien arrangé avec son salaire minimal. En France, il faut maintenant bac +6 pour décrocher un CDI de vendeur sinon il n’y a que des contrats de stage.
Les petits métiers sans formation vont soit disparaitre soit redevenir du travail au noir: pas d’assurance, pas d’avs, pas de 2ème pilier.
Est-ce vraiment le genre de société que vous voulez ?
Cher Eric,
Il va de soi que les salaires du personnel qualifié devront être augmenté en proportion. L’introduction du salaire minimum aurait un effet positif général sur l’ensemble des salaires. Les grilles salariales existantes qui privilégient l’expérience et la formation seront bien entendu maintenues.
Ensuite, avant d’évoquer la France comme vous le faites, lisez s’il vous plaît ce billet, qui explique les différences fondamentales qu’il y a entre SMIC et salaire minimum suisse, différences si importantes qu’il n’est pas pertinent de comparer les deux modèles: http://www.schwaab.ch/archives/2014/03/03/le-salaire-minimum-suisse-nest-pas-le-smic/
Quant au travail au noir, nous disposons d’une législation plutôt efficace en la matière.
Enfin, à mon tour de vous poser la question sur le modèle de société que vous souhaitez: Souhaitez-vous que l’on puisse investir 3 à 4 ans de sa vie dans une formation pour, au final, ne pas assez gagner pour vivre décemment? Trouvez-vous normal que les profits de certaines entreprises soient subventionnés par les contribuables via l’aide sociale et les autres prestations sociales (prestations complémentaires, subventions LAMAL, etc.)? Trouvez-vous normal que l’on puisse travailler à plein temps sans pouvoir faire vivre sa famille? Puis que l’on doive demander l’aide de l’Etat une fois à la retraite?