Celles et ceux qui me lisent régulièrement savent que je n’aime pas trop le site de recommandation électorale « smartvote ». Ce site prétend vous aider à trouver les candidats qui vous correspondent le plus. Il est adoré par les médias, qui peuvent reprendre ses jolis graphiques colorés en forme de toile d’araignée (« smartspider »), comparer les réponses des candidats et des partis ou débusquer ceux qui ont un avis divergent, le tout sans beaucoup se fatiguer, car il n’y a qu’à repomper les analyses livrées clef en main par l’algorithme. Les articles à son sujet sont souvent exempts de toute once d’esprit critique, en témoigne ce récent reportage de « RTS on en parle ».
Pourtant, je l’ai démontré à maintes reprises, smartvote se caractérise surtout par le manque total de sérieux de ses questions. Certes, leur postulat de simplifier les enjeux politiques pour les rendre accessibles est louable. Mais à trop simplifier, on finit par tomber dans le simplisme. Et l’on oublie que des enjeux complexes exigent toujours des réponses précises. Ce que la population est parfaitement à même de faire, elle qui se prononce plusieurs fois par an sur des projets aussi variés que complexes. Ainsi, lors des précédentes élections (fédérales 2015 et 2011, cantonales 2007), j’avais montré que les questions sont souvent erronées pour qui connaît le sujet, voire contradictoires.
Smartvote écoute certaines critiques
Pour la cuvée 2019, le premier constat est plutôt réjouissant. Smartvote a tenu compte de certaines de mes critiques et adapté certaines questions. Ainsi, sa grossière erreur sur le salaire minimum a été corrigée. Quant à sa question « faut-il augmenter ou baisser les dépenses publiques », smartvote a compris que l’on pouvait être pour augmenter certaines dépenses tout en souhaitant en baisser d’autres. La question a désormais été remplacée par plusieurs questions sectorielles. Enfin, il est enfin possible de s’abstenir de répondre, ce qui est fort pratique vu la façon pour le moins alambiquée dont sont tournées certaines questions.
Smartvote, c’est pas plus sérieux qu’avant
Mais cela ne veut pas dire que l’outil serait devenu sérieux. Au contraire. Certains problèmes persistent, et pas des moindres. Le premier est le déséquilibre total des thèmes. On constate que certains thèmes très importants sont négligés, alors que d’autres sont surreprésentés. Pour s’en convaincre, examinons le nombre de questions par thème:
- AVS, LPP : 2 questions
- Aide sociale : 1 question
- Politique familiale : 2
- Logement : 1
- Santé : 5
- Formation : 4 (surtout sur des questions purement cantonales)
- Migration et intégration : 6
- Société et éthique, y compris droit des personnes LGBTQ, procréation médicalement assistée, euthanasie, égalité homme femmes (une seule question !) : 5
- Finances et fiscalité : 4
- Economie et travail (y compris service public) : 6
- Digitalisation (un des thèmes les plus importants du moment) : 2 et rien sur la protection des données…
- Environnement et énergie : 10
- Institutions (dont e-voting) : 3
- Sécurité et armée : 5
- Politique internationale et droit humains : 4
Bref, difficile de se faire une idée fiable de ce que pensent vraiment les candidats avec des thèmes aussi déséquilibrés. Il serait d’ailleurs intéressant de tester si ce déséquilibre des thèmes (notamment les thématiques liées à l’environnement) ne favorise ou ne défavorise pas un bord politique en particulier, ce qui écornerait la prétendue neutralité qu’affiche smartvote.
D’énormes lacunes
Mais c’est surtout au niveau des thèmes qui manquent à l’appel que les lacunes de smartvote sont criantes. Plusieurs sujets pourtant décisifs pour l’avenir du pays sont totalement absents du questionnaire. Et quand on questionne smartvote sur le sujet, ils répondent… qu’il n’y avait tout simplement pas assez de place. Peut-être l’équipe de smartvote finira-t-elle par comprendre que la politique fédérale est beaucoup trop subtile et complexe pour être résumée en 75 questions seulement, même si le questionnaire porte le qualificatif élogieux de « deluxe ».
Voici quelques thèmes d’une actualité brûlante qui n’ont pas trouvé grâce aux yeux des concepteurs du questionnaire : Harcèlement sexuel et définition du viol (il fallait le faire en pleine période #metoo…), Franc fort et interventions de la BNS, droits des consommateurs, interdiction du glyphosate, réduction des prestations de la LAMal (comme la suppression du libre choix du médecin), fin de l’obligation de s’assurer (j’y reviendrai), accord-cadre avec l’UE (mais comment oublier un sujet comme celui-ci en ce moment ???), protection contre la sous-enchère salariale (« mesures d’accompagnement »), initiative « 99% », stress au travail, taxe sur le transport aérien, baisse des rentes AI pour les parents, soutien aux proches-aidants, réforme de l’imposition de la valeur locative, protections des locataires (plusieurs propositions de l’UDC et du PLR sont en discussion…), flexibilisation du droit du travail. La lacune la plus criante concerne le sujet le plus débattu ces jours : l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Pourtant, il serait vraiment trèèèèèèès intéressant de savoir ce qu’en pensent les candidats. Notamment ceux qui prétendent défendre l’agriculture… mais finissent toujours par la sacrifier sur l’autel du libéralisme économique et du « moins d’Etat ».
J’aurais l’occasion de revenir en détails sur certaines questions dans un billet ultérieur.
Ping : Une analyse critique du questionnaire « smartvote » 2019 (2/2) | Jean Christophe Schwaab