Enfin une obligation de conclure des plans sociaux!

Les chambres fédérales viennent de combler – en tout cas partiellement – une des lacunes importantes du droit suisse du travail en introduisant l’obligation de conclure un plan social en cas de licenciement collectif dans les entreprises dès 250 salariés. Jusqu’à présent, une grande entreprise pouvait licencier un très grand nombre de collaborateurs sans leur devoir le moindre centime: le droit du licenciement collectif ne prévoit en effet qu’une obligation de consulter la représentation du personnel et si ces exigences de formes sont remplies, les licenciements sont valables sans que l’employeur n’ait à payer quoi que ce soit. Et s’il commet une erreur pendant la procédure, les licenciements sont certes abusifs, mais les victimes n’ont droit qu’à au maximum 2 mois de salaire. Autant dire rien. Elles se retrouvent pourtant nombreuses en même temps sur le même marché du travail, ce qui réduit leurs chances de retrouver rapidement un emploi.

Pas de restructuration sans protection

Cette facilité à restructurer à la hussarde ne désavantage pas que les travailleurs concernés. C’est aussi un problème pour le savoir-faire industriel. En effet, lorsqu’une multinationale doit restructurer, elle commence souvent par ses sites où il est le plus facile de le faire. Or, la Suisse a souvent été victime de restructurations la frappant non pas parce que les sites suisses étaient moins rentables, mais parce que c’est là qu’il était le moins cher de licencier. L’obligation de conclure un plan social en cas de licenciement collectif aura donc le mérite non seulement de diminuer les conséquences négatives pour les personnes qui perdent leur emploi, mais encore d’inciter à préserver la substance de notre place industrielle.

Et le partenariat social?

Les adversaires de ce progrès social n’ont eu de cesse de seriner tout au long des débats que les plans sociaux doivent rester l’affaire des partenaires sociaux. En théorie, ils n’ont pas tort: Beaucoup de CCT prévoient une obligation de négocier, voire carrément de conclure un plan social en cas de licenciement collectif. Mais il n’est pas inutile de rappeler que ce n’est pas le cas de toutes les CCT, et qu’un salarié sur deux ne bénéficie de toute façon pas d’une CCT. Les CCT sont en outre attaquées de toute part, des fous furieux ultralibéraux d’avenirsuisse, aux UDC partisans de la loi de la jungle sur le marché du travail, en passant par les nombreux employeurs rétifs à la négociation collective par principe (souvent parce que l’école de St. Gall leur a inculqué que c’est une «entrave au laisser-faire libéral»). Ce constat d’échec du partenariat social justifie donc que l’Etat fixe quelques règles, judicieusement qualifiées par le Conseil fédéral de «minimum de la décence».

Ces règles restent simples et flexibles: la loi ne dit pas ce que doit contenir le plan social, mais force syndicats et employeurs à se mettre d’accord, faute de quoi, un tribunal arbitral (un instrument prisé des partenaires sociaux) arrêtera le plan social de manière contraignante. Et, pendant les négociations, l’employeur devra mettre les chiffres sur la table, car le tribunal arbitral traitera à n’en pas douter sévèrement celui qui tente de camoufler en déboires conjoncturels une envie de profits ou qui prétend qu’un site n’est pas rentable sur la base d’arguments farfelus (on se souvient du fameux rapport de consultants qui avançait que le site Novartis de Prangins, finalement sauvé, n’était «pas rentable»…).

Conséquences: Plus d’échappatoire pour les patrons-voyous qui ne licencient non pas parce que la situation économique les y force, mais parce que leurs profits sont trop bas à leur goût (ou celui de leurs actionnaires).

Le prix à payer

Cette innovation n’a toutefois pas été obtenue sans contrepartie. Elle a été décidée dans le cadre de la révision du droit de l’assainissement, qui se base sur un compromis et contient une couleuvre que la gauche et les syndicats ont finalement accepté d’avaler: Le repreneur d’une entreprise en faillite ne devra plus reprendre tout le personnel, ce qui est un coup dur pour les travailleurs concernés mais qui pourrait favoriser le sauvetage d’emplois. Les chambres ont malheureusement refusé de revenir sur la jurisprudence du tribunal fédéral (ATF 129 III 335) qui supprime la responsabilité solidaire du repreneur, malgré les risques de faillites abusives en chaînes. C’est une question que le Conseil fédéral devra toutefois examiner dans le cadre de sa réponse à une motion visant à limiter ces terribles abus. Quoi qu’il en soit, l’obligation de reprise en cas de faillite était fort contestée en doctrine et il était loin d’être sûr que le tribunal fédéral ne finisse pas par trancher là-aussi en défaveur des travailleurs. Un autre arrêt du TF (ATF 136 III 552) avait déjà d’ailleurs ouvert une brèche assez importante dans cette disposition en autorisant un employeur qui souhaite être repris par une autre entreprise à restructurer «préventivement» en vue du transfert. L’employeur prévoyant pouvait donc déjà faire en sorte que seule une partie des salariés ne soit reprise par l’acquéreur.

Stratégie habile et payante des socialistes

Il faut enfin relever que le groupe PS au conseil national a fort habilement manœuvré pour obtenir les plans sociaux. Face au risque de les voir purement et simplement biffés, il a fait en sorte que le Conseil national n’entre pas en matière, fixant ainsi clairement le tarif: Le nouveau droit de l’assainissement (rendu nécessaire par la débâcle de Swissair) ne passerait pas s’il se faisait au détriment des seuls salariés. Suite à ce blocage initial, tous les acteurs qui ont plaidé pour l’aboutissement de cette importante réforme de la loi sur les poursuites et faillites ont insisté sur le fait qu’elle devait être équilibrée. Et que l’obligation de conclure un plan social était une partie intangible de cet équilibre. La fermeté initiale de la gauche a donc payé.

Perspectives

Certes, l’obligation de conclure un plan social n’est qu’un début. La limite de 250 salariés restreint sa portée pratique, car elle ne concerne que moins d’1% des entreprises (mais tout de même plus de 30% des salariés). Mais sa portée symbolique est conséquente: Désormais, en Suisse, on ne pourra plus licencier des dizaines de personnes sans assumer une certaine responsabilité. Les licenciements boursiers ne seront certes pas interdits, mais ne seront plus gratuits. Les employeurs et les actionnaires devront avoir toujours à l’esprit que, derrière une restructuration, il y a des personnes, des familles, dont l’avenir est compromis. Plus question de les laisser en plan en espérant que la «main invisible» du marché leur viendra en aide.

Quant aux syndicats, ils n’auront plus besoin de remuer ciel et terre pour forcer l’employeur à entrer en négociation et se concentrer sur leur objectif: obtenir plans sociaux plus protecteurs pour les victimes du licenciement collectif.

11 réflexions sur « Enfin une obligation de conclure des plans sociaux! »

  1. Foutaise. Plus on complique les conditions de licenciement, plus on grève la volonté d’engager du personnel: voir la France.

    • Contrairement à ce que vous avancez, il n’a jamais été démontré de manière sérieuse que la régulation du marché du travail créait du chômage. Il existe en effet de nombreux pays dont le marché du travail est considéré comme régulé qui ont un faible taux de chômage, et de nombreux pays dont le marché est considéré comme très libéral qui ont un taux élevé.

      • La réalité prouve l’inverse, au contraire… Et cela vaut toute les soi-disante études scientifiques… Qui par ailleurs ne demandent jamais l’avis d’entrepreneurs… Bizarre, non?

        • Ce n’est pas moi qui considère un pays ou un autre comme ayant une législation sur le travail « libérale » ou pas, c’est l’OCDE. Qui est parvenu à la conclusion qu’il n’existe aucun lien empirique entre régulation du marché du travail et chômage. Les apparences peuvent en effet être trompeuses: par exemple, si je prétendais, parce que le taux de chômage au Royaume-Uni (marché du travail libéral) et plus élevé qu’en Allemagne (marché du travail régulé), que la régulation du marché du travail fait baisser le chômage, vous protesteriez. A juste titre.

          • Monsieur Schwaab, au fond, est-ce que vous souhaitez que notre pays devienne « normal », c’est-à-dire « français » (35h, fonction publique dépassant le 50% du PIB, protection élevée du travailleur mais avec corrolaire de nombreux contrats CDD, etc)?

          • Rassurez-vous, Philippe, il y a de nombreux éléments du « modèle français » que je ne souhaite en aucun cas reprendre: large subventionnement public de l’enseignement privé, sélection à outrance au niveau des hautes écoles, privatisations des grandes entreprises en mains publiques, agriculture polluante ultrasubventionnée, libéralisation du marché de l’énergie, autoroutes privatisées, importante part de l’atome dans la production énergétique, fort poids du clergé dans le débat politique et la formation, centralisme excessif, faiblesse des syndicats et du partenariat social, etc.
            En revanche, les autres éléments que vous évoquez sont intéressants: les 35h ont créé des emplois et je ne vois pas en quoi une forte part de l’Etat dans le PIB et l’emploi nuit à l’économie. Quant à la forte protection des travailleurs, il est vrai que le droit français pourrait être rendu plus clair en la matière. En revanche, au risque de me répéter, il n’existe pas de corrélation empirique entre régulation du marché du travail et chômage.

    • Monsieur Schwaab,

      Vous avez écrit que les « 35 heures ont crée des emplois ». Pouvez-vous svp me l’expliquer.

      Merci.

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