Smartement vôtre… (carnet de campagne III)

C’est désormais un rituel électoral incontournable. Quel que soit le siège en jeu, les candidates et candidats doivent remplir un questionnaire «smartvote» pour «voter intelligent». Une fois le questionnaire rempli, un logiciel probablement aussi intelligent que le vote qu’il souhaite susciter, se chargera de définir et de décortiquer leur profil électoral, appelé «smartspider» (non, ce n’est pas un super-héro de marvel comics). Les électrices et électeurs peuvent faire de même et ainsi découvrir quel(s) candidat(s) a (ont) répondu la même chose. Quant à savoir s’ils peuvent voter pour ces candidats, mystère. Le questionnaire est en effet tellement restreint, mal foutu et arbitraire, qu’il est illusoire de penser voter intelligent à l’aide de ce logiciel pourtant culte.

Le paradis des plutôt
En effet, au fil des questions, auxquelles on ne peut répondre que par «oui», «plutôt oui», «plutôt non» ou «non» (et l’abstention ? N’existe-t-elle pas au pays du «vote intelligent» ?) on s’aperçoit combien certaines d’entre elles sont absurdes. Ainsi, à la question «doit-on fermer le centre FAREAS de Bex ?», que répondre ? En tout cas pas par «oui, mais à condition de trouver une solution humainement acceptable pour les réfugiés concernés», «ça dépend de la solution de rechange», «c’est scandaleux de parquer pareillement des êtres humains» ou carrément «oui, sauf si c’est pour réinstaller le centre à côté de chez moi/ dans la commune voisine/ là où je vais en vacances/ près de chez ma grand’mère». Le logiciel, si smart soit-il, s’en tient en effet aux oui, non, et autres plutôt.

Fi des motivations, seule compte la réponse
Et admettons que l’on opte pour le «plutôt oui», la smartspider sera bien incapable de restituer les raisons sous-jacentes à ce choix, qui peut aussi bien venir d’un facho style «foutons-les-étrangers-dehors» que d’une défenseuse des droits de l’homme ou d’un membre d’une association de voisins, chacun animé de motivations différentes, mais que le logiciel borné classera de le même façon. Et même si l’on peut laisser des commentaires expliquant son choix, ceux-ci n’apparaissent pas dans le profil «smartspider», ni dans la comparaison des réponses des candidats avec celles des électeurs, où seules comptent les oui ou les non (pardon, j’en oublierai presque les plutôt). Ainsi, une réponse pourra très bien classer quelqu’un dans la catégorie des «partisans de l’ouverture», même si ses motivations profondes n’ont rien à voir.
Smartvote est donc un outil à mon avis inutile et dangereux. Inutile, car il y a suffisamment de lieu de débat, de sites ou blogs où l’on peut directement interpeller les candidats et obtenir des réponses détaillées et circonstanciées. Dangereux, car il est illusoire de croire que l’on peut réduire les positions politiques d’un candidat en un diagramme en toile d’araignée et que leurs «oui» et «non» tombent du ciel, d’autant plus que bien des questions sont mal posées. Le débat public est trop subtil pour être réduit à un petit questionnaire dont les seules nuances sont les «plutôt».

Voici quelques autres exemple de question absurde tirées des questionnaire smartvote
Note: ces questions sont tirées du questionnaire smartvote pour les élections cantonales vaudoises, sauf la dernière, tirée de celui pour l’élection au parlement des étudiant-e-s de l’uni de Berne (StudentInnenrat) du mois de janvier dernier. Comme quoi smartvote sert à tout. A quand un smartvote pour élire le gagnant de la «star ac’»?

Approuveriez-vous la suppression des droits de douane et des restrictions douanières pour les importations de produits agricoles issus de pays en voie de développement? Plutôt oui s’il s’agit d’offrir des débouchés aux produits de ses pays, dont les économies sont souvent étranglées par le protectionnisme des pays développés. Plutôt non s’il s’agit d’importer à grands frais et au mépris de l’environnement des produits que l’on pourrait produire en Suisse. Et de toute façon un «non» classera l’imprudent questionné dans la catégorie des personnes opposés à l’ouverture de la Suisse, et un oui dans le camp des partisans du libéralisme économique, quoi qu’il pense vraiment.

Êtes-vous favorable à une taxe poubelle? Partisans de la défense de l’environnement, attention ! Si vous répondez non parce que vous pensez qu’une taxe poubelle est anti-sociale (les riches payent le même impôt que les pauvres, comme la TVA) et anti-familles, spécialement si elles ont des très jeunes enfants (une famille consomme plus et produit donc plus de déchets. Et on en remplit des sacs-poubelle avec des couches-culottes.). En l’espèce, c’est mon cas. Or je suis favorable à un renforcement de la protection de notre environnement, mais cela ne doit se faire en aucun cas sur le dos des moins bien lotis. Dans mon canton, les socialistes se sont opposés avec succès à une telle taxe par référendum.
Faut-il subventionner les exploitations agricoles? Oui, s’ils se mettent à l’agriculture bio et améliorent les conditions de travail de leur personnel, par exemple en signant une CCT. Non si c’est pour que les subventions ne profitent qu’aux grosses exploitations ou aillent dans la poche de la grande distribution.

Aider les entreprises formatrices d’apprentis avec des rabais fiscaux? Plutôt non, même s’il faut à tout prix mieux soutenir les entreprises formatrices. Mais si de temps en temps un rabais fiscal permet de créer des places dans une branche qui en a un urgent besoin, pourquoi ne pas examiner la question, surtout dans la situation actuelle?

L’Etat doit-il obliger les communes à fusionner? Je suis favorable aux fusions de communes, mais l’obligation, comme par exemple en Valais où une comme a été forcée d’unir sa destinée à ses voisines, me semble aller trop loin. Mais il y a obligation et obligation: n’oblige-t-on de toute façon pas les communes à regrouper leurs forces si l’Etat les oblige à se regrouper en entités de 5000 habitants pour pouvoir bénéficier d’un service social? Et, dans un tel cas de collaboration intercommunale, ne sommes-nous pas face à une fusion de fait de certains services communaux, mais sans contrôle démocratique? Alors? Plutôt oui ou plutôt non?

Abstiens-toi de t’abstenir!
Un autre exemple particulièrement de l’idiotie de «smartvote» est à mon avis le fait que l’on ne puisse pas répondre par une abstention, même lorsqu’il s’agit de dire ce que l’on a voté lors d’une des dernières votations fédérales. Ainsi, le POP vaudois avait recommandét l’abstention pour la votation sur le «milliard de cohésion». Mais, sur notre cher logiciel de vote intelligent, impossible de dire que l’on s’est abstenu (bon, ce n’est ici pas mon cas, donc cela ne m’a en l’espèce pas vraiment dérangé). Peut-être les politologues concepteurs de smartvote partent-ils de l’idée que les militants du POP n’ont pas suivi le mot d’ordre du parti.
Faut-ils des peines plus sévères?
Des peines plus sévères pour les fraudeurs du fisc? oui. Pour les gens qui aident les sans-papiers? (c’est désormais un délit pénal) non. Pour les chauffards? oui. Pour les délinquants sexuels? oui Pour les syndicalistes en grève? (certains, par exemple la Migros, déposent une plainte pénale lors de chaque action syndicale) non. Etc. Que dit la smartspider?

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Voici ma smartspider (cliquer sur l’image. Si elle apparaît en allemand, mes excuse. Les liens de smartvote semblent en plus peu fiables…). Comme on peut le voir, le logiciel me considère comme un partisan absolu de l’Etat social (ça, c’est vrai), avec une pointe de libéralisme économique (ah bon?), un soupçon de loi et d’ordre (tiens, tiens) et une note correcte, mais sans plus, en protection de l’environnement (j’aurai bien aimé plus, peut-être est-ce à cause de mon opposition à la taxe-poubelle). Et, pour finir, un doigt de politique restrictive face à l’immigration (pouah! Que suis-je devenu?).
Et puis, peut-on vraiment se dire «partisan à 80% de la protection de l’environnement» (pour autant que cela veuille dire quelque chose), en se basant sur uniquement 5 questions ? Pas très fiable, comme statistiques (ni très utile, d’ailleurs).

Billet publié aussi (en version allégée) sur monelection.ch. Et le débat est aussi lancé sur le blog d’AGT-Lausanne.

17 réflexions sur « Smartement vôtre… (carnet de campagne III) »

  1. J’ai rempli le questionnaire smartvote pour l’élection du Grand Conseil vaudois… Gros fou rire garanti (Zisyadis en premier ARF ARF ARF, Anne-Catherine Lyon, ça c’est en ordre, deux verts, ok, puis un UDF, une PRD et un UDC!!! Horreur!!! Je rêve! J’ai pas dû comprendre les questions, ça doit être moi…
    En résumé je suis – et après vérification de manière renforcée – 100% d’accord avec l’article de Jean-Christophe sur la totale incompétence de ce système de recommandation. Quoique… maintenant je suis encore plus farouchement décidé à ne pas voter pour certains.
    Pour conclure, je connais de nombreux autres jeux sur internet bien plus amusants pour passer le temps. Si l’on veut penser votations et responsabilités civiques en revanche, smartvote à éviter, ce jouet ne convient pas aux personnes de moins de 18 ans qui pourraient accidentellement voter n’importe quoi avec!
    Veuillez plutôt demander conseil à vos candidats.

  2. Je ne serais pas aussi critique avec smartvote. La façon dont le logiciel désigne les candidats n’est pas très compliquée: il ne fait que voir le pourcentage de réponses qui correspondent avec ce que les candidats eux-mêmes ont répondu, c’est donc assez transparent. Mais c’est vrai qu’il y a plusieurs problèmes:

    1) Il n’y a que les candidats qui ont rempli le questionnaire qui apparaissent dans les résultats (d’où l’apparition de candidats udf, prd et udc dans ta liste, ça veut certainement dire que peu de candidats plus proches de tes opinions ont répondu). ça exclut les autres.

    2) Comme le dit J-C, les questions ne sont pas top pour différencier entre des positions contradictoires. Si l’on est contre l’Europe pour des raisons xénophobes ou parce que l’on considére qu’elle est dominée par le grand capital, ça n’est pas la même chose. De même, vouloir que les étrangers apprennent notre langue, est-ce une « politique des étrangers restrictive »?

    3) Plus fondamentalement, ça se base sur l’idée que je vote pour quelqu’un parce que ses opinions correspondent le mieux aux miennes. C’est un critère important, mais pas le seul. On peut avoir des idées parfaitement en adéquation avec J. Zysiadis, mais penser qu’il sera un mauvais homme d’Etat, par exemple.

    En tenant compte de ces limites, je pense quand même que c’est un assez bon moyen de savoir ce que les candidats pensent sur certains sujets. On a parfois certains surprises..

  3. Salut Jean-Christophe!

    Quand un programme détermine le vote, c’est la gabegie; mais qu’en est-il lorsque ce sont les émotions et les mots d’ordres qui déterminent ce même vote? Suis pas sûre que le cerveau reptilien soit de meilleur conseil que smartvote.

    Pour ton résultat, law and order, j’aurais pas imaginé – j’ai vu que tu étais surpris toi-même 🙂

    Sinon j’aime bien ton blog, j’y reviendrai!

    Tâche de gagner les élections!

    Salut amical,

    Paola

  4. Ce n’est pas tant le système smartvote qui me dérange, mais plutôt l’usage qu’on en fait. Il n’est plus un médias, même parmi ceux qui se considèrent comme sérieux, qui ne publie pas un smartspieder ou une autre à propos d’élection… Peut-être est-ce pour s’épargner le travail d’analyse! ça m’énerve que certains prennent ces pourcentages pour argent comptant et s’en servent pour classer les gens sur l’axe gauche-droite, sans remettre en cause la pertinence de l’analyse.

  5. Ping : Que font les élu·e·s «À Gauche toute !» au conseil communal de Lausanne ?

  6. Tout à fait d’accord avec Jean-Christophe. J’hésitais presque à écrire un courrier des lecteurs à 24 Heures. Mais j’ai certainement mieux à faire.
    J’ajouterais un exemple: Isabelle Chevalley, qui est certes de droite, mais à qui il faut reconnaîre de vraies préoccupations écologiques, score relativement mal sur la protection de l’environnement (environ 60).

    Au passage, voilà le smartspider de votre Serviteur, un vrai illuminé…:

    http://www.smartvote.ch/smartvote/popups/candidate_portrait/portrait_spider.php?cid=626&eid=3

  7. Si smartvote parvient à démontrer la vacuité du nouveau profil ni-à-gauche-ni-à-droite de certains verts, je vais réviser mon jugement 😉

    Mais franchement, je pense qu’il n’y a pas besoin de logiciel malin pour le démontrer…

  8. J’ai lu l’article de M. Meyer paru dans le 24heures du 17.02.07.
    Il m’a semblé qu’il a raison sur un point: les questions sont les mêmes pour tous les candidats et ce n’est pas le score sur le spider qui compte. Bien que smartvote n’est certainement pas un outil idéal pour « choisir » son candidats « idéal », cet outil permet néamoins de classer les candidats les uns par rapport aux autres.

    J’ai par ailleurs l’impression que même si smartvote était un outil vraiment indiscutable sur le plan méthodologique (que personne, moi compris, ne peut expliquer en détail), beaucoup continuerait à le critiquer car le résultat ne les avantage pas. Je prends pour exemple la carte de positionnemment parue le 13.02.07. On y voit une gauche groupée et une droite dispersée. Je ne ferais pas comme Mme Miauton d’analyse tès poussée (ou poussive), mais il me semble que les questions smartvote portent avant tout sur l’actualité, ceci ne veut dire qu’une chose: les divers mouvements qui composent la gauche sont d’accord sur un très grand nombre de dossiers. Quant à la droite,sa dispersion ne m’étonne nullement, mais je demande à revoir le même tableau après que tous les candidats soient sur smartvote.

  9. Je me permets de relancer le débat. Vous aviez critiqué des questions smartvote, sur la taxe poubelle notamment. Selon vous cette question est mal faite, cependant, je vois simplement que pour vous dans ce domaine le critère social l’emporte sur le critère écologique (et ce n’est pas un crime). C’est pourquoi je trouve personnellement que cette question est bien faite.

    Dernière remarque, à la question sur la fermeture du centre Fareas, vous aviez répondu plutôt non et indiqué qu’en tant que non bellerin, vous n’osiez pas vraiment vous prononcer. Selon moi, votre commentaire nous révèle qu’à votre avis, l’Etat de Vaud n’a pas vraiment son mot à dire et devrait se conformer à « la volonté du peuple de Bex ». Pour ma part, je ne suis pas d’accord, même si je n’habite pas à Bex, je suis contre la fermeture, car sinon ou iront ces requérant? Je sais que ce n’est plus vraiment d’actualité, mais j’avais trouvé ce commentaire révèlateur.

    En résumé, je trouve que ces profils smartvote sont très instructifs, même s’ils ne remplacent pas la recherhe personnelle d’informations, en tous cas c’est un très bon complément. Enfin, soyons réalistes, sans smartvote je ne connaîtrais même pas votre nom et encore moins certaines de vos positions.

    Merci et bravo pour ce super blog!!!

    PS: @ JB Blanc. Je trouve que le score de 60 sur l’environnment de Mme Chevalley est quand même très élevé, regardez les scores des autres candidats de « droite », et même de certains de « gauche ».

  10. @intero. tout d’abord, merci pour ces lauriers. Il est vrai que je ne suis pas mécontent de la fréquentation de mon blog, qui n’a rien à envier à celui de certains élus fédéraux ou candidats au conseil d’Etat!

    Je maintiens que la question sur les taxes poublles n’est pas bien posée. En effet, tout dépend comment cette taxe est organisée (je sais qu’il y a par exemple des communes vaudoises qui connaissent une telle taxe et l’ont mise sur pied de telle façon qu’elle ne pénalise pas les familles). Mais surtout, ce qui serait intéressant de savoir, c’est comment faire coîncider politique sociale et défense de l’environnement. Avec smartvote, on est soit classé dans une de ces catégories, soit dans l’autre, en fonction de la réponse. Alors que ces deux aspects ne s’opposent à mon avis pas (le développement durable comporte aussi un aspect social).

    Quant à Bex, je suis content de lire l’avis de quelqu’un du lieu. J’ai aussi répondu « plutôt non » pour les même raisons que vous, parce qu’on ne connaît pas de solution de rechange. En fonction de la question, ma réponse pourrait se modifier (par exemple devenir un « oui » si on propose de fermer le centre et d’installer les gens dans de meilleurs locaux ou un « non » ferme si on propose de les parquer dans un camp quelque part dans les montagnes). Mais comme la question ne développe aucune alternative, et que, franchement, je ne me suis pas vraiment penché sérieusement sur la question, j’aurais exceptionnellement préféré pouvoir m’abstenir sur ce point!

  11. Dans mon article « politique à deux dimensions » ( http://www.projets.ch/goulu/?p=297 ) j’explique les résultats paradoxaux de smartvote mentionnés dans les commentaires ci-dessus. Ce n’est pas un disfonctionnement de smartvote mais un problème mathématique fondamental qui les produit (définition d’une norme dans un espace non-euclidien).

    Il en résulte que les candidats avec lesquels on a le plus de réponses communes ne sont pas les mêmes que ceux dont la position sur le plan gauche-droite / conservateur-libéral est la plus proche.

    Lesquels choisir ? peut-être que notre travail d’électeur commence là…

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