Contrer l’offensive des «bons scolaires» et autres «chèques éducations»

Il y a deux semaines, grand conseil vaudois a nettement rejeté une motion du parti libéral qui souhaitait instaurer un fallacieux «libre choix de l’école» et mettre les établissements scolaires en concurrence. Cette proposition n’était que l’avant-poste d’une offensive plus vaste menée par le «Lobby parents suisses», mais largement soutenue dans les rangs libéraux, UDC, parfois radicaux et parfois verts. Bâle-Campagne votera cet automne et, selon la RSR, une initiative devrait être bientôt lancée dans la canton de Vaud. Il faut dire qu’un concept qui prône le «libre choix» a tout pour être séduisant. Il n’est donc pas inutile de rappeler que le financement public des écoles privées au moyen du «bon scolaire» (ou «chèque éducation») est incompatible avec un Etat démocratique, aggrave les inégalités sociales, est impossible à mettre en œuvre et s’apparente plutôt à un subventionnement des profits l’éducation-business.

Inégalitaire & antidémocratique
Le bon scolaire –et son corollaire, la mise en concurrence des écoles– créent des inégalités sociales et les aggravent. Ce système a été par exemple introduit à large échelle au Chili, creusant nettement les inégalités sociales. Quant à la Belgique, pays européen où le choix de l’école est le plus «libre» et où les familles en font le plus usage, elle est aussi le pays où le niveau d’éducation des parents a le plus d’influence sur celui de leurs enfants, et donc où la démocratisation de l’école est le plus en recul.
Le bon scolaire et le libre choix de l’école nient aussi un principe démocratique fondamental: Celui de l’égalité des chances et de l’égalité face aux prestations publiques. L’école ne serait en outre plus un lieu où tous les enfants d’une région apprennent ensemble la vie en société démocratique, mais une sorte de supermarché segmenté en classes sociales. Le bon scolaire mènerait aussi, comme on le verra plus bas, à soustraire la planification scolaire au contrôle démocratique pour la confier aux prestataires (ce qui n’est pas sans parenté avec le nouvel article 117a Cst sur la santé soumis au vote populaire le 1er juin).

Concurrence inefficace
A cela s’ajoute le fait que la concurrence entre écoles serait au mieux inefficace, au pire nuisible. Le droit suisse de la concurrence tolère en effet les distorsions de la concurrence et ne fait que combattre les abus des cartels ou de position dominante. Bref, la concurrence entre les écoles serait dans tous les cas bancale et nuirait à l’égalité des chances. En outre, il serait impossible de mettre sur pied un système d’indicateurs fiable permettant à tous les parents de faire un choix éclairé. Or, sans libre choix du «consommateur», pas de concurrence.

Impossible à mettre en œuvre – des effets pervers à la pelle
Si les parents pouvaient, chaque année, choisir une nouvelle école pour leurs enfants, nul doute que la planification scolaire deviendrait impossible: Une école bien cotée serait submergée d’inscriptions et devrait soit limiter le nombre de places, soit construire de nouveaux bâtiments en quatrième vitesse (si tant est que cela soit possible). Qui deviendraient subitement inutiles, amortis ou pas, si l’école devait perdre sa bonne réputation par la suite… Quant au problème des transports scolaires, il relèverait certainement de la quadrature du cercle, avec, au final, une augmentation drastique des coûts. Il ne s’agirait en effet plus de déplacer tout un groupe d’enfants d’un même lieu à un autre, mais vers des écoles diverses, situées à des distances plus ou moins longues de leur domicile. Et, dans l’hypothèse où on ne pourrait pas financer tous les transports, le choix de l’école ne serait «libre» que pour ceux qui en ont les moyens.
Dans tous les cas, plus question de planifier démocratiquement ni les bâtiments scolaires, ni les transports, car le libre choix des parents pourrait ruiner tout effort de coordination des pouvoirs publics.
Enfin, le bon scolaire mènerait certainement à des pratiques discriminatoires et à des écoles-ghettos, les unes avec exclusivement de «bons» élèves suisses ou issus des pays industrialisés, les autres avec les «mauvais» élèves, essentiellement issus de l’immigration extra-européenne.

Par ici les petits profits
Chacun a pu constater la prolifération des publicités pour les écoles privées de toutes sortes. Une preuve que la branche se porte bien et qu’il y a de beaucoup d’argent à y gagner. Introduire le bon scolaire ne manquerait pas de gonfler ces bénéfices, réalisés sur le dos des personnes en formation. Et de l’argent public atterrirait directement dans les caisses du privé. Pour des résultats moins bons, en témoignent les forts taux d’échecs des élèves du privé lors des examens pour revenir dans le public.

13 réflexions sur « Contrer l’offensive des «bons scolaires» et autres «chèques éducations» »

  1. Avec le chèque éducation l’expérience de Milwaukee USA est pour les économistes presque parfaite. Le Chèque éducation a été instauré en 1998 puis annulé en 2002 à la suite d’un changement de minorité, puis restauré en 2004. Il a été possible, pour Caroline Hoxby, économiste spécialiste de l’éducation d’en calculer les effets avant pendant et après. Milwaukee de surcroît compte une importante minorité hispanique, des immigrés mexicains pour la plupart, dont les résultats scolaires étaient médiocres, avant le chèque éducation, ces élèves étaient assignés, par une carte scolaire contraignante, à des écoles de quartier « ghettoisées ». Le chèque éducation attribué à toutes les familles de Milwaukee a eu pour effet de redistribuer les élèves entre toutes les écoles de la ville; les parents hispaniques ont effectués leur sélection en fonction des résultats publiés des divers établissements.

    Au terme de cette expérimentation en grandeur réelle, Caroline Hoxby a mesuré les résultats vérifiables; il en ressort une amélioration variant entre 5 et 10 % pour l’ensemble des élèves de Milwaukee, avec une progression plus importante pour les enfants hispaniques que pour la population d’origine locale. La liberté de choix des parents a conduit, ainsi que le prédisait la théorie de Milton Friedman, à un gain de productivité pour l’ensemble du système avec un bénéfice plus marqué en faveur des plus défavorisés.

    Ainsi au Chili, pays très influencé par les thérories de Milton Friedman, le chèque éducation est la règle; mais les résultats sont médiocres, parce que les gouvernements (de gauche depuis 1990), refuse de financer les chèques à un niveau suffisant pour accéder aux écoles privées plus honéreuses que les écoles publiques; au sein même de l’enseignement public, les parents ne peuvent pas choisir dans la transparence, parce que les directeurs d’écoles refusent de publier leurs résultats.

    Extrait du dernier ouvrage de Guy Sorman « l’économie ne ment pas », éd. Fayard.

    Eh oui mon cher Jean-Christophe l’expérience de Milwaukee contredit toutes vos prédictions.

    D.J

  2. Cher DJ,

    Le Chili : prétendre que c’est la faute de la gauche est un argument facile et peu crédible. Si le système était bon, il fonctionnerait quel que soit le gouvernement…

    Milwaukee: Le panégyrique ultralibéral de M. Sorman doit être fortement nuancé. Par exemple par cet extrait de l’article de Richard Hatcher sur http://www.ecoledemocratique.org/spip.php?article149

    « (…) Le chèque doit couvrir l’entièreté des coûts des cours de l’école privée. En d’autres termes les écoles privées ne peuvent pas coûter plus que ce qu’offre l’état avec le chèque. En 2003-4 le chèque vaut environ 5.800 dollars. C’est à vrai dire plus que le coût dans certaines écoles privées (parce que les enseignants sont peu payés) mais les écoles prétendent avoir des frais tels que le refinancement des vieux bâtiments religieux, afin de ramasser tout l’argent (Peterson 2003).
    Ce sont les premiers candidats arrivés qui sont les premiers servis. Si le nombre de candidats dépassent le nombre de place, la loi exige qu’ils soient tirés au sort (comme pour la sélection d’élèves dans des établissements spécialisés où il y a trop d’inscriptions ou des écoles ’magnet’). Parce qu’il n’y a pas trop d’inscriptions dans les écoles soumises au système de chèque, le processus de tirage au sort n’a pas encore été appliqué. Cependant cela ne signifie pas que ces écoles ne sélectionnent pas les élèves d’une autre façon. Bien que la loi leur interdisse de discriminer les étudiants qui ont des incapacités ou dont l’anglais est une seconde langue, la plupart de ces écoles ne fournissent pas de centres d’appui et d’encouragement, ainsi même si ils peuvent s’inscrire dans ces écoles, ces élèves ne seront pas aidés. Similairement, certaines écoles établissent des listes d’élèves dont les besoins ne peuvent être satisfaits, tels que des élèves en retard de deux ou trois ans en lecture. Refuser des élèves suspendus et des élèves qui se sont mal comportés est une autre sélection possible. On ne connaît pas l’ampleur de cette sélection, comme l’état ne récolte pas les données, mais on sait clairement qu’elle existe par quelques anecdotes. (Peterson 2003).
    Au départ les écoles religieuses étaient exclues du programme de Milwaukee, mais en 1995 elles ont pu s’y inscrire par une loi de l’état du Wisconsin, bien que la mise en œuvre de cette décision fut retardée jusqu’à ce que les tribunaux décident qu’il n’y avait pas de violation de la constitution concernant la séparation de l’église et de l’état. En 2000 1,63% des étudiants du programme de Milwaukee fréquentaient des écoles religieuses. (Rethinking Schools 2001).
    (…)
    Malgré les profits engendrés par les chèques-éducation pour des enfants qui étaient scolairement désavantagés, il y a peu de preuves disponibles quant à leur efficacité. C’est en partie dû au fait les écoles privées qui bénéficient des chèques-éducation ne sont pas liées au même règlement que les écoles publiques. Elles peuvent ne pas fournir les informations concernant les résultats des élèves, les taux d’exclusion et de suspension, ou leur appartenance ethnique. Elles sont exemptes des tests obligatoires. Elles ne sont pas obligées d’employer des professeurs diplômés ou de d’atteindre le même niveau de l’enseignement spécial ou de l’aide bilingue que les écoles publiques. A Milwaukee plus de 156 millions de dollars ont déjà été dépensés sur le programme des chèques en 12 ans, pourtant il n’a aucune donnée disponible quant aux résultats.
    (…)»

    On peut encore ajouter que le programme de Milwaukee a coûté 28 millions de $ supplémentaires aux contribuables, vu que les écoles empochent la totalité du bon, même si leurs fais sont moindres… Et le bon révèle ainsi son véritable objectif: Subventionner les bénéfices du privé. Pas très libéral, tout ça.
    Pour mémoire, il y a environ 70’000 élèves dans la scolarité obligatoire vaudoise. Le programme de Milwaukee ne couvre qu’environ 17’000 élèves, alors que la population est comparable (environ 600’000 habitants). Le territoire de la ville (251km2) est 10 fois plus petit que celui du canton (2822 km2) et le problème des transports ne se pose pas, ou en tout cas pas de manière comparable à ce qui se passerait dans notre canton, très étendu et aux nombreuses régions périphériques. La comparaison n’est donc pas vraiment faisable.
    Et, quoi qu’il en soit, le bon scolaire porte atteinte à une des missions fondamentales de l’école: apprendre aux enfants d’un même quartier ou d’une même commune à vivre ensemble, en société démocratique.

  3. Ping : www.romanding.ch

  4. Une école privée fiancée par l’Etat n’est par définition plus vraiment privée; donner l’argent aux parents via un chèque éducation n’est qu’un tour de passe-passe.

    L’école publique en Suisse est de bonne qualité (ce qui ne signife pas qu’il n’y a rien à améliórer); si certains considèrent que cette école publique n’est pas adaptée à leur enfant, libre à eux de lui offrir une éducation différente, mais à leurs frais.

    Il y par exemple ce concitoyen d’Argovie, qui envoie son gamin de 6 ans dans une école privée afin qu’il soit « mieux préparé à l’avenir »; la particularité de cette école, c’est qu’on y enseigne le chinois au primaire déjà….personnellement, je trouve cela assez risible, mais c’est leur bon droit ! Néanmoins, je ne vois pourqoi leur délire (je m’excuse pour le terme, mais aucun autre ne me vient à l’esprit) devrait être financé par mes impôts…

    Es Grüessli us Züri (c’est pas chinois….)

  5. Effectivement. Je n’ai rien contre le fait que ces parents choisissent de donner une autre éducation à leurs enfants si ça leur chante. Mais pas question de le payer avec mes impôts!

    Tout de bon et un excellent week-end de l’ascension!

    JC

  6. Je suis sans opinion sur le sujet en ce moment, mais il faut bien dire aussi une chose: D’un autre côté, en général, un enfant en école privée n’est pas un coût marginal à l’école publique…

    Donc, si on veut être équitable, il faut rémunérer ce sacrifice…

    Et si JC y voit une subvention de l’école-business? Et bien, c’est une fois de plus la preuve que la production de biens de façon privée et concurrentielle est plus efficace que la douche d’argent gérée suboptimalement par des fonctionnaires!

    Et ce qui est le plus beau, une fois de plus, c’est que l’amélioration et l’augmentation de qualité et d’efficacité ne coûte à personne. Parce que c’est justement ça la beauté de l’efficacité!

    Je m’explique:
    – Administration: Cinq cons fabriquent dix petits pots par jour… Comme c’est des fonctionnaires, on dit « bien, votre objectif est de produire deux pots par con et par jour ». On les vend pour vous, ne vous en faites pas! D’ici une année, essayez d’en produire entre deux et cinq de plus ok?

    – Privé: Un mec malin explique à quatre cons comment fabriquer douze pots par jour… Puis le jour d’après, il engage un autre malin qui se charge d’une amélioration constante du processus de fabrication du pot. Il vire un des cons qui produisait les pots, le moins productif. Après quelques années, trois cons produisent vingt pots par jour, un con en vérifie la qualité et les vend, le dernier s’occupe des finances, de l’achat de matière premières et de remplir les déclarations d’impôts! C’est notre premier malin du début: Ses pots sont de meilleure qualité que ceux de l’administration, puisqu’il doit trouver des volontaires pour les acheter…

    Au niveau social après une année,
    – Du coté administratif: cinq cons produisent maintenant douze pots par jour de qualité moyenne de façon manuelle
    – Du côté privé, il y a un machine qui aide la production, la qualité est plus haute, les salaires sont plus élevé. Mais au final, c’est simplement cinq personnes qui produisent vingt pots par jour…

    Sinon il y a tous les corollaires:
    – Les quatre employés du privé et le patron dépensent plus d’argent dans la gastronomie, la construction etc… Ils aident le tissu économique!
    – Le patron a un abonnement général des CFF en première classe (il subventionne du coup de facto les transports publics)
    – L’entreprise paie des impôts, les employé paient plus d’impôts…

    Innovation et esprit d’entreprise… C’est ce qui est le plus important! Car l’efficacité, c’est surtout trois cons qui produisent le double de cinq cons. Et ça sur le long-terme c’est la différence entre Cuba et Singapour!

    Merci, bonsoir,
    P

  7. Oh, et sinon…

    Qu’est-ce qu’un cartel?
    C’est avoir peur que les consommateurs, à large échelle, paient trop pour trop peu de qualité, par manque de concurrence et connivence entre les acteurs du marché!

    Qu’est-ce que l’état dans ses positions de monopole, notamment en éducation?
    Un seul très très très gros acteur qui peut réguler les concurrent, les forcer à fermer et se cantonner à fournir la prestation qu’il estime bonne… Pour le prix qui lui semble correct!

    Hmmmm…

    C’est vrai, ton argumentation est brillante et elle tient très bien 😉

    Affectueusement,
    P

  8. Peut-être qu’on pourrait prendre Cuba et Singapour comme exemple:
    – Cuba, choix de l’école, catastrophique!
    – Singapour, pas de choix de l’école, brillant!

    Et prétendre que cela a quelque chose à voir avec le choix de l’école et non avec le fait que ces pays sont rougissimes ou non?

    😉

    P

  9. Ouais, sauf que l’école n’a pas pour unique objectif de « produire » (des gens capables de se débrouiller seuls en personnes responsables et de contribuer au développement de la société), mais aussi d’apprendre la vie en commun. Et ça, ce serait impossible dans un paysage rempli d’écoles privées ou publiques proposant chacune un programme différent et où enfants et parents feraient leur « shopping ».
    Mais il ne faut certes pas oublier que l’école doit être la plus « efficace » possible (à condition que l’on se mette d’accord sur ce qu’efficace veut dire). Mais je prétends que le public est plus efficace que le privé. Voilà. Et c’est pour ça que je soutien le monopole étatique. Fort heureusement, la LCart prévoit que certains domaines puissent lui être soustrait. Heureusement d’ailleurs. Comme quoi elle n’a pas que des défaut.
    Tout de bon

    JC

  10. Patrice, chapeau bas pour votre demonstration efficace des differences « publique-prive », maintes fois demontrees. Seules quelques syndicalistes socialistes, aveugles par leur ideologie collectiviste, ne semblent pas y croire. Normal peut-etre, car ils n’ont jamais travaille, ni dans le prive, ni dans le public!

  11. Cher philippe, force est de constater que l’école publique est plus efficace que l’école privée. Que les transports publics sont plus efficaces que les transports en commun privatisés. etc. Et c’est quelqu’un qui a travaillé et pour le public et pour le privé qui vous le dit.

  12. Ouaip, force est de constater que c’est une de mes expression préférées 😉 et j’en use (et en abuse) parfois sans m’en rendre compte. Je vais faire en sorte de me diversifier!

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