Vote électronique: attention, danger

Le vote électronique est à la mode, le canton de Genève se prépare à voter sur son introduction. Mais il faut espérer qu’il ne se répande pas. En effet, aucun informaticien ne pourra jamais en garantir la sécurité totale. Un vote doit être absent de toute manipulation, mais aussi de tout soupçon de manipulation, sans quoi les citoyens, déjà peu nombreux à se rendre aux urnes, ne manqueront pas d’accentuer leur méfiance envers une classe politique dont la légitimité pourrait être attaquée par cette brêche. Lors d’un vote papier, n’importe qui peut (re)compter les bulletins. Lors d’un vote électronique, ses organisateurs se réfugient derrière des algorythmes invérifiables pour le commun des mortels. Un serveur qui plante, un pirate informatique plus malin que les autres et c’est tout un scrutin qui disparaît ou, pire, est faussé.
En outre, on peut mettre sérieusement en doute l’affirmation comme quoi un vote rendu « plus facile » par l’emploi du vote électronique attire aux urnes des catégories qui ne s’y rendent que peu, par exemple les jeunes. Voter n’est pas un acte anodin et la « sacralisation » que représente le bulletin en papier, l’enveloppe et le rituel du remplissage permet à l’électeur de s’en rendre compte et de prendre au sérieux cet acte important.

Si le projet genevois devait passer la rampe et s’exporter dans notre canton, je m’y opposerais au grand conseil.

8 réflexions sur « Vote électronique: attention, danger »

  1. Ping : www.romanding.ch

  2. Dans le canton de Neuchâtel, le vote par Internet a été introduit il y a pas mal de temps (uniquement pour les votations et pas pour les élections). Si mes informations sont bonnes, la procédure qui a été mise en place est sécurisée, contrôlée par la chancellerie et des membres des partis et donne satisfaction.

    Personnellement, je ne serais pas aussi catégorique quand au rejet de cette manière de voter. Simplement parce que d’une part le vote « papier » peut aussi rencontrer des problèmes (la voiture transportant les urnes entre le bureau de vote et le bureau de dépouillement pourrait prendre feu, on peut tout imaginer, même si c’est effectivement peu vraisemblable), mais surtout parce que l’introduction du vote par correspondance a effectivement totalement changé notre manière de voter. Qui peut contrôler que, par exemple dans un couple, ce n’est pas un des deux conjoints qui vote pour l’autre ? Qui peut contrôler que certains ne font pas la « tournée des enveloppes » auprès de ceux qui s’en foutent, une pratique qui pourrait être systématisée par les partis ? Et finalement, qui peut contrôler que la chancellerie ne truque pas le scrutin depuis le moment où c’est elle qui ouvre les enveloppes ?

    La sacralisation du vote comme tu l’imagines n’existe à mon avis plus depuis l’introduction du vote par correspondance. C’en est terminé du weekend à faire la file pour aller à l’isoloir… Ce n’est semble-t’il pas un mal d’ailleurs puisque la participation a tendance à augmenter!

  3. Effectivement, le vote papier n’est pas exempt de problèmes, de possibilités d’erreurs, voire de fraudes, etc. Mais le vote électronique ne les résout pas. Il serait tout aussi possible pour la Chancellerie de fausser le résultat, de faire la tournée des codes d’accès pour voter à la place de leur titulaires ou que Monsieur remplisse le bulletin de vote électronique de Madame… Avec le risque d’une fraude massive et invisible en plus!
    C’est vrai que mon argument sur la sacralisation n’est pas le plus percutant et que le vote par correspondance a modifié un peu la donne. Mais à mon avis seulement un peu. Remplir un papier, écrire un nom à la main, biffer à la main, c’est autre chose que cocher des cases sur un formulaires internet… Mais c’est vrai que s’il n’y avait pas de problèmes de sécurité, je ne pense pas que l’argument de la sacralisation seul suffirait à convaincre!

  4. Bonjour Jean-Christophe,

    Je vous ai écrit un courriel le 13 juin, au sujet du vote électronique.

    En effet, Fabien, il y a beaucoup de possibilités de fraudes avec le vote papier, tant au local que par correspondance; et les services cantonaux des votations et élections (droits politiques) ont régulièrement à surveiller, ou à résoudre des réclamations et des contestations. Dernièrement, il y a eu (à Genève) une vingtaine de cartes d’électeur récupérées frauduleusement d’étrangers insuffisamment au courant des règles (leur première votation) et utilisées à leur insu. De même, pour le vote par correspondance, l’administration cantonale ou la commune pourrait changer les bulletins dans les enveloppes pour mettre le résultat préféré, elle a assez de stock de bulletins préimprimés et d’enveloppes vierges.

    Mais, dans le vote papier, une fraude demande beaucoup de manipulations, de temps et de moyens, et, avec une bonne scrutation, il est très difficile de l’effectuer sans être découvert et avoir une portée suffisante pour influencer le résultat.
    Reste, pour le vote par correspondance, que la vente de vote ou la pression ne peuvent être exclues dans la sphère privée, hors de la surveillance d’une commission électorale. Mais le peuple a plébiscité ce mode de vote : il ne reste plus que 3-5% de votes au local, pour les premiers cantons. Par expérience, les dérives, dans une démocratie avec la liberté d’expression et la facilité de communication qu’est la nôtre, ne semblent pas sensiblement avoir lieu.

    Les principales difficultés viennent, dans le vote électronique (à distance ou local), de comment scruter ce qu’il se passe effectivement dans la boîte en fer d’un ordinateur, et comment éviter la fabuleuse multiplication des opérations que permet l’informatique, si celles-ci sont frauduleuses ?

    Un vote électronique à distance doit permettre la vérification des opérations durant la session, apporter les preuves de sa bonne fin, permettre la résolution des contestations et le recomptage sensé de bulletins dématérialisés – pas de constater que des compteurs ont été incrémentés, on ne sait comment.

    Et, cerise sur le gâteau, tous ces contrôles doivent pouvoir se faire, et être probants juridiquement, sans que le secret du vote ne soit rompu : l’anonymat du votant et la confidentialité de son bulletin doivent être inconditionnellement maintenu (la confiance dans l’administration ne doit pas être nécessaire).

    Les pilotes actuels ne remplissent, et de loin, pas ces critères essentiels. La sécurité technique n’est pas tout, l’adéquation aux principes démocratiques est le premier but à viser.
    La sécurité est aussi nécessaire, qu’elle protège des intrusions dans les serveurs, empêche la falsification de l’opération, évite les atteintes sur le poste du citoyen; or -la aussi.- les expériences passées laissent perplexes.

    Je pense néanmoins que le vote par Internet est un apport important, tant pour la population en général, pour les personnes mobiles, expatriées, suroccupées, isolées, malades ou handicapées, et surtout pour les jeunes actuellement si sous-représentés dans les consultations populaires.
    La demande et le besoin du vote par Internet sont là, le débat public est désormais une nécessité.

    Merci de l’avoir ouvert sur votre blogue.
    Et avec mes meilleures salutations.

  5. Bonjour Jean-Paul,
    J’ai bein reçu votre courriel mais n’ai malheureusement pas trouvé le temps d’y répondre et m’en excuse. Il faut dire qu’il appelle une réponse un peu développée! Mais je ne vous oublie pas, promis. A bientôt

    JCS

  6. Après réflexion, voici un argument qui me semble déterminant contre le vote électronique, Avec un scrutin traditionnel, c’est-à-dire matérialisé sur papier, tout un chacun peut participer au dépouillement, compter les bulletins et, au besoin, recompter les votes. Avec le vote électronique, il faut s’en remettre aux explications d’un informaticien qui connaît le logiciel employé. Ceux qui ne sont pas du métier ne peuvent plus contrôler la validité d’un scrutin. Si tel devait être le cas, nous serions dans une sorte de « république d’experts », où seuls quelques initiés peuvent contrôler les votes. A mon avis, la population risquerait de perdre la large confiance qu’elle accorde actuellement aux résultats des votations.

    Je profite de ce commentaire pour signaler cet excellent argument contre l’idée de comparer e-banking et vote életronique: http://wikiforum.rsr.ch/node/265

  7. Exact, avec la fragilité du secret, c’est l’un des principaux problèmes du vote électronique.

    Généralement, on se retrouve au pire avec juste des compteurs incrémentés; ou au mieux avec un simple enregistrement, dans une base de données, réduit à une ligne par vote, et contenant une suite de oui et de non, pour réponses aux questions. Toute l’opération est en boite noire. Compter ou recompter revient au même, on fait la somme des oui et des non. C’est bien pauvre, et c’est non probant.

    Il y a en fait deux réponses à votre juste préoccupation. L’une est technique : comment rendre le (re)comptage probant, au même titre que le (re)dépouillement des bulletins papier (valides). L’autre est sociétale : comment maintenir la confiance du citoyen (dit moyen) dans les scrutins dématérialisés.

    D’abord la réponse technique. Chaque bulletin dans l’urne est complet, avec l’ensemble du texte sur lequel le citoyen a inscrit sa motivation. Chaque bulletin est authentifié avec une estampille électronique, une sorte de sceau qui garantit que le bulletin provient d’un unique citoyen ayant le droit de vote pour le scrutin (et l’échelon de vote – communal/cantonal/fédéral). Cette estampille est strictement liée au bulletin en question, et anonymement au citoyen l’ayant déposé; elle a été obtenue avec un échange anonyme avec le contrôle politique (scrutation), et elle est validée par un échange en aveugle avec l’administration (habilitation).
    L’estampille est apposée sur le bulletin par le logiciel s’exécutant sur le poste du citoyen, lorsque ce dernier a terminé le remplissage, et avant la confirmation (qui referme le bulletin en le chiffrant, avant l’envoi). Cette estampille garantit aussi la motivation, car le bulletin qui la porte ne peut qu’être intègre; toute modification -même infime- de son texte invalide l’estampille.
    Le recomptage peut alors se faire par une autorité tierce, avec d’autres logiciels (les opérations sont normalisées) et sur d’autres ordinateurs que ceux de l’administration (chancellerie), et elle est probante.
    NB : Je ne parle pas ici de deux autres membres de la proposition : (1) la transparence démocratique par le contrôle politique constant, y compris au cours de chaque opération de chaque votant; (2) le protocole de vote qui place le poste du citoyen en clef de voute de l’opération, témoin de la bonne fin, avec son logiciel qui est sous le contrôle du citoyen.

    Ensuite la réponse plus politique. Premièrement, notre société fusionne actuellement le monde physique traditionnel et le monde cyber; elle poursuit ainsi à grande vitesse la complexification ancestrale, avec une délégation à des tiers d’opérations de plus en plus englobantes et abstraites.
    Au minimum les jeunes (cyberconsomateurs nés), mais certainement la majorité, sont demandeurs du vote par Internet, et l’auront.
    La compréhension fine du vote électronique, et les vérifications, sont théoriquement disponibles pour tous; mais en pratique ne seront perceptibles pour la plupart qu’à un certain niveau de généralité (et de métaphore). L’inspection de l’adéquation entre la compréhension générale et la réalisation fine sera déléguée à des tiers.
    Pour que la confiance populaire dans le système soit réalisée, il faut que les citoyens puissent librement choisir ceux des inspecteurs en qui ils placent leur confiance; ce qui nécessite que l’ensemble des logiciels, des algorithmes, des documentations soient publiés, qu’ils soient librement et sans limitation examinables par tous. En particulier, les hautes écoles (sp. HES), les associations professionnelles, les (membres spécialisés des) partis doivent être encouragés à se pencher dessus; idéalement à être en contact étroit et régulier avec les concepteurs, mainteneurs et exploitants du système.
    NB : Là aussi je ne parle pas du rôle de confiance de la commission électorale, qui scrute toutes les opérations et supervise une partie des serveurs (distincts de ceux de l’administration), qui sont partie prenante du protocole de chaque vote. La commission doit être représentative de l’ensemble du spectre politique et pouvoir s’adjoindre les spécialistes de son choix.

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