Les assureurs-maladies sont-ils intègres lorsqu’ils prônent les soins intégrés?

Battus à plate couture lors du vote du 1er juin 2008 sur l’article constitutionnel «qualité et efficacité économique dans l’assurance-maladie», contre-projet à une initiative populaire de l’UDC souhaitant réduire les prestations de l’assurance-maladie obligatoire, les assureurs sont revenus à la charge. La mesure-phare de ce contre-projet était la «liberté de contracter», permettant aux caisses-maladie de choisir les prestataires de soins qu’elles remboursent. Les opposants à cette proposition avaient à juste titre averti que cela ne pouvait que mener à une médecine à deux (ou plusieurs) vitesses, les prestataires de soins coûtant le plus cher parce qu’ils prennent en charge beaucoup de malades âgés ou chroniques ayant toutes les chances de se faire exclure – et leur patients avec eux – du remboursement par l’assurance de base.

A peine sonnés par une défaite devant le peuple et les cantons pourtant très lourde (près de 70% de non et aucun canton), les assureurs n’ont pas baissé les bras et tentent à nouveau de limiter le cercle des prestataires remboursés et donc de faire de substantielle économies en ne contractant pas avec les prestataires de soins qui ont la mauvaise idée de soigner les «mauvais risques». Cette fois, les assureurs misent sur un concept à la mode, les «soins intégrés», ou «managed care». Selon cette méthode, l’assuré, au lieu de recourir à plusieurs spécialistes indépendants les uns des autres, adhère à un réseau de soins comprenant plusieurs fournisseurs de prestations qui collaborent et coordonnent sa prise en charge médicale. L’idée n’est pas mauvaise en soi, au contraire. Dans bien des cas, le recours (coûteux) à des spécialistes pourrait être évité si les patients s’adressaient en premier à un interlocuteur de santé unique (p. ex. un médecin de famille), lequel les réoriente si nécessaire vers d’autres professions médicales. L’USS et diverses organisations de patients et du personnel de la santé proposent d’ailleurs d’introduire un «interlocuteur personnel de santé», référent de premier recours permettant d’éviter que l’on s’adresse d’entrée de jeu à un spécialiste. Mais les soins intégrés tels que les souhaitent les assureurs-maladie visent surtout augmenter les frais à la charge des assurés qui n’y font pas recours et de  pouvoir choisir au sein de ces réseaux ceux avec qui ils collaborent, en application du principe de la «liberté de contracter». Pour que cette liberté soit intéressante et permette de baisser les coûts (du point de vue des assureurs), les réseaux tels que voulus par les caisses devraient être autorisés à fournir des prestations différentes. Les assurés, qui n’ont aujourd’hui le «choix» qu’entre des caisses obligées de fournir toutes les mêmes prestations, devraient alors renoncer à certaines prestations ou limiter drastiquement leur liberté de choix s’ils veulent voir leur primes baisser. Quant à ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent pas adhérer à un réseau, par exemple parce qu’il n’y en a pas dans leur région qui corresponde à leurs besoins, ils seraient pénalisés par une augmentation de leurs primes. Les assureurs qui, bien conscients que la «concurrence» à laquelle ils se livrent aujourd’hui n’est qu’un simulacre, souhaitent «déplacer la concurrence vers les prestations». Ils obtiendraient enfin ce qu’ils recherchent depuis plusieurs années: pouvoir choisir les prestataires les moins onéreux, donc ceux qui offrent les prestations les moins étendues ou ne traitent que des patients peu coûteux. Le système suisse d’assurance-maladie se rapprocherait encore un peu plus du système (encore) en vigueur aux USA, plus concurrentiel, mais aussi (et surtout) plus cher et plus inégalitaire… Il est d’ailleurs à ce propos intéressant de constater que, plus un système de santé publique est tourné vers la concurrence, plus il est cher et plus il génère d’inégalités, ce qui bat en brèche toutes les belles théories que l’on nous assène sur la concurrence et le libre marché…

Lors de la présentation de ses revendications censées faire baisser les coûts de la santé, la faîtière des assureurs-maladie, santésuisse, s’est bien gardée de dire qu’elle a, portée par son armée de lobbyistes siégeant au Parlement, déjà obtenu gain de cause sur bien des points. Ainsi, la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a décidé que les assureurs seraient certes obligés de prévoir une offre de soins intégrés, mais qu’ils pourraient choisir les réseaux avec lesquels ils souhaitent contracter. A part des exigences minimales fixées par le Conseil fédéral, ces réseaux pourraient offrir des prestations différenciées, laissant les assurés dans l’incertitude quant à l’étendue réelle des prestations remboursées. Les assurés qui rejoindraient ses réseaux en seraient captifs pour trois ans au minimum (en échange d’une ristourne sur leurs primes) et ceux qui, pour continuer à bénéficier du libre choix des prestataires et du remboursement complet de leurs soins, ne les rejoindraient pas verraient leur quote-part passer à 20% au lieu de 10%. Les ingrédient d’un nouveau référendum contre la politique anti-sociale de la majorité bourgeoise sont en train d’être réunis.

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