Aucun préjugé contre le salaire minimum ne tient la route (piqûre de rappel)

Le dépôt de l’initiative de l’USS et du PSS pour un salaire minimum légal (subsidiaire au renforcement des conventions collectives de travail) et l’annonce par le canton du Valais de la création d’un salaire minimum légal dans le bâtiment pour lutter contre la sous-enchère salariale ont donné lieu à un tir de barrage patronal en règle qui s’apparente plutôt à un festival d’inepties, tant ces positions se fondent plus sur le cliché et l’idée préconçue que sur des arguments étayés. Un petit rappel des principaux préjugés dont est vitcime le salaire minimum légal (texte précédemment publié ici et ici) n’est donc pas inutile.

Les salaires minimaux ne nuisent pas à l’emploi. Souvent, la première objection des adversaires des salaires décents est de prétendre qu’augmenter les salaires ne peut fatalement que détruire des emplois. Cette application un peu simpliste de la théorie néoclassique ne résiste heureusement pas à l’épreuve des faits. Une étude récente de l’Université de Berkeley sur les effets à long terme (sur 16 ans) du salaire minimum légal aux USA parvient à la conclusion sans ambigüité que le salaire minimum n’a aucun des effets négatifs avancés par ses détracteurs et qu’il n’aggrave pas le chômage. D’autres études dans d’autre pays (y compris la France au SMIC tant honni, voir plus bas) parviennent aux mêmes conclusions.
Le salaire minimum ne tire pas tous les salaires à la baisse. Là encore, un jugement préconçu bien ancré prétend le contraire. Mais les faits démontrent que les salaires minimaux n’ont pas d’effet négatif sur les autres salaires. Dans les pays qui ont introduit des salaires minimaux légaux, aucune spirale à la baisse n’a été constatée, à l’exception notable de la France, dont le salaire minimum a le double défaut d’être indexé beaucoup plus vite que les autres salaires et surtout, de donner droit à des abattement de charges sociales tels que les employeurs ont intérêt à garder leurs salariés au SMIC (ces deux défauts, absents dans les autres pays, font que l’exemple français doit être utilisé avec des pincettes). En Suisse, dans toutes les branches qui ont des salaires minimaux obligatoires (grâce à une CCT de force obligatoire), ces derniers ne tirent pas tous les salaires vers le bas. Au contraire, les salaires des branches qui ont des CCT ont tendance à augmenter plus vite que les salaires des autres branches.
Les partenaires sociaux ne peuvent pas régler à eux seuls le problème des bas salaires. Souvent, les détracteurs des salaires minimaux prétendent que fixer un minimum légal entrave le partenariat social et qu’employeurs et syndicats sont mieux à même de négocier des salaires décents. En théorie, c’est vrai. Et dans bon nombre de branches, les partenaires sociaux ont effectivement négocié des CCT qui contiennent de bons salaires. Mais un salarié qui pourrait bénéficier d’une CCT sur deux n’en a pas, souvent parce que les patrons refusent d’en négocier ou souhaite supprimer les CCT existantes. En outre, de nombreuses CCT ne contiennent pas de salaires minimaux (p. ex. l’industrie des machines). Et d’autres prévoient des salaires totalement insuffisants: Il existe encore de nombreux salaires à moins de 3500.—Fr. par mois (p. ex. dans l’hôtellerie-restauration) ou carrément à 16.—Fr. de l’heure (p. ex. nettoyage). Dans ces cas, les partenaires sociaux ont bel et bien échoué à bannir les bas salaires et une intervention des pouvoirs publics est donc indispensable. Car les bas salaires et la sous-enchère salariale coûtent cher à l’entier de l’économie, ainsi qu’aux contribuables. Enfin, l’exemple du secteur principal de la construction, qui subit actuellement un vide conventionnel, montre que, même dans les secteurs où il y a de bonnes CCT, elles ne sont pas éternelles. Et, en cas de sous-enchère lors de vide conventionnel, la réponse de l’Etat est justement… le salaire minimum légal!

La comparaison avec la France est abusive: «Voyez la France!» clament les adversaires du salaire minimum, «son taux de chômage astronomique!», «le pays où tout le monde est au SMIC!» (n’exagérons tout de même pas: même si c’est un nombre important, il ne s’agit que de 15% des salariés), etc., etc.
Or, comme tous les autres pays qui connaissent le salaire minimum ont fait des expériences positives avec cet instrument pour garantir des salaires décents, c’est le seul exemple qu’ils sont capables de dénicher pour attribuer au salaire minimum tous les maux possibles et imaginables. Et, manque de chance, cet unique exemple est en plus particulièrement mal choisi, car SMIC et salaires minimaux tels qu’ils existent en Suisse (p. ex. les salaires minimaux des CCT ou des CTT obligatoires) ne sont pas vraiment comparables. Voici deux différences fondamentales:
1. L’exonération des charges sociales. Le SMIC français est en grande partie exonéré de charges sociales. Par exemple, pour les très petites entreprises de moins de 20 salariés, l’exonération est totale. Ce qui incite fortement les employeurs à avoir un maximum d’employés au SMIC. Or, un salaire minimum suisse national ou cantonal ne pourrait pas être exonéré. En effet, tout salaire supérieur à 2300.—Fr. par an est obligatoirement soumis aux cotisations sociales. Comparer le SMIC français au salaire minimum tel qu’il est prévu en Suisse n’est donc pas correct.
2. Le mécanisme d’indexation. Le SMIC français a été augmenté beaucoup plus vite que le salaire médian depuis son introduction. Il est donc logique que la part de bénéficiaire du SMIC soit importante, étant donné que le SMIC «rattrape» chaque année les catégories de salaires les plus basses. Ainsi, durant ses 15 premières années d’existence, le SMIC a augmenté de 40% de plus que le salaire médian. En Suisse, de telles revalorisations supérieures à l’augmentation du salaire médian seraient impensables. Par exemple, l’initiative de l’USS pour un salaire minimum au niveau national prévoit le même mécanisme d’indexation que les rentes AVS (indice mixte, qui tient compte… de l’évolution des autres salaires!). En Suisse, il n’y a donc pas de risque de «trappe à bas salaire» comme avec le SMIC français. Là encore, les adversaires du salaire minimum font des comparaisons abusives.
Bref, quand les adversaires des salaires décents peignent le diable du SMIC sur la muraille, ils comparent des prunes et des poires. Pas très sérieux.

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