Conseils droit du travail et Covid-19 : bref commentaire à chaud de la convention de l’union patronale sur le télétravail

L’Union Patronale Suisse (UPS) vient de proposer un modèle de convention pour les travailleurs en télétravail (ci-après : MCT). Cela part certes d’une bonne intention, car cette façon de travailler désormais très à la mode (pour ne pas dire indispensable en période de quarantaine) se trouve un peu dans un no man’s land juridique. En tout cas du point de vue de celui ou celle qui ne prend pas le temps d’analyser la situation. Malheureusement, la proposition de l’UPS est une catastrophe au niveau des droits des travailleurs. En effet, elle reporte sur ceux-ci toute une série d’obligations fondamentales de l’employeur, dans des domaines aussi importants que le remboursement des frais professionnels, de la protection de la santé et de la protection des données. Mon conseil donc : ne surtout pas signer une convention fondée sur ce modèle. Ni en tant que travailleur, ni en tant qu’employeur. En effet, en tant que travailleur, on risque de renoncer valablement à des droits pourtant importants. Par ailleurs, les travailleurs ne pouvant renoncer valablement à certains autres de leurs droits (art. 341 al. 1 CO), même sciemment, volontairement et de bonne foi, les employeurs qui se croiraient déliés de toute responsabilité grâce à cette convention feraient une énorme erreur qui pourrait leur coûter cher.

Voici quelques points du modèle de convention passés en revue (à chaud) :

Horaires de travail (art. 3 du MCT)

« L’Employé(e) s’engage à respecter les prescriptions impératives de la loi relatives à la durée du travail et du repos. » Il s’agit d’un report de la responsabilité de l’employeur sur ses travailleurs. C’est à lui de veiller au respect des horaires de travail. Cette clause n’a donc qu’une valeur déclaratoire et ne délie pas l’employeur de sa responsabilité de veiller au respect des horaires du travail et des pauses, de même qu’à l’interdiction de travailler la nuit et le dimanche,

Remboursement des frais (art. 5 MCT)

Le modèle de convention reporte les frais professionnels sur les employés. Or, l’art. 327a CO consacré aux frais professionnels est limpide :

1 L’employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail et, lorsque le travailleur est occupé en dehors de son lieu de travail, les dépenses nécessaires pour son entretien.

2 Un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut prévoir que les frais engagés par le travailleur lui seront remboursés sous forme d’une indemnité fixe, telle qu’une indemnité journalière ou une indemnité hebdomadaire ou mensuelle forfaitaire, à la condition qu’elle couvre tous les frais nécessaires.

3 Les accords en vertu desquels le travailleur supporte lui-même tout ou partie de ses frais nécessaires sont nuls.

Le MCT est donc illégal sur ce point.

 Santé et ergonomie au travail (art. 6 MCT)

« L’Employé(e) s’engage à respecter les dispositions de sécurité et d’ergonomie ». Veiller au respect des dispositions de sécurité et d’ergonomie est d’abord la tâche de l’employeur (art. 6 LTr, art. 328 CO). Il doit prendre toutes les mesures appropriées pour protéger la santé et la sécurité de son personnel, les payer et veiller à leur bonne mise en œuvre. Certes, les employés doivent respecter les mesures imposées par l’employeur, le cas échéant collaborer à leur mise en œuvre, mais la responsabilité de base demeure chez l’employeur qui ne peut pas s’en exonérer, même avec un accord conclu de bonne foi par le travailleur. Là encore, cette clause n’a qu’une portée déclaratoire et ne délie pas l’employeur de sa responsabilité de tout mettre en œuvre pour protéger la santé de son personnel, y compris lorsqu’il travaille hors de ses locaux.

Protection des données (art. 7 MCT)

« L’Employé(e) est rendu(e) attentif(ti-ve) à la confidentialité des données qu’il/elle traite. Il/elle s’engage notamment à prendre toutes les mesures nécessaires afin de préserver la sécurité informatique de ces données et d’éviter toute intrusion dans les systèmes informatiques de l’Employeur. (…) Toute violation de cet article peut entraîner la résiliation sans délai de la convention de télétravail ainsi que des sanctions disciplinaires. En outre, l’Employeur se réserve le droit de réclamer à l’Employé(e) tout dommage en résultant (art. 321e CO). » Voici un autre report illégal de responsabilité de l’employeur sur le travailleur. Cette clause revient à faire assumer les frais liés à la sécurité informatique aux travailleurs (cf. plus haut), mais revient aussi à lui faire assumer une responsabilité qui n’est pas la sienne. Selon l’art. 321e CO, la responsabilité des travailleurs pour les dommages causés à l’employeur est en effet limitée et ne s’étend pas à des tâches pour lesquels ils ne sont pas compétents. Or, nul ne saurait être tenu d’avoir pour son domicile un niveau de sécurité informatique digne d’une entreprise. Les éventuelles sanctions disciplinaires prévues dans l’art. 7 MCT seront abusives, à moins que l’employé ne cause un dommage intentionnellement ou suite à une très grave négligence.

Entrée en vigueur et fin (art. 2)

Une fin unilatérale et immédiate d’une convention de télétravail ne sera en général pas possible. Pour modifier un contrat de travail, il faut soit l’accord des deux parties, soit un congé-modification. Dans tous les cas, une modification à laquelle un travailleur s’oppose ne peut entrer en vigueur qu’à l’échéance de son délai de congé et non immédiatement.

7 réflexions sur « Conseils droit du travail et Covid-19 : bref commentaire à chaud de la convention de l’union patronale sur le télétravail »

  1. Cher Monsieur,

    Je vous félicite de votre article que je me permettrai si vous m’en donnez l’autorisation de reproduire dans son intégralité mentionnant la source.

    Ceci dans le cadre de mon cours de l’option spécifique d’économie et de droit, à la classe 3OSEC2 du Gymnase de La Cité ; où j’enseigne les sciences économiques depuis seize ans.

    Je vous confirme aussi la qualité des manuels de l’édition LEP de votre Mère. Ainsi que de votre ouvrage à propos de questions relatives au droit du travail, dont vous êtes un expert spécialiste reconnu confirmé.

    Dans l’attente de votre réponse (angelo.gervasi@hotmail.com et/ou angelo.gervasi@eduvaud.ch), je vous présente, Cher Monsieur, mes cordiales salutations pédagogiques.

    Angelo GERVASI – Economiste HEC ’83 Lausanne Management

  2. C’est un début, il faut espèrer que cela continue dans ce sens.
    Par contre il n’est pas évident pour les entreprises de savoir s’il faut se référer aux articles de lois de la confédération ou des cantons. Il me semble que le canton de Genève a des articles spécifiquement pour le télétravail…
    Les lois devraient être mises en place à partir de l’observation du terrain et répondre à la fois au besoin de performance des entreprises et à la qualité de vie des collaborateurs en télétravail.
    Quel plaisir de participer ensemble à la réussite de la société…

    • Les cantons n’ayant pratiquement pas compétence en droit du travail (à part en matière procédure et éventuellement de salaire minimum comme à Genève), c’est au droit fédéral qu’il faut se référer. Je doute que le canton de Genève ait pu édicter des règles particulières pour le télétravail dans le secteur privé. A quoi faites-vous allusion?

  3. Cher Monsieur,
    J’ai lu attentivement votre bref commentaire. Merci.
    Il me semble que « le droit du travail »,
    est devenu obsolète, je m’explique : le télétravail devient un rapport contractuel entre un employeur et un mandant. Dans nos sociétés « modernes » un contrat de travail en cdd ou cdi est de plus en plus rare. Des sociétés internationales mandatent des sociétés d’emplois temporaires etc.afin que celles-ci leur offrent de la main d’œuvre flexible et bon marché !
    C’est pourquoi, je crois très sincèrement que le modèle économique d’aujourd’hui vit ses derniers moments des trente glorieuses 😉
    Bien cordialement

    • Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Le télétravail reste une relation de travail: un travailleur met son temps à disposition à un employeur qui lui donne des instructions (rapport de subordination) et se trouve dans une relation de dépendance économique. Prétendre qu’il s’agirait de mandat ou d’une autre relation contractuelle reviendrait à déresponsabiliser totalement les employeurs et à faire peser sur les employés le risque économique ou de maladie, les priveraient notamment de congés payés, affaiblirait leur prévoyance vieillesse, invalidité et chômage, etc. Et qui paierait la note? La collectivité, via la hausse des dépenses sociales.
      Bref, c’est ce que tentent de faire Uber et consort, heureusement sans succès. C’est aussi ce que tentent de faire les entreprises dont vous parlez qui engagent du personnel de plus en plus flexible, malheureusement avec la complicité des autorités qui laissent faire… mais doivent quand même payer la note des dépenses sociales.
      Quant à prétendre que ce raisonnement est issus des trente glorieuse, c’est erroné. D’une part, elles sont finies depuis longtemps et d’autre part, une relation « temps contre argent et protection » comme celle qui fonde le contrat de travail reste valable même pour une société de plus en plus axée sur les services.

      • Cher Monsieur,
        J’ai lu avec une grande attention vos propos.
        Je lis actuellement un ouvrage
        Je cite Eloge du carburateur
        Essai sur le sens et la valeur du travail
        Crawford Matthew-B
        2010
        En voici le résumé recopier tel quel, au dos du livre de poche 😉

        « La génération actuelle de révolutionnaires du management considère l’éthos artisanal comme un obstacle à éliminer. On lui préfère de loin l’exemple du consultant en gestion, vibrionnant d’une tâche à l’autre et fier de ne posséder aucune expertise spécifique. Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Imaginez à côté le plombier accroupi sous l’évier, la raie des fesses à l’air. » Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir… un atelier de réparation de motos. A partir du récit de son étonnante reconversion, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle une réflexion particulièrement fine sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales. Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce « travail intellectuel » dont on nous rebat les oreilles, se révèle pauvre et déresponsabilisant. A l’inverse, il restitue l’expérience de ceux qui, comme lui, s’emploient à fabriquer ou réparer des objets – dans un monde où l’on ne sait plus qu’acheter, jeter et remplacer. Le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l' »économie du savoir ».

        Bien à vous.

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