Grève et paix

La grève fait la une des médias. En France, mais aussi en Suisse, notamment dans le bâtiment, après les épisodes de la Boillat ou de Crossair. J’ai été invité ce matin sur les ondes de RSR la première pour expliquer le droit suisse de la grève dans l’émission «on en parle» (durée 6’30 »), puis ce soir sur TSR1, pour en débattre du droit de grève et de la paix du travail avec un représentant patronal.

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(cliquer sur l’image pour voir le débat)

Je profite de l’occasion pour publier ici un article que j’avais écrit l’an passé pour «infrarouge» journal de la jeunesse socialiste suisse, sur le thème de la paix du travail.

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Paix du travail : histoire et avenir d’un mythe national

La Suisse se vante volontiers d’être le pays de la paix du travail. Des travailleurs-euses dociles et des syndicats sages sont un des arguments préférés de la promotion économique. La Suisse n’est-elle donc qu’un royaume patronal? Cette constatation n’est malheureusement pas très éloignée de la réalité, même si la situation évolue vers un durcissement du partenariat social.
Les termes «paix du travail» ont une double signification. La première est historico-politique: la Suisse est un pays où les conflits de travail sont rares et où le partenariat social (négociations entre patrons et syndicats) fonctionne dans la majeure partie des cas, même si, comme on va le voir, les patrons ont de plus en plus tendance à s’en éloigner, avec pour conséquence une augmentation massive des conflits du travail. La seconde est juridique: la paix du travail, conclue dans une Convention Collective de Travail (CCT), peut rendre une grève illégale.

Petit historique de la paix du travail en Suisse
Le premier accord de «paix du travail» date de 1937. Une grève des ouvrières du cadran des montagnes neuchâteloises (pourtant bastions rouges) se termine par un «accord de paix sociale», suivi de peu par un accord étendu à toute l’industrie métallurgique. Cet accord obligeait tous les syndicats signataires à renoncer à la grève en cas de conflit, mais interdisait aussi le lock-out aux patrons parties l’accord. Cette convention, pourtant très contestée par la base, notamment communiste, des syndicats, sera ratifiée lors d’un débat plutôt modéré. Il faut noter qu’au moment de la signature de cet accord, il s’agissait d’empêcher une ingérence de l’Etat dans les rapports entre partenaires sociaux.
Depuis cet accord, la paix du travail est presque devenu un mythe helvétique, au même titre que Guillaume Tell, le Cervin ou le Réduit National. Ses conséquences sont controversées : cette paix a-t-elle mené les syndicats suisses à la mollesse et au déclin? Avait-on bien analysé les conséquences de l’accord au moment de le conclure?

La paix du travail dans les CCT
La majorité des CCT suisses comprennent une obligation de paix du travail «absolue»: les syndicats renoncent à la grève (qui est un droit constitutionnel, voir l’Art. 28 de la Constitution fédérale) et les patrons renoncent au lock-out (fermeture de l’entreprise – pendant du droit de grève). Les intérêts en jeu sont évidents et la transaction peut être avantageuse aux deux parties : l’employeur garantit de meilleures conditions de travail et de salaire que les minima légaux à tou-te-s ses employé-e-s, qui, en échange, s’engagent à ne pas se mettre en grève en cas de désaccord. A condition que la CCT soit vraiment bonne (ce qui n’est de loin pas le cas de toutes les CCT), le jeu en vaut la chandelle pour le syndicat. En revanche, si la CCT n’est que minimale, ou comprend des clauses inacceptables (voir ci-après), le syndicat ne devrait pas s’engager à respecter la paix du travail absolue.
S’engager ainsi peut avoir des répercutions qui vont bien au-delà du simple respect d’un contrat, car une clause de paix du travail peut rendre un grève illégale. Le droit de grève est comme on l’a vu garanti par la Constitution fédérale et de nombreuses conventions internationales, mais il est soumis à conditions. Une grève n’est licite que si c’est un moyen de dernier recours (pas question de se mettre en grève sans avoir tenté de résoudre le conflit autrement, par exemple par la négociation ou la médiation) et si elle respecte le principe de la proportionnalité (pas question de se mettre en grève pour une broutille). En outre, une grève est de toute façon interdite si elle a pour objet un point contenu dans une CCT en vigueur (paix du travail «relative»).

La paix du travail comme baillon et comme joug
Les associations patronales font de plus en plus appel au presque sacro-saint mythe de la paix du travail. Elles accusent les syndicats de menacer la paix sociale à chaque conflit collectif et par conséquent de nuire à l’attrait économique de notre pays et. Pour nombre d’entre eux, la paix du travail doit être tout le temps absolue, et chaque grève dans une entreprise soumise à CCT est illégale, quel qu’en soit l’objet. Ils tentent souvent de ligoter les représentant-e-s des travailleur-euse-s, sous prétexte de «renforcer la paix du travail», avec l’aide de syndicats complices. Ainsi, pour avoir le droit de signer une CCT avec la Migros, les syndicats syna (syndicat chrétien, membre de travail.suisse) et Société des Employés de Commerce ont accepté, en plus de la paix du travail absolue, de renoncer à toute critique publique de leur «partenaire» conventionnel. Ainsi, le géant orange peut conserver sa réputation, désormais largement usurpée, d’entreprise «sociale», sans craindre des critiques syndicales, dont elle limite d’ailleurs les droits au mépris de la Constitution et des conventions internationales.
Or, malgré leur concert de louanges, ce sont bien les patrons qui sont les responsables des atteintes à la paix du travail. La récente augmentation du nombre de conflits collectifs est dû à l’intransigeance patronale, au non-respect des accords (par exemple le refus des entrepreneurs d’appliquer la retraite anticipée dans le bâtiment) ou au mépris des travailleur-euse-s dans le cadre d’une logique de démantèlement industriel (Filtrona et la Boillat). Cela est d’autant plus inquiétant qu’une frange de plus en plus importante du patronat se retire du partenariat social, soit par idéologie néolibérale («les CCT sont des entraves à la liberté d’entreprendre») soit sous l’influence de l’UDC, notamment dans les PME («Etat, syndicats, tous les mêmes: nuisibles aux affaires!»). Si la paix du travail est en danger, c’est donc plutôt à cause des patrons.

Ne pas mettre la paix du travail sur un piédestal
Si la paix du travail n’a pas totalement éteint le mouvement syndical suisse, certains syndicats se laissent volontiers museler. Par exemple, un représentant du syndicat VSAM, membre de travail.suisse, s’est retrouvé dans la délégation patronale négociant avec Unia, membre de l’USS, le sort de Swissmetal. Et Syna (outre sa collaboration – ou plutôt sa vassalisation- avec Migros) a tenté d’exclure Unia de la CCT des charpentier-ère-s alémaniques, en soutenant des «assemblées du personnel» organisées par l’association patronale et gardées par des securitas ! Enfin, Hugo Fasel (président de travail.suisse et conseiller national PCS/FR siégeant avec les Verts) a été invité à la récente assemblée de l’USAM (association patronale des arts et métiers) et présenté comme «garant de la paix du travail, menacée par les syndicats membres de l’USS». Et Fasel de renchérir: «Nous avons souvent plus de problèmes avec les trotzkistes (sic!) de l’USS qu’avec les patrons».

La grève amène le progrès social!
Ces «syndicats», qui placent la paix du travail au dessus de leurs autres principes, oublient que la grève est souvent un moyen d’obtenir d’importantes avancées sociales. L’élection du Conseil national au scrutin proportionnel, qui permit enfin aux socialistes d’être équitablement représentés, fut un des acquis de la grève générale de 1918. Et, plus récemment, les ouvrier du secteur principal de la construction ont obtenu par la grève la retraite anticipée que les patrons leur avaient refusé. Avant de s’obliger à respecter la paix du travail, les syndicats doivent donc réfléchir à ses conséquences, et savoir conserver leur liberté d’action si les intérêts des salariés l’exigent.
Pour en savoir plus : «La valeur du travail, histoire et histoires des syndicats suisses», éditions antipodes, 2006, 30.—Fr. + port (prix de souscription), commandes: editions (arobase) antipodes.ch

2 réflexions sur « Grève et paix »

  1. Merci à zozieau pour cette info, qui brise le mythe de la France, « pays des grèves ». Je l’ai d’ailleurs directement mis dans le corps du texte de mon billet 😉

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