Il y a beaucoup de leçons à retenir de la tragédie de l’amiante: Une entreprise qui a sciemment tu la dangerosité de ce matériau, qui a tout fait pour le grand public l’ignore le plus longtemps possible, des autorités qui ont tardé à prendre les mesures qui s’imposaient (interdiction du matériau) et, surtout, un cadre juridique inadapté qui a permis aux responsables de la tragédies de passer entre les gouttes de la justice (en tout cas en Suisse), grâce à la prescription. En effet, comme les mésothéliomes causés par une exposition à l’amiante peuvent se déclarer jusqu’à 45 ans après l’exposition, les éventuels dommages-intérêts et tort moral dont pourraient bénéficier les victimes sont prescrits au moment où la maladie se déclare, car la prescription de 10 ans commence à courir dès la fin de l’exposition et non au moment où la maladie est objectivement perceptible. Le tribunal fédéral a malheureusement confirmé cet état de fait, choquant tant au point de vue humain que juridique: une créance en réparation d’un dommage corporel grave peut se prescrire… avant même d’exister, car, tant que la victime ne peut savoir qu’elle a contracté la maladie, elle ne peut demander réparation, n’ayant subit aucun dommage! Or, la tragédie de l’amiante pourrait se répéter. Avec la même substance d’une part, car de nombreux bâtiments en contiennent et les législations cantonales comme celle du canton de Vaud qui exige un diagnostic avant toute rénovation sont encore rares. Des ouvriers et des habitants pourraient ainsi être exposés à de l’amiante installée avant son interdiction datant de 1990. D’autre part, d’autres substances, comme les nanotechnologies, pourraient provoquer le même genre de dommages différés. Et, comme dans le cas de l’amiante, on ne le saura peut-être que dans plusieurs années, voire décennies. Enfin, la pollution au mercure dans le Haut-Valais révélée récemment montre que des pratiques industrielles tolérées il y a des décennies peuvent continuer à faire des dégâts beaucoup plus tard.
Le Conseil fédéral a compris la leçon et propose donc au Parlement, dans la cadre de la révision du droit de la prescription, de prolonger à 30 ans les délais de prescription en cas de dommages corporels. Certes, 30 ans sont insuffisants en regard de la période de latence du mésothéliome causé par l’amiante, qui peut aller jusqu’à 45 ans, mais c’est déjà un bon début. Le gouvernement a en effet admis que les règles actuelles de la prescription ne sont pas adaptées au risque de dommages différés. Le PS proposera cependant de prolonger ce délai de prescription à 50 ans, afin d’être sûr d’englober la totalité de la période de latence. Comme alternative, il propose que, pour les dommages corporels, la prescription ne commence à courir qu’au moment où ces dommages sont objectivement perceptibles, c’est-à-dire au moment où une éventuelle créance en réparation naît. Ce calcul du délai est d’ailleurs valable pour la majorité des créances. Enfin, le PS propose que la Confédération mette sur pied un fonds financer par l’Etat et les entreprise concernées pour indemniser les victimes de l’amiante que l’incurie des autorités et des employeurs et la brièveté des délais de prescription ont laissé sans chance d’obtenir réparation pour les dommages subis (souvent: la mort).
Cependant, les milieux économiques ne semblent, eux, pas avoir retenu la leçon de l’amiante. Ou alors, ils l’ont retenu, mais persistent à vouloir soustraire les entreprises de leurs responsabilités. On a ainsi assisté à un véritable tir de barrage, economiesuisse et consorts exigeant de la commission des affaires juridiques du conseil national qu’elle remanie le projet pour le conformer à ses désidérata. Les partis de droite, même s’ils ont tous admis le principe de la prolongation de la prescription à 30 ans lors de la consultation, semblent vouloir se plier aux ordres.
La commission vient de commencer ses travaux. On saura bientôt si elle entre en matière et si elle donne la priorité aux intérêts des victimes de l’amiante et des futures victimes d’autres substances et sur ceux des milieux patronaux.
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