Clause de sauvegarde: un faux-fuyant qui détourne des vraies mesures

Disons-le tout net: même si elle a grandement contribué au succès économique de la Suisse, la libre circulation crée des problèmes de sous-enchère. Ceux-ci ne peuvent être passés sous silence. Mais l’activation de la «clause de sauvegarde» (la réintroduction unilatérale de contingents de main d’œuvre) n’est certainement pas le moyen approprié. Pire, cela risque de détourner des vraies enjeux en matière de marché de l’emploi: les mesures d’accompagnement en matière de droit du travail et en faveur du logement. L’activation de la clause de sauvegarde n’est pas une bonne idée d’abord parce que cela n’aurait que des effets marginaux et de courte durée. En effet, cette «clause» ne permettrait que de diminuer de 2000 le nombre d’étrangers issus de l’UE sur une immigration totale de 80’000 personnes. En outre, les travailleurs migrants issus des Etats membres de l’UE pourraient continuer à affluer, mais avec d’autres types de permis de travail (p. ex. des permis de courte durée, dont le nombre a fortement augmenté depuis l’application de la clause de sauvegarde aux nouveaux Etats membres). Enfin, la Suisse ne peut appliquer cette clause unilatéralement que… pendant un an au maximum (soit jusqu’au 31 mai 2014). Autant dire donc que son effet serait très très limité.

En outre, l’introduction de contingents temporaires laisserait entendre que les contingents sont une mesure efficace contre la sous-enchère, alors que c’est totalement faux. En effet, même à l’époque des contingents de main d’œuvre, la sous-enchère et le travail au noir existaient. Et, parmi qui prônent le retour aux contingents (l’UDC et son initiative «contre l’immigration de masse» qui vise à abroger les accords bilatéraux) se trouvent surtout les adversaires de toutes mesures permettant de contrer efficacement le fléau des bas salaires: conventions collectives de travail de force obligatoire, contrats-types de travail avec salaires minimaux obligatoires, salaire minimum légal en général. Car ces gens-là ne veulent pas le bien des salariés. Non, ils veulent que les employeurs puissent continuer à faire venir la main d’œuvre dont ils ont besoin, mais sans qu’elle bénéficie des mêmes droits que les travailleurs suisses, en particulier en matière de conditions de travail. Limiter quantitativement l’immigration n’empêche en rien certains employeurs peu scrupuleux de sous-payer leur personnel (suisse ou étranger), d’abuser de la sous-traitance ou de refuser la négociation collective.

Pour le Conseil fédéral, l’application de la clause de sauvegarde serait une sorte d’oreiller de paresse qui lui éviterait de renforcer encore les mesures d’accompagnement, notamment en matière de logement. Il a déjà fallu passablement lui forcer la main pour introduire la responsabilité solidaire en matière de sous-traitance, car le gouvernement a tendance à penser que parce que, globalement, le marché du travail se porte bien malgré la croissance de l’immigration, les problèmes ponctuels dans certaines branches et régions peuvent être négligés. Ou alors réglés avec des instruments aussi inefficaces que la clause de sauvegarde.

La seule réponse en matière sous-enchère salariale, c’est le renforcement des mesures d’accompagnement et l’introduction d’un salaire minimum, ce qui éviterait la sous-enchère dans toutes les branches et pas seulement dans celles qui ont une CCT de force obligatoire avec salaires minimaux.

5 réflexions sur « Clause de sauvegarde: un faux-fuyant qui détourne des vraies mesures »

  1. « se trouvent surtout les adversaires de toutes mesures permettant de contrer efficacement le fléau des bas salaires: conventions collectives de travail de force obligatoire, contrats-types de travail avec salaires minimaux obligatoires, salaire minimum légal en général. Car ces gens-là ne veulent pas le bien des salariés. »

    Mais regardez en France, pays où il y a le plus de régulation en matière salariale et de personnel. Résultats? Les salaires sont bas, beaucoup de salariés ne touchent que le salaire minimum, taux de chômage très élevé, délocalisation, perte d’investissement.

    Plus vous régulez, plus vous prétéritez l’emploi et donc les salariés. Je ne suis pas sûr que votre politique veut « le bien des salariés »…. L’exemple des Français démontre l’inverse.

    • Selon l’OCDE, la France n’est pas « le pays où il y a le plus de régulation en matière salariale et de personnel ». Toujours selon l’OCDE, il n’y a pas e lien empirique entre régulation du marché du travail et taux de chômage. Je vous recommande la lecture de ce billet: http://www.schwaab.ch/archives/2011/04/27/les-adversaires-du-salaire-minimum-ont-ils-un-autre-exemple-que-la-france/ (comme vous n’y avez pas laissé un de vos sempiternels commentaires aussi vindicatifs que creux, c’est que vous ne l’avez certainement pas lu).

      • Cher Monsieur,

        Les faits démontrent l’inverse. ET le jour où vous aurez réussi à introduire un salaire minimum à CHF 4’000.-, les patrons ne vont pas se gêner pour ramener les salaires situés entre 4’000.- et 5’000.- vers le saaire minimum. ET ce en toute légalité.

        Concernant la France, je n’ai pas parlé uniqument du taux de chômage, mais également des bas salaires, du peu d’investissemnts, etc.

        Vous pouvez nier les faits, mais une des grandes variables influant le niveau du taux de chômage naturel est la rigidité du marché du travail concerné, comme l’illustre le cas français avec une rigidité très élevée et un chômage structurellement élevé. Voulant protéger le plus faible par un salaire minimum très élevé, cela n’arrive qu’à mettre les plus fragiles au chômage.

        Pour finir, j’affirme que le salaire minimum découle de la tendance générale de l’État à intervenir dans les affaires privées et à vouloir « protéger les gens contre eux-mêmes », préférant les voir au chômage plutôt qu’avec un salaire même modique (on sait bien qu’un rentier peut potentiellement être un électeur socialiste…). Le salaire minimum nie donc les droits de propriété de soi, impliquant qu’une tierce personne a le droit de se mêler d’un contrat légitime entre deux adultes consentants. Et ça, cher Monsieur, C’EST GRAVE.

        • Savez, cher Monsieur, qu’une analyse simpliste des faits n’est jamais suffisante pour démontrer une théorie. Mais puisque vous semblez adorer « les faits », en voici d’autres: ne vous en déplaise, la Suisse connaît déjà des salaires minimaux légaux: les salaires minimaux des CCT de force obligatoire. Or, que constate-t-on? Dans toutes les branches concernées, aucun employeur ne se contente de pas uniquement le minimum de la CCT pour tout le monde. Moralité: les salaires minimaux ne tirent pas tous les salaires vers le bas. Voilà qui met à terre votre conclusion simpliste.

          • Cher Monsieur,

            Evitez de vous croire supérieur en taxant les propos d’autrui de simpliste, merci.

            Que l’on fixe des principes salariaux dans les CCT ne me dérange pas. Au contraire, c’est une négociation entre employeurs et employés. Ce qui est inacceptable, c’est lorsque l’Etat veut décider des salaires à accorder, que ce soit un salaire minimal ou maximal. Entre négociation entre 2 partenaires et imposition unilatérale de l’Etat il y a une nuance que vos propos non simplistes ne semblent pas inquiéter….

            Je le redis, la régulation trop forte par l’Etat est néfaste à l’économie et ce sont en général les gens de condition modeste qui en pâtissent en premier. Cela ne sert à rien d’avoir un salaire minimum ou une protection des salariés ancrés dans la Consitution si il n’y a pas de travail pour ces derniers….

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