La droite sabote les règles anti-blanchiment du GAFI… et la réputation de la place financière

Le secret bancaire est mort, il ne permettra plus de couvrir la soustraction fiscale. Les banques doivent mettre un terme définitif à un modèle d’affaire qui reposait sur l’argent non-déclaré. La pression des USA et de l’OCDE y a contribué. Plus le temps passe, moins communauté internationale tolère les transferts opaques dans les paradis fiscaux. Pendant des décennies, le PS s’est battu pour une place financière propre, qui mise sur la qualité de ses prestations plutôt que sur l’argent non-déclaré. Ces récentes évolutions lui donnent raison. La Suisse doit maintenant mettre rapidement en œuvre les nouveaux standards contre l’évasion fiscale. En font partie les nouveaux standards de l’OCDE sur l’échange automatique d’informations et les les recommandations 2012 du Groupe d’Action Financière (GAFI) et du Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Ces nouveaux standards révisés en 2012 font des délits fiscaux graves des infractions préalables au blanchiment et visent à créer la transparence sur les ayants-droit économiques des personnes morales.

Un quarteron de nostalgiques tente de freiner des quatre fers. D’une part avec une initiative populaire qui veut sauver le secret bancaire en Suisse en en faisant carrément un droit fondamental à frauder le fisc. D’autre part, ils ne ménagent pas leurs efforts pour ralentir l’entrée en vigueur de l’échange automatique et torpiller la mise en œuvre des recommandations du GAFI.

Les Etats suivent le Conseil fédéral

Le Conseil fédéral, par son message du 13 décembre 2013, propose de mettre en œuvre les recommandations 2012 du GAFI dans le droit suisse.

Le projet de révision du droit des sociétés, de la loi sur le blanchiment d’argent, de la loi sur les faillites et du Code pénal contient notamment :

  • l’identification de tous les ayant-droit économiques, notamment en cas d’action au porteur ;
  • des restrictions du paiement en espèces ;
  • ainsi que l’introduction des délits fiscaux graves en tant qu’infraction préalables au blanchiment.

Le projet a passé plus ou moins sans encombre le cap du Conseil des Etats, conscient que notre pays n’a pas d’autre choix que de s’aligner sur ces importants standards internationaux s’il veut conserver sa réputation (éviter les «listes noires») et rétablir celle de sa place financière.

Démontage en règle en commission du national

Cependant, en commission du Conseil national, la droite, s’est livré à un démontage systématique du projet. Les nouvelles règles de transparence financière ont été en grande partie vidées de leur substance:

Le seuil pour l’identification de l’ayant-droit économique des actions au porteur n’est valable qu’à partir d’un capital de 250’000 pour les SA (50’000 pour les SàRL) et non dès le premier franc. Les interdictions de payer en espèce ont été supprimées, même lors de ventes immobilières, alors qu’il s’agit d’un terreau très fertile pour les blanchisseurs, qui peuvent rapidement et à bon compte remettre des sommes importantes dans le circuit légal. En outre, quiconque négligera de respecter les nouvelles obligations d’identifier les ayant-droit économiques des actions au porteur… ne sera pas sanctionné, la majorité ayant tout simplement biffé les dispositions pénales.

Quant à la définition des délits fiscaux graves en tant qu’infraction préalables au blanchiment, il s’en est fallu de peu pour qu’elle ne soit valable qu’en cas de délit répété sur deux années consécutives: Les conséquences auraient été qu’une fraude fiscale d’1 million sur un an n’aurait pas été punissable, alors que 600’000.—Fr. sur deux ans le seraient. De même, un délit fiscal commis les seules années paires ne serait jamais reconnu en tant qu’infraction préalable au blanchiment. La majorité étant ténue (voix prépondérante du président), il est possible que cette étape supplémentaire du démontage l’emporte au plénum.

Toutes ces modifications créent autant de niches pour les tricheurs, qui auront beau jeu de calibrer leurs «investissements» de telle manière qu’ils n’auront pas à identifier les ayant-droit économiques, ni risquer de commettre une infraction préalable au blanchiment. La réputation de notre place financière en prendrait un coup et il y a fort à parier que ces règles vidées de leur substance ne satisfassent pas aux nouveaux standards internationaux.

La cerise sur le gâteau: de nouveaux privilèges pour les parlementaires

Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent, les banques ont l’obligation d’appliquer un devoir de diligence accru lorsqu’elles traitent avec des «personnalités exposées politiquement» (PEP). Ces règles, qui n’étaient jusqu’alors valables que pour les relations avec l’Etranger, doivent, selon le GAFI, s’appliquer désormais aussi à l’intérieur des frontières. Le projet du Conseil fédéral propose donc à raison de considérer les membres de l’Assemblée fédérale en tant que PEP.

Mais la majorité de la commission propose d’accorder un privilège aux parlementaires suisses, en les sortants de la liste des PEP, alors que les parlementaires de tous les autres pays y restent. Le fait d’avoir un PEP comme client exige un devoir de diligence accru de la part des intermédiaires financiers, afin d’éviter autant que faire se peut que de l’argent provenant de corruption ne soit blanchi. Il est normal que les parlementaires fassent partie de cette catégorie. Non pas pour des questions d’ego (comme on va le voir plus loin, le fait d’être un PEP n’a que des inconvénients), mais parce qu’il est évident que des parlementaires sont plus susceptibles d’être corrompus que le commun des mortels. Certes, en Suisse, de nombreux parlementaires se disent miliciens et la corruption y est fort heureusement plutôt rare. Mais il n’en demeure pas moins que les parlementaires helvétiques ont un pouvoir équivalent à celui de leurs homologues étrangers, si ce n’est plus important. Il est donc logique qu’ils soient eux-aussi considérés comme des PEP.

Se sortir de la liste des PEP est un privilège, car ce qualificatif n’entraîne que des inconvénients. Comme la plupart des banques, sans attendre la législation, considèrent d’ors et déjà les parlementaires comme des PEP, elles les surveillent déjà de près… voire refusent de les avoir pour clients, car ce genre de clientèle coûte «plus cher» en terme de règles à respecter et de devoir de diligence à appliquer. Certains de nos collègues, dont les comptes ont été clos contre leur gré, en ont fait l’amère expérience. Il n’en demeure par moins que la cohérence exige que, si l’on décide que les parlementaires sont des PEP, tous doivent l’être, y compris les Suisses. En s’octroyant le privilège de ne pas être PEP, la majorité de la commission montre surtout qu’elle est prête à faire usage de n’importe quel prétexte pour refuser toute amélioration de la transparence…

Le PS pose d’autres revendications pour améliorer la transparence

Le PS exige plus de transparence. Nous revendiquons donc notamment la suppression des actions au porteur. La majorité oppose un refus net à cette revendication, montrant qu’elle n’a pas tiré les leçons des pressions actuelles sur notre pays et qu’elle continu à croire, contre l’avis de la principale intéressée, à une place financière dont le modèle d’affaires serait l’opacité et la fraude. La proposition de créer un registre des ayant-droit économiques, autre moyen de savoir qui se cache réellement derrière une société sera débattue cette semaine par la Commission.

Augmenter la transparence est aussi indispensable dans le milieu de l’immobilier. Il serait notamment important de connaître le montant de toutes les transactions. Les bulles immobilières peuvent en effet, comme le montre l’exemple du canton de Genève, être un indice de blanchiment d’argent.

Le plénum du Conseil national, et le cas échéant, le Conseil des Etats devront opérer des corrections sévères par rapport aux propositions de la majorité de la commission, sous peine de voir l’adoption de nouveaux standards en matière de transparence financière tourner à l’exercice alibi. La réputation de notre pays et de sa place financière ainsi que la crédibilité de leurs engagements en seraient les premières victimes.

(Texte co-rédigé avec Susanne Leutenegger-Oberholzer paru dans le service de presse du PSS)

 

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