Vote par internet : le conseil d’Etat met un peu vite le doigt dans l’engrenage

Le Conseil d’Etat vaudois vient de présenter son projet de modification de la loi sur l’exercice des droits politiques (LEDP) visant à introduire, pour les Suisses de l’étranger seulement, et sous forme de test, le vote électronique par internet. Le Grand conseil, qui avait donné suite à un postulat interpartis visant à renoncer au vote par internet que j’avais cosigné, devra se prononcer prochainement.

Concrètement, le Conseil d’Etat propose d’ajouter un article 126a à la LEDP qui (c’est un bon point), interdit en principe le vote par internet, mais autorise les essais afin de faciliter le vote des Suisses de l’étranger. Certes, la question du vote des Suisses de l’étranger mérite d’être réglée et le vote par internet est probablement une solution intéressante. Mais la version choisie par le gouvernement vaudois, à savoir reprendre le système genevois de vote électronique, n’est pas convaincante.

Une méthode de vote par internet sans garanties suffisantes

En effet, le système genevois, qui n’est composé qu’à 80% de logiciels libres n’offre pas de garanties suffisantes en matière de contrôle démocratique. Car les citoyens ne pourront plus eux-mêmes contrôler facilement le déroulement du scrutin, élément important de la confiance qu’ils y placent. Ce qui est déjà un des défauts importants du vote électronique (la délégation du contrôle aux informaticiens, alors qu’avec un scrutin «papier», les citoyens peuvent contrôler eux-mêmes) est aggravé par le fait que seuls le détenteurs des codes sources pourra certifier la fiabilité du scrutin. Même s’il appartient à l’administration publique, ce qui offre il est vrai certaines garanties, les citoyens se voient, eux, privés de tout moyen de contrôle. En outre, la fiabilité du système genevois est régulièrement remise en doute et ce canton n’a pas exemple pas accepté qu’elle soit régulièrement mise à l’épreuve par des pirates informatiques externes à l’administration. Pourtant, il existe d’autres systèmes de vote par internet qui offrent de meilleures garanties en matière de transparence et de contrôle démocratique ( La HES biennoise est par exemple en train de travailler à la réalisation d’un système de vote électronique transparent et vérifiable qu’elle a développé). Mais le canton de Vaud choisit la facilité (défaut courant en matière d’introduction du vote par internet) et souhaite adopter un système boiteux, sans se poser au préalable les questions de principe que pose tout processus démocratique.

Les risques ? Ah oui, les risques…

Encore moins convaincante est l’argumentation du Conseil d’Etat sur un des points cruciaux du vote par internet: la sécurité. Le Conseil d’Etat se dit certes conscient des risques liés au vote électronique et que des irrégularités et abus sont possibles (cf. point 4.2.1 de l’exposé des motifs), mais c’est tout. Aucune analyse fine de ces risques, ni propositions de parades. Or, alors que les attaques informatiques, bassement criminelles ou politiquement motivées se multiplient et que les systèmes réputés les plus sûrs se font craquer les uns après les autres, traiter cette question avec autant de désinvolture laisse pantois. Elle laisse d’autant plus pantois qu’en matière de cafouillages informatiques de grande ampleur, le canton de Vaud s’est taillé une solide réputation. Y compris avec son logiciel actuel de gestion des scrutins populaires. La méfiance est donc de mise.

Elle est d’autant plus de mise que les exemples de couacs majeurs du vote par internet ne manquent pas dans d’autres pays. On peut par exemple citer l’interruption du vote par internet aux Pays-bas après que des pirates informatiques en aient facilement brisé les systèmes de sécurité devant les caméras. Ou l’avis de la cour constitutionnelle allemande, qui a jugé le vote électronique incompatible avec plusieurs principes démocratiques.

Pistes pour le débat parlementaire

Cela dit, lorsque le projet sera traité par le parlement, il conviendra à mon avis de se poser les questions suivantes:

  • Si vote par internet il doit y avoir, il devra s’appuyer entièrement sur des logiciels libres, afin que tout un chacun (en tout cas s’il dispose de compétences en informatiques), puisse contrôler le déroulement et éviter que le contrôle soit délégué à quelques experts publics ou privés.
  • Plutôt que de reprendre aveuglément le système genevois, il conviendra d’étudier d’autres systèmes de vote par internet, plus transparents et plus fiables.
  • La fiabilité du système doit être régulièrement testée par des attaques de hackers externes à l’administration et à l’entreprise ayant développé les logiciels. Au moindre problème, les tests du vote par internet doivent être interrompus et les résultats litigieux annulés, afin d’éviter qu’ils puissent influencer la volonté populaire.
  • Le vote par internet doit être strictement limité aux Suisses de l’étranger. Le système actuel de vote par correspondance est en effet suffisamment facile pour que les citoyens, jeunes et moins jeunes, puissent prendre part au vote. Il faut à ce sujet rappeler que, contrairement à ce qu’on entend souvent, le vote par internet ne permet pas d’augmenter la participation de manière significative, y compris chez les jeunes électeurs. Le projet du Conseil d’Etat est par bonheur clair sur ce point et il faut espérer que le projet en reste là. Il s’agira de contrer les objectifs de la chancellerie fédérale, qui souhaite instaurer le vote par internet pour tous les scrutins, sans toutefois pouvoir en garantir la fiabilité. Pour preuve, le nombre d’électeurs pouvant voter par internet est limité (20% dans un canton, 10% du total des votants), afin, selon la chancellerie «qu’un éventuel problème n’ait pas trop d’impact sur l’issue du scrutin». Bel aveu.

Pour conclure une citation du Prof. David Dill (université de Stanford): «Everybody would like there to be secure internet voting, but some very smart people have looked at the problem and can’t figure out how to do it» (The Guardian, 2 février 2012)

7 réflexions sur « Vote par internet : le conseil d’Etat met un peu vite le doigt dans l’engrenage »

  1. Merci pour cet excellent article. Il importe en effet d’être extrêmement vigilant quant à l’admission par les autorités politiques cantonales et fédérales du vote par internet. Il est ahurissant de constater avec quelle désinvolture de nombreux politiciens (dont certains de très haut niveau dans la hiérarchie de l’Etat !) se laissent naïvement séduire par la « magie » des nouvelles technologies, ignorant dramatiquement les multiples possibilités d’erreurs, fraudes, manipulations et autres « plantages » qui pourraient altérer gravement l’acte démocratique fondamental que constitue l’exercice du droit de vote citoyen.
    Rappelons-nous l’incroyable fraude électorale survenue dans l’Etat de Floride lors de l’élection présidentielle US en 2000, qui avait médusé la planète entière, impliquant les fameuses « machines électroniques à voter », qui ont hélas permis à GW Bush d’être élu président des USA à la place de Al Gore, malgré que ce dernier avait finalement obtenu, après des semaines de recomptage manuel (!), des milliers de voix d’avance sur Bush !

    • Votre commentaire est très juste, Astérix: la « magie » des nouvelles technologies est souvent l’unique motivation. Avec le vote par internet, nombreux se lancent tête baissé, parce qu’internet est à la mode, que c’est incontournable, etc. etc. , mais sans se poser les questions essentielles que l’on devrait se poser dès que la démocratie est en jeu!

      • L’argument selon lequel le vote électronique devrait être restreint aux ressortissants suisses vivant à l’étranger sous prétexte que le vote par correspondance est facile pour les jeunes et les moins jeunes n’est pas exact. Nous sommes certes une toute petite minorité, mais nous les aveugles (et j’inclus ceux qui voient trop peu pour pouvoir remplir un document eux-mêmes, et tant qu’à faire les gens qui ne peuvent pas tenir un stylo), nous voudrions bien pouvoir également voter sans devoir recourir à un tiers, ce qui nous serait possible par l’internet, mais qui nous est impossible tant par correspondance que dans l’isoloir. Je ne doute pas un seul instant que les gens inscrivent les réponses que je veux sur mes bulletins, mais je préfèrerais pouvoir voter moi-même, comme « tout le monde », si l’on en croit votre article.

        • Vous avez raison, les aveugles sont aussi une catégorie d’électeurs pour qui il faut trouver une solution, et le vote par internet pourrait en faire partie. Cependant, cela ne justifie pas que l’on fasse n’importe quoi. Il serait dangereux d’introduire à la va-vite un système peu fiable et peu transparent. Si vote par internet il doit y avoir, il faut qu’il soit parfaitement fiable et que le contrôle démocratique par les citoyens soit possible, ce qui n’est malheureusement pas le cas des modèles actuels. Je salue votre volonté de vouloir participer aux scrutins et j’imagine que vous souhaitez pouvoir donner votre voix en toute sécurité et transparence. Or, avec le vote par internet tel qu’il se conçoit actuellement, cela n’est à mon avis pas garanti.

          • Effectivement le système actuel semble présenter des failles. Mais actuellement je n’ai aucune assurance non plus que je vote bel et bien ce que je veux. Ce serait bien que les citoyens vivant en Suisse et qui le désirent, tout en étant informés/conscients des risques de sécurité ou de manque de transparence encourus, aient le choix d’avoir accès au vote électronique comme les Suisses de l’étranger. Le simple fait qu’il faille effectuer une démarche pour demander le vote électronique ferait sans doute que le nombre de demandeurs serait relativement faible. Or, qui voudrait pirater un système ne permettant dans un premier temps qu’une faible influence sur le scrutin? En outre cela présenterait l’intérêt de pouvoir tester le système à mesure de ses progrès pour vérifier qu’il soit accessibles avec nos moyens auxiliaires, ce qui n’est pas une mince affaire non plus. À ce propos, je profite de vous dire que votre site est très accessible, en tout cas pour les aveugles (je ne me prononce pas pour les malvoyants puisque je n’ai pas l’information). Merci, c’est bien agréable.

  2. Même si nous ne partageons pas les mêmes idées politiques, je te rejoins pleinement sur les dangers liés au vote par internet. D’autant plus probant que nous savons toutes et tous que l’informatique n’est pas fiable à 100%.

    L’Etat de Vaud n’est déjà pas fichu de fournir un système fiable pour la transmission des résultats par les bureaux communaux. La catastrophe du 23 octobre 2011 nous l’a prouvé. Alors un système de votation fonctionnant entièrement sur internet …

    Ensuite, la sécurité face aux attaques et potentiels détournements de masse est très difficile à obtenir. Effectivement, même en appliquant toutes les normes et protocoles de sécurités connus à ce jour, nous nous exposons à un risque majeur que les hackers puissent utiliser … la prédictibilité des transactions. A la différence d’un système bancaire ou des déclarations d’impôts, la période de votation est courte et connue. Le pirate a tout le loisir de se préparer et sait quand écouter le trafic réseau.

    A partir de là, le seul espoir sur lequel on peut s’appuyer, c’est que le code moral des pirates informatiques implique de ne pas s’en prendre aux libertés d’expression et aux libertés démocratiques, mais, au contraire, de les protéger. Seulement, comme dirait Barbossa dans Pirate des Caraïbes: « le code est plus une sorte de guide général qu’un véritable règlement » 🙂

    • Ravi de te savoir de mon avis (en plus, tu t’y connais en informatique, ce qui n’est pas vraiment mon cas 😉 )! Ce n’est pas très étonnant que cette question transcende les clivages. Le postulat que la Grand conseil a récemment accepté avait été rédigé était soutenu par des gens de tous les partis. Les questions de démocratie sont trop importantes pour qu’un seul bord politique s’en préoccupe!

Répondre à astérix Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *