Mon intervention au Conseil national sur «Monnaie pleine»

L’initiative qui est soumise aujourd’hui à notre examen part d’une bonne intention : stabiliser le système financier, empêcher les crises, éviter que les collectivités publiques ne doivent voler au secours d’entreprises présentant un risque systémique sont des objectifs importants que mon parti et moi-même poursuivons depuis longtemps. Et pour lesquels quelques progrès ont été obtenus, même s’il reste encore beaucoup à faire.

Mais cette initiative n’atteindra pas les buts que les initiants lui assignent. Tout simplement parce qu’ils se fondent sur une analyse erronée. Ce n’est en effet pas la création monétaire qui est la cause l’instabilité et des crises financières. Ce sont plutôt les inégalités , c’est la captation toujours plus importante des richesses par une minorité toujours plus restreinte et cupide. C’est la croissance des dettes privées et publiques. Les unes sont générées par la pression sur les salaires et les conditions de travail, par la précarité croissante, par la part grandissante du pouvoir du capital au détriment de celui du travail, par l’affaiblissement de la négociation et de la résistance collective. Les autres sont dues à la sous-enchère fiscale, à la privatisation des bénéfices et à la socialisation des pertes. « Monnaie pleine » n’apporte aucune réponse à ces graves problèmes. Pis, nous y reviendrons, elle, risque d’aggraver la situation.

Les initiants font mon avis une seconde erreur d’analyse, et non des moindres, lorsqu’ils se rangent du côté des monétaristes. En partant du principe qu’une banque nationale doit se concentrer sur la gestion de la masse monétaire, les initiants ne font rien d’autre qu’appliquer la théorie monétariste de M. Friedmann et consorts. Cette théorie a notamment fait d’énorme dégâts dans notre pays dans les année 1990, quand la BNS la suivait aveuglément. Heureusement, cette théorie perd de son aura, pour ne pas dire ses soutiens.

Car, les faits sont têtus, les monétaristes ont tort. Ce n’est pas la monnaie en circulation qui détermine l’activité économique, mais l’inverse. C’est parce qu’il y a un besoin de monnaie généré par l’activité économique qu’il faut créer de la monnaie. J’en veux pour preuve le fait que la masse monétaire n’a jamais été aussi importante qu’actuellement, mais que l’inflation est quasi nulle (si ce n’est négative). Or, si les théories monétaristes étaient correctes, l’inflation devrait être galopante.

Mais il n’y a pas que des désaccords sur l’analyse de la situation qui me poussent à rejeter avec véhémence ce qui ne serait rien d’autre qu’une expérience grandeur nature d’un apprenti-sorcier tout seul dans son coin, qu’un saut dans l’inconnu, si ce n’est dans le néant. Ce sont aussi les conséquences probablement désastreuses qu’auraient un système de  monnaie pleine sur notre système financier, sur notre économie et sur notre démocratie qui me pousse à recommander de voter non.

Monnaie pleine ne garantit pas la stabilité du système financier. Pas uniquement parce qu’elle se fourvoie sur les causes de l’instabilité financière, mais aussi parce qu’il est fort probable que les banques, si elles ne peuvent plus se financer via les dépôts à vue, se cherchent d’autres sources de financement, plus risquées et aussi plus chères, tant pour les emprunteurs que pour les déposants. Monnaie pleine risque encore de restreindre l’accès au crédit, mais aussi d’empêcher notre banque nationale de mettre en œuvre des mesures anticycliques, surtout en cas de récession imprévue, car elle devrait uniquement se concentrer sur la masse monétaire et devrait définir à l’avance des liquidités dont pourrait bien avoir besoin l’économie. Dans ces conditions, comment réagir vite et bien, alors que notre BNS a déjà de la peine à respecter la totalité de son mandat légal qui lui demande de tenir compte de la conjoncture ?

Enfin, « monnaie pleine » causerait un déséquilibre démocratique en créant un quatrième pouvoir, au contours et aux pouvoirs flous et dont il serait douteux qu’il puisse être soumis à un contrôle démocratique. En effet, en supprimant, de l’art. 99 al. 3 de la Constitution Fédérale le fait que la BNS « (…) est administrée avec le concours et sous la surveillance de la Confédération. », l’initiative nous propose un grand saut dans l’inconnu.

Que les choses soient claires : Je suis un fervent partisan d’une régulation bancaire et d’une politique monétaire qui empêchent que la collectivité ne soit systématiquement appelée au secours des entreprises qui présentent un risque systémique. Je suis aussi un fervent partisan d’une limitation drastique de la spéculation. Mais cela passe par des mesures beaucoup plus complètes et efficaces que la « monnaie pleine » : séparation des banques de détail et d’investissement, augmentation des prescriptions minimales sur les fonds propres, limitations des salaires abusifs, taxation des transactions financières. Le Conseil des Etats et la majorité de la commission ont malheureusement raté une belle occasion de renforcer la stabilité du système financier en refusant la proposition du PS d’opposer un contre-projet à « monnaie pleine ». Mais ce refus ne justifie en aucun cas que l’on accepte cette initiative qui n’atteindra pas le but qu’elle se donne.

(Le Conseil national vient finalement de refuser « Monnaie pleine » par 165 voix contre 10 avec 17 abstention, mais a aussi malheureusement rejeté la proposition du PS de lui opposer un contre-projet direct obligeant les banques d’importance systémique à détenir des fonds propres représentant au moins 10% de leur bilan, compte tenu d’une partie des opérations hors bilan).

 

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