Intérêt public ou bon plaisir du prince ?

halte Les partisans des forfaits fiscaux n’ont de cesse d’étaler la « générosité » des bénéficiaires de ce traitement de faveur. Ces derniers paient en effet des montants sans rapport avec leur capacité économique, à l’aune de laquelle tous les autres contribuables sont imposés. Mais peu importe ! ils se « rattrapent » en couvrant de dons et legs communes et sociétés locales. L’un de ces munificents personnages finance par exemple des logements protégés, l’autre est mécène d’un festival. Les partisans des forfaits fiscaux en tirent la conclusion qu’il ne faut surtout pas taxer ces contribuables fortunés comme vous et moi, car ils cesseraient d’être aussi « généreux ». Et ce chœur des pleureuses de prédire des lendemains qui déchantent aux sociétés locales, à la culture, aux œuvres d’entraide, sans oublier aux fabricants de plaques commémoratives. Alors, pourquoi diable soumettre ces nababs aux mêmes règles fiscales que le commun des mortels ? Rassurons-nous, ces dons ne sont qu’un phénomène marginal. Et, surtout, ils témoignent d’une volonté de s’affranchir des règles qui régissent notre société, de jouer en somme le seigneur féodal qui ne respecte d’autres règles que celles qu’il se fixe lui-même.

En effet, si importants soient-ils en montant absolus, les dons de ces privilégiés restent négligeable comparés à l’étendue de leur fortune. Ainsi, lorsque le propriétaire d’IKEA gratifie sa commune de 10 millions de francs (0,03% de sa fortune !), il n’obère pas plus son patrimoine que le citoyen lambda possédant en tout et pour tout 100’000.—Fr. et qui donne… 30 francs à une bonne œuvre !

Mais il y a pire. Prétendre que ces « dons » remplacent une taxation ordinaire est dangereux pour une société démocratique. Car cela signifie qu’une petite minorité peut s’affranchir des règles de l’Etat de droit, en décidant à qui et à quelles conditions elle finance ce qu’elle seule considère comme l’intérêt public. Alors que le 99% des contribuables n’a qu’un pouvoir collectif de décider où va l’argent de ses impôts, en élisant ses représentants ou en influençant budgets et investissements grâce aux droits populaires, les donateurs privés peuvent définir l’intérêt collectif de manière arbitraire. Ces « dons » ne sont en réalité rien d’autre que le bon plaisir du prince, qui ne finance l’intérêt public que quand ça l’arrange, cependant que l’immense majorité n’a qu’une influence limitée sur les dépenses de l’Etat.

En abolissant les forfaits fiscaux, nous avons la possibilité d’appliquer les mêmes règles à toutes et tous. Ce sont les règles de la démocratie qui doivent déterminer l’allocation de l’argent public et pas les lubies d’une poignée d’étrangers fortunés.

(texte paru aurjoud’hui dans «24 heures»)

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Les riches donateurs ont parfois une vision scandaleusement étroite de l’intérêt collectif qu’ils souhaitent financer par leur dons arbitraires: en témoigne, par exemple, le cas de cette « donatrice » (en l’espèce une Suissesse pas imposée à forfait) qui interdit à nos concitoyens naturalisés et aux ressortissants étrangers les logements pour seniors qu’elle a « offert » à la commune de Coppet.

3 réflexions sur « Intérêt public ou bon plaisir du prince ? »

  1. « Alors, pourquoi diable soumettre ces nababs aux mêmes règles fiscales que le commun des mortels ? » […] « Car cela signifie qu’une petite minorité peut s’affranchir des règles de l’Etat de droit, en décidant à qui et à quelles conditions elle finance ce qu’elle seule considère comme l’intérêt public. »

    Je ne voulais pas intervenir dans ce débat. Finalement, j’ai beaucoup de peine avec ces deux phrases. Les forfaits fiscaux ont été mis en place par la Suisse, démocratiquement, et repose sur une base légale claire et maintes fois confirmée par le Tribunal fédéral. Je ne comprends dès lors pas votre argumentation.

    • La base légale est claire et a été plusieurs fois confirmée par le TF, c’est vrai. Cela ne l’empêche pas d’être injuste et choquante. Il convient donc de la supprimer, tout aussi démocratiquement qu’elle a été introduite!

      • Je suis très heureux par le résultat de cette votation et le rappel clair que c’est la démocratie qui définit les moyens de combattre ce qui est « injuste » et « choquant » ; pas de petits comités.

        J’espère sincèrement que le ton de certains politiciens va s’adoucir ces prochains temps…
        (je parle pour tous les partis qui se reconnaissent dans l’insulte des « étrangers » qu’ils soient pauvres (l’UDC) ou riches (La Gauche).)

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