L’initiative Lüscher (PLR/GE), qui réclame la libéralisation totale des horaires d’ouverture des échoppes (ou shops) de station-services, est une tranche de salami supplémentaire dans la stratégie qui vise à lever petit à petit l’interdiction de travailler la nuit et le dimanche. Ses partisans, comme toujours, tentent de minimiser son impact en prétendant qu’il ne s’agit que de «rendre service aux consommateurs» en traduisant dans la loi ce qui serait «entré dans les mœurs depuis longtemps». Mais les résultats de la consultation fédérale sur cette initiative démontrent que le front du refus est bien trop large pour qu’on puisse décemment prétendre qu’il s’agit de «simplement s’adapter à l’évolution de la société».
Parmi les opposants à la libéralisation, on trouve bien entendu les syndicats, les partis de gauche et les Églises, traditionnels défenseurs du repos nocturne et dominical. La plupart des cantons se joignent à leur refus. Mais il y a aussi les organisations de petits commerçants et des cafetiers-restaurateurs. Elles refusent ce qu’elles considèrent à juste titre comme une concurrence déloyale: en effet, selon la proposition Lüscher, les échoppes de stations-services pourraient vendre n’importe quoi à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, y compris le dimanche. Les médecins du travail, les inspecteurs et inspectrices du travail ainsi que la FMH (Fédération des médecins suisses) sont également opposés à cette libéralisation, car elle fait peser un gros risque sur la santé des travailleurs et travailleuses concernés. On sait en effet que le travail de nuit peut causer des troubles cardiaques, du sommeil, de la digestion et, c’est une étude récente qui l’affirme, peut doubler le risque de sclérose en plaque chez les jeunes. Les organisations de jeunesse et les milieux de la prévention contre les dépendances combattent aussi la proposition Lüscher, au nom de la protection contre la surconsommation de boissons alcoolisées, qui représentent une bonne partie du chiffre d’affaires nocturne de ces «shops». Enfin, des organisations environnementales craignent une augmentation des nuisances dues au trafic motorisé généré par la clientèle des stations-services.
Malheureusement, la majorité de la Commission de l’économie et des redevances (CER) du Conseil national a choisi d’ignorer purement et simplement les résultats de la consultation qu’elle avait elle-même lancée ! Elle propose au plénum d’entériner ce pas supplémentaire vers une libéralisation totale des horaires d’ouverture de tous les commerces. La prochaine tranche de salami est d’ailleurs en passe d’être coupée, car le Conseil national a déjà accepté la motion Hutter (PLR/ZH), selon laquelle les cantons pourraient, lorsqu’ils fixent les horaires d’ouverture des magasins sur leur territoire, ignorer la législation fédérale sur la protection de la santé des travailleurs et travailleuses.
Le Conseil national doit donc prendre connaissance des résultats de cette consultation, c’est-à-dire de la forte opposition manifestée, et donner la priorité à la protection de la santé et de la vie privée des travailleurs et travailleuses concernés, plutôt qu’aux profits des marchands d’essence.
Ce qu’il est intéressant de relever, c’est que c’est le même Lüscher qui a fait de la sécurité un de ses chevaux de bataille pendant la campagne pour les élections fédérales (avec un discours sur le mode « les socialistes ignorent l’insécurité alors que je la prends très au sérieux ») que celui qui défend à tout crin la vente d’alcool à n’importe quelle heure, oubliant au passage le lien évident, relevé par la police, entre la consommation nocturne d’alcool et les actes violents. Lutter contre la libéralisation totale des horaires d’ouverture des échoppes, c’est donc aussi œuvrer contre l’insécurité nocturne.
Effectivement, c’est paradoxal. Le PLR semble totalement ignorer les nuisances générées par les heures d’ouvertures prolongées. Outre les problèmes de sécurité, il y a aussi le trafic routier et le bruit!
Et la responsabilité individuelle, est-elle inexistante chez vous? Faut-il toujours que l’Etat dicte les comportements des individus?
En matière de santé publique, oui, il faut parfois dicter certains comportements. L’interdiction du travail de nuit protège la santé des travailleurs concernés. Je n’ai pas envie que mes primes d’assurance-maladie augmentent à cause d’illuminés de votre espèce, qui, pour leur seul plaisir personnel, souhaite pouvoir acheter n’importe quoi n’importe quand et sont trop impatients pour attendre le lendemain.
Le travail de nuit? Faut-il alors fermer les hôpitaux, les offices de police, etc?
Vous faites exprès, ou quoi? Personne ne parle d’interdire le travail de nuit là où il est nécessaire, ce qui est bien entendu le cas dans les exemples que vous évoquez. La législation actuelle permet des exceptions, là où l’intérêt public l’exige. Mais vous devez bien avouer que, s’il faut faire une pesée d’intérêt entre la protection de la santé et le « besoin » qu’on certains de consommer n’importe quoi n’importe quand (et tant pis pour les nuisances que ça engendre), le choix est vite fait!
Votre argument était le « travail de nuit »… De quel droit pouvez-vous juger de ce qui est nécessaire ou pas? Etrange vision de société…
Bravo, Philippe ! Grâce à vous, j’ai ri un bon coup en lisant ce qu’il me semble être la pire interprétation du libéralisme. Mettre en balance les hôpitaux et la police d’un côté et de l’autre les échoppes des stations-service à l’aune de la nécessité, il fallait oser.
M. Taramarcaz, en quoi l’ouverture d’un shop vous dérange-t-elle? Rire est bien, argumenter est mieux.
Les arguments ont déjà été donnés, justement. Vous invoquez la « responsabilité individuelle » d’ouvrir des échoppes face aux nuisances sanitaires, sécuritaires et environnementales en arguant que l’ouverture nocturne est déjà une réalité avec les hôpitaux et les postes de police. Les hôpitaux et la police sauvent des vies, les échoppes non. C’est aussi simple que ça.
Et dire que l’État n’a pas son mot à dire, ça revient à remettre en cause la loi elle-même. Vous savez, celle qui donne du travail aux avocats et aux députés, entre autres, et qui permettent de vivre ensemble dans de bonnes conditions.
Très bien, alors pouvez-vous s’il vous plaît démontrer vos affirmations, telles que: « nuisances sanitaires, sécuritaires et environnementales « .
Chiffres à l’appui, merci.
Sur ce coup, je soutiens JCS. En effet, je suis un énorme partisan de la responsabilité individuelle MAIS lorsqu’on facilite trop la vie des humains, cela mène à une forme de dégénerescence. De plus, les travailleurs des stations s’apparentent j’imagine plus a des wirking poor qu’à des salariés heureux…
Gardons le dimanche fermé, qui est privilège, dans un monde qui ne dort plus.
Chacun est libre de travailler le dimanche, chacun est libre d’accepter un emploi dans une station service. Si les gens font ces choix, c’est que leur situation s’améliore en le faisant. Sinon, ils ne le feraient pas. Pourquoi diable la politique doit-elle toujours restreindre la liberté de choix des individus?
Croire que les gens qui travaillent de nuit le font vraiment librement est une bêtise. Postuler que tout doit être permis et que la politique n’a pas un devoir de régulation est une stupidité sans égale. À quoi sert la politique, alors, sinon à créer et faire évoluer le cadre légal des activités humaines ?
La position de Philippe n’a de sens qu’idéologique et nie tout bonnement le rôle le l’État.
Cher Monsieur Taramarcaz,
Permettez-moi de répondre à vos propos et merci de préciser vos certitudes:
« Croire que les gens qui travaillent de nuit le font vraiment librement est une bêtise »
En quoi?
« Postuler que tout doit être permis »
Vous avez une manière très curieuse (et bien entendu totalement abusive) d’interpréter les propos d’autrui.
« la politique n’a pas un devoir de régulation est une stupidité sans égale. »
En quoi?
« La position de Philippe n’a de sens qu’idéologique et nie tout bonnement le rôle le l’État. »
Curieux procès d’intention. Au contraire, ceux qui, comme M. Schwaab, ont croyance qu’en l’Etat et son pouvoir contraignant, se trompent lourdement. La crise des Etats que nous vivons devrait vous faire ouvrir les yeux…. Nous allons assister à l’effondrement du système interventionniste. La question qui se pose est ce qui va suivre: soit le collectivisme (qui mène au chaos et à la terreur d’État), soit le libéralisme (qui mène à une nouvelle ère de prospérité et de liberté).
L’idéologie, au sens où vous l’entendez, est une dimension corollaire de l’existence de l’État, qui a un besoin vital de tromper les individus pour justifier son existence.
Ping : N’en déplaise aux consommateurs impatients… | Jean Christophe Schwaab