N’en déplaise aux consommateurs impatients…

Ces dernières années, plusieurs des tentatives de libéraliser les horaires de travail sont venues de Zurich. Ainsi, c’est pour légaliser a posteriori le centre commercial «shopville» sis sous la gare centrale de Zurich que l’initiative Hegetschwiler pour libéraliser le travail dominical dans toutes les grandes gares a été déposée. Plus récemment, c’est parce que quelques échoppes (ou «shops») de stations-service zurichoises se sont fait interdire d’ouvrir la nuit par le tribunal fédéral (qui a, comme la loi l’exige, donné la priorité à la santé et à la vie familiale des travailleurs concernés) que l’initiative Lüscher a été lancée, afin qu’ils puissent ouvrir 24h/24 en faveur d’une petite minorité de consommateurs impatients. A chaque fois, on a l’impression que c’est la «grande ville moderne» qui veut faire tomber des législations «obsolètes» et «contraires aux intérêts des consommateurs». On en était presque à la lutte des urbains visionnaires contre les bouseux conservateurs.

Aujourd’hui 17 juin, les zurichois ont fait mentir ce cliché de la manière la plus nette qui soit en rejetant massivement l’initiative du PLR «le client est roi», qui souhaitait libéraliser complètement les horaires de travail de tous les commerces (et des branches à leur service, nettoyage, logistique, sécurité, etc.). Le même jour, les électeurs lucernois ont aussi refusé d’étendre les horaires des commerces. Cette nette double-défaite des ultralibéraux montre que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les zurichois tiennent eux aussi à la santé des salariés et à la qualité de vie, qu’une prolongation des horaires des magasins n’aurait pas manqué de diminuer (trafic, bruits, attroupement, nuisances dues à l’alcool, etc.). Ce résultat est de très bon augure avant le référendum – très probable – contre le travail de nuit et du dimanche dans les échoppes de stations-service. A moins que le Conseil des Etats, qui va bientôt se saisir de l’initiative «Lüscher» ne prenne soudain conscience que le peuple, et ce n’est pas la première fois, n’est pas du côté de ceux qui veulent une société qui ne se repose jamais.

13 réflexions sur « N’en déplaise aux consommateurs impatients… »

  1. Ainsi, les shops de stations services à ZH pourront continuer à vendre des oeufs durs 24/24 mais pas d’oeufs crus…il n’y a qu’en Suisse où une majorité semble trouver cela normal…

    • La distinction entre certains produits peut sembler absurde ou arbitraire, elle n’en est pas moins nécessaire. Ce qui est indispensable (et ne peut donc pas attendre le lendemain) peut être vendu en dehors des horaires habituels. Ce qu n’est pas indispensable, non. S’il suffisait de vendre au moins un bien indispensable pour rester ouvert 24h/24, une migros MMM contenant un rayon pharmacie avec pharmacien de garde pourrait ouvrir tout le temps!

        • Philippe, si les décisions démocratiques ne vous plaisent pas, je vous conseille la Corée du Nord. Et si vous souhaitez combiner liberté du commerce et absence de droit de vote, la Chine me semble parfaitement convenir.

          • Mon pauvre Philippe, décidément, la différence entre communisme et socialisme vous échappe. Le jour où vous serez d’accord d’écouter des explications, posez-donc la question à un historien!

  2. Mais il y a quelque chose que je ne comprends tout de même pas monsieur Schwab, pourquoi est-ce que certains magazins ont le droit d’ouvrir leur porte jusqu’à minuit (coop pronto) profitant ainsi de leur position dominante dans ces heures-là pour surtariffer leurs produits (ce qui est parfaitement logique mais nuisible pour le consommateur) alors que d’autres échoppes n’y ont pas le droit? Pour être cohérent, il faudrait aussi interdire ces heures d’ouverture! Ou les étendre à tous les établissements.
    Autre question (ironique, n’y voyez là pas d’attaque), que fait le parti socialiste contre les conditions de travail déplorables des boulangers qui doivent se lever à trois heures et demi du matin tous les jours pour satisfaire leur clientèle despotique et ultralibérale à 6 heures du matin?
    Meilleures salutations

    • La question des horaires d’ouverture est toujours épineuse, car il y a plusieurs règlementations qui s’appliquent: 1. le droit du travail, qui fixe si un employeur peut employer du personnel à certaines heures (objectif: protéger santé et vie sociale) et 2. les heures d’ouverture, fixées par les cantons ou les communes (VD: les communes), qui fixent quel commerce peut ouvrir quand (objectifs: police du commerce, tranquillité publique). Ce sont ces règles qui font que certains commerce peuvent ouvrir plus tard que d’autres parce qu’ils sont tenus par le propriétaire ou sa famille. Or, ces gens ne sont pas soumis à la loi sur le travail et peuvent donc travailler quand bon leur semble. En outre, les règles en vigueur fixent souvent des exigences de surface de vente et d’assortiment, qui font que certains petits magasins situés à certains endroits (p. ex. gares, échoppes de stations services, zones touristiques) peuvent avoir des horaires plus étendus que les autres, avec de très longues listes d’exceptions. Bref, c’est assez complexe et je vous recommande la lecture de ce document, qui fait un peu le tour de la question: http://www.uss.ch/themes/travail/droit-du-travail/article/details/dossier-82-consommer-24-heures-sur-24-cest-travailler-24-heures-sur-24/
      Cela dit, vous avez raison, il faudrait éviter la concurrence déloyale qui s’installe si certains commerce peuvent, sans justification objective, ouvrir plus souvent que d’autres. Les coop pronto sont en général tenus par des familles qui travaillent sous franchise et entrent donc dans la catégorie des petits commerces tenus par le propriétaire. Ils bénéficient donc des mêmes horaires que les petits commerces de quartiers, tout en bénéficiant de la logistique d’une grande chaîne comme la Coop. C’est à mon avis une lacune de la législation. Autant je suis favorable à ce que quelques petits commerces des villages et des quartiers puissent ouvrir plus souvent si c’est le propriétaire qui les tient, autant je trouve que cette situation tient effectivement de la concurrence déloyale.
      Quant à votre remarque sur les boulangers, je peux vous assurer que les socialistes et les syndicats s’engagent depuis toujours et avec force pour améliorer les conditions de travail des personnes qui, parce que leur activité est réellement indispensable (p. ex. santé, sécurité, mais aussi les boulangers), doivent travailler en dehors des horaires habituels. Nous nous engageons notamment pour qu’ils touchent des salaires plus élevés, bénéficient de plus de temps libre et d’autres aménagements pour leur permettre de concilier travail et vie familiale et sociale. Comme vous pouvez les constater, nous avons du pain sur la planche, mais nous ne baissons pas les bras pour autant!

      • Merci de votre réponse. (Je n’ai malheureusement pu voir que ce week-end que vous m’aviez répondu avec une extrême rapidité et ne voulant pas passer pour un rustre à l’avenir, il y a-t-il un moyen de savoir que vous m’avez répondu autre qu’en consultant votre site?)
        Je ne vais pas vous le cacher, je suis à 100% derrière des horaires d’ouverture libéralisé dont voici les raisons. Tout d’abord, j’ai bien lu votre dossier sur le sujet, la situation légale est bien complexe mais il semble que tout ceci relève pour beaucoup d’une tautologie juridique (on ne le fait pas parce que c’est interdit). Mais ce n’est qu’une question de forme.
        Ensuite je prends bonne note de la récente défaite à Zurich et des autres votations devant le peuple, et je ne souhaite pas imposer aux Suisses cette politique contre leur volonté, il ne nous reste plus qu’à continuer d’essayer de convaincre. Ensuite, je suis tout de même étonné de voir que vous citez l’article de septembre 2005 du SECO dont le titre était « Des horaires de magasins davantage flexibles ont
        des effets positifs même en Suisse » pour lui faire dire exactement le contraire (c’était d’ailleurs votre seule source économique). Je je me permets donc de répéter ces conclusions:
        -les consommateurs sont gagnants
        –légère progression du chiffre d’affaire des entreprises (plus pour les grandes entreprises en général mais possibilité pour les petites entreprises de tirer leur épingle du jeu à l’aide d’emplacement de « niche »)
        – effet négatif pour la vie privée des personnes déjà employée dans le domaine
        – conséquence positives pour les demandeurs d’emploi (effet net sur l’emploi légèrement positif)
        –effet éventuellement positif sur la croissance
        Il semblerait donc que les syndicats défendent comme souvent ceux qui ont déjà un emploi par rapport à ceux qui n’en ont pas, car il semblerait bien que nous
        fassions face à ce dilemme-là….
        Meilleures salutations

        PS: Habitant la région lausannoise, quel est votre position concernant la vie nocturne. Restriction ou libéralisation?

        • Ce que montre l’étude du Seco, c’est que les effets positifs pour l’emploi que nous promettent les partisans de la libéralisation sont maigres et que les effets sur la croissance sont éventuellement positifs. Tout cela cache une incapacité de démontrer des effets « positifs » que le simple bon sens permet de démentir: un franc ne peut pas être dépensé deux fois et les emplois créés en dehors des horaires habituels conduisent fatalement à la disparition d’emplois à d’autres heures. En outre, comme les coûts du travail sont sensiblement plus élevés en dehors des horaires normaux, il est fort possible que les destructions d’emplois soient au final plus importantes que les créations, à plus forte raison quand on sait que les libéralisation profitent toujours aux grandes surfaces (aux dépens des petits commerces qui peuvent jouer les « niches »), qui emploient moins de personnel à surface de vente égale.
          Cela dit, même en admettant que cela crée quelques emplois pour une minorité de travailleurs sans charge de famille, les inconvénients (atteintes à la santé et à la vie sociale, nuisances sonores, etc.) l’emportent largement. Ce qui fait qu’en la matière, les syndicats défendent non seulement leurs membres et les travailleurs de la branche (qui refusent à 90% toute prolongation des horaires quand ont leur demande leur avis), mais aussi l’intérêt public en général. Ce que prouvent les nombreux résultats des votations défavorables à toute libéralisation.

          Cela dit, n’étant pas lausannois, je n’ai pas d’avis définitif sur la question de la vie nocturne. J’aurai tendance à être plutôt restrictif, vues les nuisances que cela induit, mais je n’ai pas vraiment réfléchi en détail à cette question, qui relève de la politique communale. Mais il me semble que les nuisances ne sont pas uniquement un problème d’horaires d’ouverture, mais que d’autres facteurs entrent en ligne de compte, notamment la surconsommation d’alcool.

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