Abus des stages : la solution passe plutôt par l’application du droit en vigueur… et l’amélioration générale du droit du travail

Cela fait maintenant plusieurs années que les organisations de jeunesse, notamment la jeunesse socialiste ou les jeunesses syndicales, mettent le doigt sur l’augmentation des abus des stages. Il faut dire que, malgré la bonne santé de l’économie et du marché du travail, ces abus croissent. De nombreux employeurs profitent d’une main d’œuvre très bon marché, pour ne pas dire quasi-gratuite. Cette main d’œuvre d’autant plus motivée qu’on lui fait souvent miroiter un « vrai » emploi après le stage. Ou alors, parce qu’elle a bien compris que le passage par la case « stage » devient de plus en plus un préalable obligatoire à l’obtention d’un vrai emploi… ou d’une vraie place de formation.

Dans ce contexte, je comprends parfaitement les motivations de mon ex-collègue Mathias Reynard, qui vient de déposer une motion demande que le droit du travail « définisse des règles les encadrant au niveau fédéral, notamment en matière de durée, de rémunération, ou encore de formation. ». Dans son développement, il relève assez justement que « Depuis 2010, le nombre de contrats de travail à durée déterminée a sensiblement augmenté dans tous les groupes d’âge. Selon l’enquête suisse sur la population active (ESPA), cette forme de contrat est la plus répandue parmi les salariés âgés de 15 à 24 ans (à l’exception des apprentis) et représente près du quart (22,7 %) des contrats de travail. De ce nombre, 40,9 pour cent étaient des stages. Ce sont donc 9,3 pour cent de l’ensemble des personnes âgées de 15 à 24 ans qui sont employées dans le cadre d’un contrat de stage, et ce nombre est en constante augmentation en Suisse. Dans de nombreuses formations, le stage devient souvent un passage obligé, et il en va de même dans le monde professionnel. »

A mon avis, même si l’intention est tout ce qu’il y a de plus louable, règlementer les contrats de stage n’est pas une bonne approche. La solution passe à mon avis d’abord par une application stricte du droit du travail en vigueur. De mon point de vue – que je défends dans un Commentaire du contrat de travail à paraître tout prochainement – un stage est d’abord un contrat de travail. Comme tout contrat de travail, il donne droit à un salaire. Et, les règles en vigueur de protection des salaires en Suisse prescrivent que ce salaire doit être conforme à la convention collective s’il y en a une, au contrat-type s’il y en a un, au minimum au salaire d’usage de la branche et de la région. Un stagiaire a donc, en tout cas pour la partie « prestation de travail » de son activité, droit au minimum au salaire en d’usage de sa branche et de sa région pour un employé non-qualifié… voire qualifié en fonction des tâches que son employeur lui attribue. Pour la partie « formation » du contrat de stage, pour autant qu’il y en ait une, ce qui nécessite que l’on fixe des objectifs de formation précis et de mettre une personne formatrice à la disposition du stagiaire pour l’encadrer, le salaire pourra être réduit, à l’instar d’un salaire d’apprenti. Mais d’une manière générale, le droit du travail doit s’appliquer, notamment en matière de durée du travail et des pauses, de protection de la personnalité (pour éviter que l’on ne confie aux stagiaires que des tâches inintéressantes voire carrément vexatoires), contre les contrats en chaîne ou contre le licenciement. Point n’est donc besoin de fixer de nouvelles règles seulement pour les stagiaires. Pis, de telles règles pourraient s’avérer contre-productives : elles pourraient avoir pour effet d’enfermer les stagiaires dans leur situation précaire et d’inciter encore plus les employeurs à en engager à la place de « vrais » salariés, mais cette fois en toute légalité !

Les règles en vigueur suffisent à mon avis à faire respecter les principes évoqués ci-dessus. Et c’est d’ailleurs la piste qu’ont choisis certains cantons, dont Genève et Neuchâtel, qui pourchassent les abus des stages comme ils le font pour la sous-enchère salariale en général (un stage sous-payé, c’est bel et bien de la sous-enchère) ! Mais cela nécessite d’intensifier les contrôles… Et d’améliorer le droit du travail, non pas pour les seuls stagiaires, mais pour tous les travailleurs. En particulier, la protection contre le licenciement du travailleur qui fait valoir ses droits de bonne foi est notoirement insuffisante. Il faut dire qu’en matière de protection contre le licenciement, les stagiaires sont doublement pénalisés : comme ils espèrent en général un « vrai » poste après leur stage, ils éviteront dans bien des cas de réclamer leurs droits… afin de ne pas saper leurs chances de décrocher un autre poste ensuite.

J’avais d’ailleurs déjà tenu une position similaire il y a quelques années, lorsque le Grand conseil vaudois était saisi d’une pétition sur le même sujet, mais qui, contrairement à la motion Reynard, faisait l’énorme erreur de fixer des conditions de travail et de salaire précises pour les stagiaires, ce qui aurait encore augmenté le risque de sous-enchère en cimentant dans la loi des conditions très précaires, voire carrément indignes.

1 réflexion sur « Abus des stages : la solution passe plutôt par l’application du droit en vigueur… et l’amélioration générale du droit du travail »

  1. Vous avez parfaitement raison. Mon fils cherchant une place d’apprentissage a dû cumuler les heures supplémentaires, le travail ardu (port incessant de sacs de ciment pour un ado de 15 ans ne faisant pas 60kg), tout cela gratuitement et, chez un paysagiste de la Côte, sans même un remerciement au terme de sa semaine de travail. Seul un peintre lui a attribué un petit pécule et la ville de Lausanne lui a proposé une véritable formation, avec un apprentissage à la clef à certaines conditions. L’école publique, sous l’égide de laquelle ces stages se faisaient, s’en lave les mains. Il est temps d’intervenir politiquement en ce sens car trop d’abus sont commis !

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