Le « mobility pricing » exige des travailleurs une flexibilité qu’ils n’ont pas

Le Conseil fédéral souhaite instaurer une tarification de la mobilité, ou « mobility pricing » en franglais dans le texte. Concrètement, celui qui utilise les transports publics ou circule aux heures de pointes paie plus cher que celui qui peut se permettre de se déplace pendant les heures creuses. L’objectif ? Mieux répartir les usagers sur l’entier de la journée et éviter tant les bouchons routiers que la surcharge des transports publics. Cela part d’une bonne intention, mais, sans refonte du droit du travail, cette idée risque bien de se transformer en poison pour les travailleurs.

En effet, ce concept exige des travailleurs une flexibilité que le droit du contrat de travail ne leur accorde pas. D’abord, parce que c’est l’employeur qui fixe les horaires de travail (y compris les dates des vacances), même si cela implique des déplacements au moment où les tarifs sont les plus élevés. Cela relève de son droit de donner des directives ou d’ordonner des heures supplémentaires. Quand le Conseil fédéral déclare dans son rapport sur la tarification de la mobilité que « les employeurs ont une forte influence sur le choix des horaires de départ des employés », c’est donc un euphémisme (voire une litote). Il convient en outre de rappeler que les frais de déplacement du domicile au lieu de travail sont à la charge du travailleur.

Ensuite, parce que les travailleurs, même s’ils ont une raison autrement plus impérieuse qu’alléger la surcharge des infrastructures de transport, n’ont pas de droit à des horaires à leur convenance ni à pouvoir travailler régulièrement à domicile. Dans les entreprises soumises à la loi sur le travail, l’employeur doit certes tenir compte des responsabilités familiales avant de fixer les horaires de travail, mais il reste le seul maître de cette décision, peu importe si elle n’est pas compatible avec, par exemple, les horaires des écoles ou de l’accueil de jour ou le planning du conjoint. Quant au travailleur qui pourrait travailler régulièrement à domicile, il n’a aucun droit au télétravail. Si son employeur refuse (quel que soit son motif), il a le dernier mot.

Le « mobiliy pricing » n’est enfin pas adapté au droit du travail actuel, car le travailleur qui perd son emploi parce qu’il a revendiqué quelque chose, même si c’est dans l’intérêt public, n’est pas protégé efficacement contre le licenciement abusif. Ainsi, celui qui perd son emploi parce qu’il souhaite ne pas se déplacer pendant les heures de pointe peut toujours essayer de faire valoir un licenciement abusif. Mais même s’il y parvenait (les chances sont minces), l’indemnité d’au maximum 6 mois de salaires ne le mènerait pas bien loin. Et ne remplacerait certainement pas son emploi, définitivement perdu.

Quant aux travailleurs qui sont au chômage, ils sont bien souvent contraints d’accepter le premier emploi venu, même si cela implique un très long trajet en transports publics. En effet, l’assurance-chômage exige de tout chômeur inscrit qu’il accepte le premier emploi jugé « convenable » qui se présente à lui. Or, un emploi est convenable même s’il se trouve à deux heures de trajet (aller !) depuis le domicile. Que fera donc le chômeur contraint d’accepter un pareil emploi sous peine de réduction de son droit aux indemnités, si ce n’est prendre la route ou les transports publics aux heures de pointe… et payer son trajet au prix fort ?

Comme le Conseil fédéral ne semble pas avoir réfléchi à fond à ces questions, je lui poserai quelques questions lors de la prochaine session.

2 réflexions sur « Le « mobility pricing » exige des travailleurs une flexibilité qu’ils n’ont pas »

  1. Une mesure qui pénalise le travail, surtout des employés subordonnés qui ne choisissent ni leurs horaires ni leur lieu de travail, surtout des mères (et pères) de famille qui travaillent pendant que les enfants sont à la garderie ou à l’école. Injuste et choquante manière de mettre le boulet sur la classe moyenne inférieure, piller de notre économie et notre société. Il faut absolument se mobiliser avant qu’il ne soit trop tard. Que peut-on faire (motion, référundum, initiative, manifestations, grèves) ?

    • Le moment venu, il sera certainement possible de lancer un référendum contre la décision du Parlement. Nous n’en sommes heureusement pas encore là, car ce n’est qu’un avant-projet de projet-pilote. A ce stade, une série de lettres à la Conseillère fédérale Leuthard serait un bon moyen d’attirer l’attention sur les problèmes que le Conseil fédéral préfère ignorer. Et comme le journal « 20 minutes » s’intéresse au sujet: http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/Les-perdants-du–mobility-pricing–laiss-s—leur-sort-30821739 ils seront peut-être intéressé de savoir que des citoyens réagissent!
      J’essaierai de tenir les lecteurs de mon site au courant de la suite!

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