C’est le dernier argument à la mode chez les partisans du travail 24h/24: C’est pour satisfaire les «besoins des touristes» qu’il faut ab-so-lu-ment libéraliser les horaires d’ouverture des commerces. Jusqu’à présent, ils prétendaient que c’était surtout pour satisfaire «les besoins des consommateurs» (de chez nous). Mais il faut dire que les nombreux votes populaires clairement opposés à toute prolongation des horaires finissent par rendre évident que lorsqu’on leur pose directement la question, les consommateurs-électeurs, semblent se satisfaire pleinement des horaires actuels et ne sont pas d’accord de sacrifier le personnel d’un secteur aux conditions de travail plutôt précaires.
C’est là qu’interviennent les «régions touristiques», où il est autorisé d’ouvrir les magasins le dimanche, à condition toutefois que leur assortiment réponde aux «besoins spécifiques» des touristes, comme le spécifie l’art. 25 OLT 2. La motion Abate, malheureusement acceptée par les deux conseils, demande donc que cette notion de «région touristique» soit étendue, afin d’autoriser plus largement les ouvertures dominicales. Cette proposition a, du point de vue des partisans de la libéralisation des horaires de travail, le double avantage de vouloir soutenir, sur le papier du moins, une branche en difficulté, mais surtout de n’entraîner qu’une modification d’ordonnance, ce qui se permet de se passer de vote – et donc de désaveu – populaire. La motion Abate est révélatrice d’une tendance de fond: il existe en effet déjà de nombreux cas de «régions touristiques» ayant obtenu abusivement ce qualificatif dans le seul et unique but non pas d’attirer les touristes, mais plutôt de saper petit à petit le repos dominical.
Mais où sont les touristes?
Le journal alémanique d’Unia, «Work», a récemment montré exemple à l’appui à quel point le classement d’une localité en tant que «région touristique» peut être abusif et n’a rien à voir avec le tourisme. «Work» a mené l’enquête à Rapperswil SG, haut lieu touristique certainement aussi renommé que le Cervin ou le Jet d’Eau de Genève. La Migros y a obtenu le classement en zone touristique de son M-Express, malgré le fait que ce dernier se situe dans une zone industrielle, loin du centre historique. L’enquête a été menée le lundi de Pâques et son résultat est édifiant: en trois heures, sur les 46 clients recensés, seuls… 6 étaient n’étaient pas des locaux. 4 d’entre eux étaient des voyageurs au long cours venu du canton voisin de Zürich et 2 venaient d’Inde. Les seuls vrais «touristes», donc. Lesquels ne se sont finalement acheté que de l’eau minérale, bien que l’on trouve dans n’importe quel kiosque et pour lequel il n’est certainement pas nécessaire d’ouvrir un supermarché. Détail piquant: le supermarché en question n’a dans son assortiment ni cartes postales, ni souvenirs. Le tourisme n’est décidément plus ce qu’il était.
Conclusion: Les régions touristiques ne sont qu’un prétexte pour prolonger tous les horaires d’ouverture des commerces et, partant, tous les horaires de travail. En tirant définitivement le frein à main lors de la prochaine votation sur les ouvertures 24h/24 des échoppes de stations-service, le peuple aura l’occasion de rappeler qu’il ne faut pas se payer sa fiole.
Si je suis commerçant indépendant et que je souhaite travailler de 20h à 23h, de quel droit vous m’en empêcheriez?
Du point de vue du droit du travail, je n’ai rien contre le fait que le propriétaire d’un commerce y soit présent dans son magasin quand il veut, cela fait partie de sa liberté d’entrepreneur. En revanche, du point de vue des règles sur les horaires d’ouvertures, qui sont des règles de police du commerce, il convient de faire une pesée d’intérêts entre les intérêts (privés) du propriétaire, les intérêts (publics) des consommateurs éventuels et les intérêts (publics) du voisinage, qui doit supporter des nuisances. Entre 20 et 23h, il me semble que les intérêts du dernier nommé l’emportent, ce qui justifie une limitation des horaires d’ouverture. En journée, les intérêts du consommateurs sont à mon avis plutôt prépondérants.
Il s’agit cependant d’une décision que doivent prendre les autorités de proximité (dans mon canton, ce sont les communes qui sont compétentes) et il ne serait guère pertinent que la Confédération s’en mêle, à plus forte raison parce qu’elle n’est pas compétente en matière de police du commerce.
Merci pour votre réponse.