La votation sur la nouvelle loi sur les jeux d’argent (LJar) a déclenché un débat nourri. Il faut dire que les circonstances même du lancement du référendum ont de quoi interpeller : En effet, ce sont des entreprises étrangères, des casinos en ligne basés à Malte ou Gibraltar, qui ont rendu cette votation possible en finançant la récolte de signatures. Et, pendant la phase d’élaboration de la loi comme pendant la campagne référendaire, tous les lobbies en présence (favorables comme opposés à la LJar) ont été offensifs jusqu’au malaise. Au-delà des questions récurrentes sur le financement de la politique en Suisse et sur l’absence totale de règles pour empêcher ces dérives, cela montre que cette votation est surtout une affaire de gros sous et que les forces en présence sont prêtes à tout pour récupérer leur part du gâteau.
Mais il n’y a pas que les circonstances de la votation qui suscitent le débat. Il faut dire aussi que les jeux d’argent – et c’est une bonne chose – ne laissent personne indifférent. Certains, comme les anciens élus fédéraux Pascal Couchepin et Jacques Neyrinck, ont même cru que cette votation était une occasion de se prononcer pour ou contre les jeux d’argent. Ce raisonnement est plutôt naïf, voire témoigne d’une méconnaissance complète de la loi. En effet, la LJar vise à (enfin) fixer des règles pour les jeux d’argent en ligne. Or, ces règles sont presque totalement inexistantes à l’heure actuelle, ce qui laisse le champ libre aux casinos en ligne étrangers pour, d’une part, éviter de financer l’utilité publique et, d’autre part, ne pas protéger les joueurs pathologiques contre l’addiction. La nouvelle LJar vise aussi à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent ou contre le truquage des paris sportifs. Bref il n’est pas très cohérent de refuser la LJar parce qu’on est contre les jeux d’argent.
L’enjeu réel de la votation se situe plutôt au niveau de l’accès au marché suisse des jeux d’argent en ligne. En 2012, le peuple et les cantons ont validé un principe fondamental : le bénéfice des jeux d’argent doit aller à l’utilité publique. Pour les casinos, cela signifie qu’au minimum 40% du bénéfice (avant impôt) doit aller à l’AVS. L’article constitutionnel plébiscité en 2012 prévoit par ailleurs un système de concessions et s’applique explicitement au jeu sur Internet. Mais, si les loteries et paris sportifs doivent reverser la totalité de leur bénéfice au sport, à la culture ou à l’action sociale, les casinos peuvent conserver une partie du leur. Comme toutes les entreprises, ils doivent payer des impôts, mais peuvent garder leur bénéfice net. C’est à qu’interviennent les casinos en ligne étrangers. Ils veulent leur part du gâteau. Actuellement, les bénéfices qu’ils tirent du marché suisse des jeux en ligne vont, selon les estimations, de 150 à 250 millions de francs chaque année. Ces montants colossaux échappent totalement au fisc suisse et à l’AVS, en toute illégalité.
D’ailleurs, un seul argument n’a pas varié du côté des principaux opposants à la LJar : ils veulent une nouvelle loi « libérale », qui ne soit pas « protectionniste ». Les choses sont claires : ce que veulent les principaux opposants, ce n’est pas protéger les joueurs ou la liberté sur Internet, c’est libéraliser le marché des jeux d’argent. Ce n’est pas parce que la prévention du jeu pathologique est insuffisante dans la LJar ; sinon, les milieux de la prévention n’y seraient pas favorables (or, ils soutiennent la loi). Ce n’est pas pour empêcher le blocage des sites internet ; sinon, les opposants ne parleraient pas sans arrêt du Danemark… qui pratique le blocage des sites illégaux. Certains opposants à la LJar sont d’ailleurs favorables au blocage lorsqu’il permet de protéger leurs affaires. Non, derrière le référendum contre la LJar se cache surtout une vision libérale des jeux d’argent. Une simple question permet de s’en assurer : cui bono ? A qui profite le « crime » ? S’ils n’avaient pas beaucoup à gagner dans cette votation, les casinos en ligne n’auraient pas largement financé ni la récolte des signatures, ni la campagne.
En 2012, le peuple et les cantons n’ont pas décidé sans raison de soustraire les jeux d’argent au libre marché. Les jeux d’argent sont dangereux, ils causent des problèmes sociaux et sont souvent utilisés comme moyen de blanchir de l’argent. Dans ces conditions, et à défaut de les interdire, il faut au moins que leurs bénéfices aillent à l’utilité publique et que l’on renforce la prévention du jeu pathologique ainsi que la lutte contre le blanchiment. C’est justement ce que prévoit la LJar, à laquelle j’ai voté OUI.