Juridiction constitutionnelle: une minorité du groupe PS votera non

Lundi, le conseil national se prononcera en deuxième lecture sur le projet de supprimer l’art. 190 de la Constitution fédérale, afin d’introduire un contrôle de la constitutionnalité des lois. Même si le PS a été jusqu’à très récemment opposé à la juridiction constitutionnelle en Suisse, la grande majorité du groupe socialiste aux chambres soutiendra le projet. Je ferai partie de la minorité qui s’y opposera.

L’idée de départ est pourtant bonne: il s’agit de veiller à ce que toute loi soit conforme à la constitution. Actuellement, les tribunaux ne sont liés que par le droit international et par les lois fédérales (art. 190 Cst.). Le parlement et le peuple peuvent donc adopter des lois contraires à la Constitution. Mais cela signifie que c’est à eux que revient de contrôler la constitutionnalité, pas à un tribunal. Or, la suppression de l’art. 190 Cst. et l’introduction du contrôle constitutionnel poserait de nombreux problèmes politiques, mais aussi juridiques.

Politisation de la justice

D’une part, la juridiction constitutionnelle risquerait de politiser la justice. Même si le tribunal fédéral n’est pas aussi politique que, par exemple, la Cour suprême des USA, il n’en a pas moins une composante politique: ses membres sont désignés en fonction de leur attache partisane. Et il ne s’est par le passé par privé de «corriger» des décisions du législateur au nom d’autres principes, on pense par exemple à l’ouverture forcée du marché de l’électricité par le biais de la loi sur les cartels, alors que la volonté populaire s’était exprimée contre cette libéralisation. Il est donc fort possible que des décisions du législateur, notamment en matière de politique sociale, soient jugée anticonstitutionnelles. Par exemple, un tribunal pourrait juger que l’obligation de s’assurer à une caisse-maladie est contraire à la liberté économique (c’est ce qu’ont tenté les adversaires d’Obamacare aux USA), que la différence entre l’âge de la retraite des femmes et des hommes est contraire à l’égalité des sexes ou que la lex Koller qui interdit la vente d’immeuble aux étrangers est contraire à la garantie de la propriété privée. Même les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes, une des garanties majeures du niveau des salaires et des conditions de travail, pourraient être menacée si le TF s’inspirait de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne donnant la priorité aux libertés économiques sur les droits des travailleurs (arrêts «Viking», «Laval», «Luxembourg» ou «Rüffert»). Ainsi, des progrès ou des garanties obtenus de haute lutte devant les chambres ou le peuple pourraient être anéantis sur une simple décision de justice.

C’est notamment pour cette raison que les socialistes se sont à maintes reprises opposés au contrôle constitutionnel des lois, qui a souvent été prôné par les milieux réactionnaires, qui comptaient sur les dispositions constitutionnelles sur la répartition des compétences entre Confédération et cantons pour freiner des progrès sociaux décidés à Berne. Lors de la révision de la Constitution fédérale de 1999, le PS s’est opposé avec succès à la juridiction constitutionnelle.

«Immunité» pour la Constitution?

La suppression de l’art. 190 Cst., qui rappelle la primauté du droit international, pose un autre problème: elle apporterait de l’eau au moulin des extrêmistes de droite de tout poil qui souhaite se débarrasser des juges «étrangers» (même si ceux-ci appliquent en fait du droit suisse, le droit international devenant droit interne lors de son adoption). Certes, cette disposition est redondante et n’est pas nécessaire pour garantir la primauté du droit international. Mais elle n’en demeure pas moins une disposition acceptée par le peuple et les cantons, qui augmente la légitimité de cette primauté. En outre, supprimer l’art. 190 Cst. créerait une sorte d’immunité pour la Constitution, bien que celle-ci soit loin d’être parfaite, ni exempte de dispositions contraires aux principes de la démocratie et de l’Etat de droit, situation qui pourrait s’aggraver vu les nombreuses initiatives de l’UDC.

S’opposer à la juridiction constitutionnelle ne signifie cependant pas donner un blanc-seing complet au peuple ou au parlement. Cela ne signifie pas non plus que l’extrême-droite pourra vider les droits fondamentaux de leur substance. En effet, ceux-ci (à l’exception de la liberté économique et de la garantie de la propriété privée, ce dont personne ne se plaindra) sont garantis par la Convention Européenne des Droits de l’Hommes (CEDH), que les tribunaux doivent déjà appliquer. Notamment grâce à l’art. 190 Cst.

Quant à la possibilité, avancée par les partisans de la juridiction constitutionnelle, d’imposer des progrès sociaux par les tribunaux, il faut lui préférer le combat parlementaire et par le biais des droits populaires. Les socialistes doivent être capables de créer des majorités au parlement ou de gagner devant le peuple!

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