Ne pas bouter les praticiens hors des tribunaux de prud’hommes

Les Chambres fédérales débattent actuellement d’un code de procédure civile unifié au niveau national. Cette unification est nécessaire. Bien qu’ayant un code civil aujourd’hui centenaire, la Suisse est le dernier pays d’Europe qui n’a pas unifié sa procédure civile. Chaque canton connaît et son propre code de procédure et sa propre organisation judiciaire. L’application du droit matériel est ainsi rendue plus difficile et les législateurs cantonaux doivent faire des efforts d’adaptation à chaque fois que le législateur fédéral édicte des règles de procédure civile, ce qui arrive souvent en droit privé social (p. ex. droit de la famille). Ce morcellement n’est plus compatible avec la justice efficace et moderne que la population peut légitimement revendiquer.
Le projet d’unification de la procédure civile contient cependant une lacune qui pourrait porter grandement préjudice aux salariés, aux patrons, aux locataires, aux propriétaires et aux associations qui les défendent.

Il prévoit en effet d’instaurer un quasi-monopole pour les avocats (ainsi que les agents d’affaires dans certains cantons). Ce nouveau monopole pose problème, car il devrait s’appliquer aussi dans des juridictions où il n’existe pas actuellement , parce qu’il n’y est pas nécessaire : les tribunaux de prud’hommes et des baux. Cette règle nouvelle pourrait condamner une pratique de représentation devant ces tribunaux qui a fait ses preuves dans 19 cantons, notamment dans la plupart des cantons romands, à savoir : la possibilité pour les parties de se faire représenter à titre professionnel par des «mandataires professionnellement qualifiés» issus des organisations syndicales, patronales, de locataires ou de propriétaires. Même s’ils ne détiennent pas de brevet d’avocat, ces mandataires sont de véritables professionnels de leur domaine du droit et les membres des organisations qui les emploient attendent qu’ils les défendent avec professionnalisme. Selon le projet du Conseil fédéral, les justiciables conserveraient certes le droit de se faire représenter par une personne de confiance de leur choix, mais seuls les avocats pourraient le faire par métier.

Savoir-faire syndical
En matière de juridiction du travail, les secrétaires syndicaux et patronaux connaissent parfaitement les arcanes d’une législation complexe que complète une multitude de conventions collectives, aussi variées que les secteurs économiques auxquels elles s’appliquent. Ils peuvent en outre faire valoir une longue expérience dans ce domaine très spécifique où la majorité des règles découlent non pas de la législation, mais des discussions entre partenaires sociaux. En revanche, bien des avocats ne peuvent se prévaloir ni de ce savoir-faire, ni de cette expérience. N’admettre que ces derniers devant les tribunaux de prud’hommes aurait donc pour conséquence une nette diminution de la qualité de la représentation des parties. Un monopole des avocats pourrait aussi conduire à une hausse des frais de justice. En effet, l’expérience montre que les mandataires issus des partenaires sociaux sont plus enclins à transiger et à liquider l’affaire avant décision du juge, alors qu’un avocat peut avoir intérêt, pour justifier (ou même arrondir) ses honoraires, à pousser autant que faire se peut au jugement, voire au recours.
Par tradition, la juridiction du travail associe les magistrats et les partenaires sociaux . Un patron est en général défendu par son secrétaire patronal, un salarié par son secrétaire syndical, et ce sont souvent des laïcs issus des organisations du monde du travail qui officient comme assesseurs ou comme juges. Instaurer un monopole des avocats entraînerait un déséquilibre entre les parties. Celui qui a les moyens de s’adjoindre les services d’un avocat ou de souscrire à une assurance de protection juridique se verrait nettement avantagé.

Le projet peut encore être amélioré
Le code de procédure civile unifié est en ce moment soumis à l’examen de la commission des affaires juridiques du Conseil national. Le conseiller national genevois Carlo Sommaruga propose d’amender le projet du Conseil fédéral pour autoriser les cantons, s’ils le souhaitent, à maintenir le système des mandataires professionnellement qualifiés en matière de droit du travail et du bail. Il s’agit certes d’un relent fédéraliste qui pourrait surprendre dans le cadre d’un projet visant à unifier les procédures. Mais l’expérience montre que cette petite dose de fédéralisme est justifiée, tant par son étendue que par son efficacité. L’esprit de la réforme de la procédure civile ne s’en trouverait pas affecté, et les justiciables continueraient de profiter d’un système qui leur est favorable. Le soutien de l’Union syndicale suisse, de l’ASLOCA ainsi que d’organisations patronales et fédérations immobilières devrait inciter les Chambres à accepter cette dérogation au monopole des avocats.

Texte paru dans «le Temps», du 11 février 2008.

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