Ce n’est pas parce qu’on est le premier août qu’il faut renoncer à s’attaquer à un symbole national. Je veux parler de la Migros. Qui a une jolie semaine derrière elle. D’abord, elle est, selon un sondage, en tête du classement des entreprises préférées des Suisses. Ensuite, elle fait un joli coup en nommant à son conseil d’administration Paola Ghillani, ancienne directrice de l’entreprise de commerce équitable Max Havelaar. Qui a droit à deux pages de panégyrique dans «le Matin» d’hier. Dans lequel elle ne manque pas de tresser des lauriers à l’entreprise qui l’emploie désormais, qu’elle considère comme «un société modèle». Forcément, puisque c’est aussi l’avis des sondés. D’ailleurs, Mme Ghillani ne voit aucune contradiction entre son nouveau mandat et son statut d’ex-grande prêtresse du commerce équitable (dont elle fait toujours son fonds de commerce grâce à l’entreprise de conseil en la matière qu’elle dirige). En effet, selon elle, Migros « se comporte de manière respectueuse avec ses fournisseurs et qu’elle a intégré les dimensions environnementales et sociales dans ses processus. En cela elle respecte les principes du commerce équitable et elle fait du commerce équitable.» Ah bon.
Mme Ghillani devrait mieux s’informer, car sur au moins deux points, la Migros foule largement aux pieds les principes du commerce équitable, notamment les droits des salariés. En Suisse et à l’étranger.
A commencer par ses importations de fruits et légumes provenant de la région d’El Ejido, près d’Alméria au Sud de l’Espagne, récoltés dans des conditions innommables et scandaleuses notamment dénoncées par le regretté Gérard Forster. Des ouvriers migrants, en général sans-papiers et vivant dans des bidonvilles de plastique sont exploités par des agriculteurs sans scrupules pratiquant le travail à la journée, méthode que l’on croyait révolue en Europe occidentale; Au matin, les travailleurs se présentent à l’orée des serres et les employeurs en choisissent quelques-uns selon leur bon plaisir. Exactement comme au moyen âge. Inutile de d’ajouter que, sous cette mer de serres (particulièrement impressionnante vue du ciel), un travailleur syndiqué et un travailleur licencié. Le tout pour produire des fruits gourmands en eau dans une région sujette à des pénuries, qu’il est absurde d’importer par camions, comme le dénonce judicieusement la pétition ras la fraise!.
Mais, pour Mme Ghillani, tout va bien sous le soleil d’Alméria: «A ma connaissance, les conditions des travailleurs suivent un code de conduite très strict se basant sur la Convention de l’Organisation internationale du travail, et tous les fournisseurs de Migros se sont engagés à s’y tenir.»
L’OIT, justement. Dont les conventions (et non «la Convention») prévoient notamment le droit pour les travailleurs de se syndiquer et le droit à la négociation collective. Droits repris par la Constitution fédérale. Peut-être Migros demande-t-elle à ses fournisseurs de s’y tenir – avec le succès restreint que l’on sait– mais s’y tenir elle ne semble pas à l’ordre du jour. Le géant orange se singularise en effet par une politique anti-syndicale agressive. Ainsi, elle refuse purement et simplement de négocier avec Unia, syndicat pourtant représentatif, et chasse ses représentants hors de ses magasins à coup de plaintes pénales pour «violation de domicile». Plaintes systématiquement rejetées par les tribunaux, la liberté syndicale comprenant le droit pour les salariés d’être assistés et défendus par leur syndicat sur leur lieu de travail. Migros semble s’inspirer du champion en la matière (et premier employeur privé au monde), le numéro un mondial du commerce de détail Wal-mart, dont les gérants reçoivent un «guide pour expulser les syndicats» (a manager’s toolbox to remaining union free (pdf)) et qui est allé jusqu’à carrément fermer des supermarchés entiers parce que les syndicats s’y étaient implantés. Il faut dire que sans syndicats, la direction a les coudées franches. Migros vient par exemple d’imposer à son personnel une hausse du temps de travail sans hausse de salaire, malgré des bénéfices en forte hausse.
Bref, Mme Ghillani aura fort à faire si elle souhaite réellement faire de Migros une entreprise équitable et durable.
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